1797 : La Fête des Vignerons aurait pu ne pas avoir lieu

19 janvier 2019
Guillaume Favrod

Alors que la Révolution Française bat son plein, d’autres vicissitudes inquiètent les autorités et le Bailli bernois de la petite ville de Vevey à la fin du 18e siècle. Une société veveysanne, l’Abbaye de l’Agriculture, organise régulièrement une parade et cette dernière n’est pas toujours du goût des politiques de l’époque.

Crise nationale et internationale

En cette toute fin de 18e siècle, l’Europe est en crise et les idées révolutionnaires gagnent petit à petit la population vaudoise. Le gouvernement de Leurs Excellences de Berne est inquiet. A Vevey, une bande d’irréductibles perpétue une tradition vieille de plusieurs siècles : les parades de la Confrérie des Vignerons alors dénommée Abbaye de l’Agriculture. Les Baillis bernois ne voient pas toujours d’un bon oeil ces processions festives qui mettent à l’honneur les vignerons-tâcherons et les activités d’une société locale au sein de laquelle certains membres ont des idées progressistes. Ces parades font d’ailleurs exception. Au 16e siècle, l’arrivée des Bernois et de la Réforme avait sonné le glas des festivités catholiques telles que les carnavals ou les processions dans le Pays de Vaud. La parade veveysanne avait survécu au vent d'austérité que fit souffler le Protestantisme. Mais 300 ans après, le 30 janvier 1789, la Confrérie est sommée de se justifier sur son origine, ses activités et ses fameuses parades.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Extrait du 3e Manual de la Confrérie des Vignerons, 30 janvier 1789 © Confrérie des Vignerons

Sa Révérance ayant exposé que le Très Noble et Magnifique Seigneur Baillif de cette Ville désire de connoître quelle est l’origine, quelles sont les Constitutions, le règlements, le régime de cette confrairie et si elle a obtenu la Sanction Souveraine. Il a été unanimement délibéré de le satisfaire autant qu’il sera possible et l’on a commis Messieurs les Conseillers Justamond, Eck, Blache et Gilliéron pour examiner les manuaux et projeter la Réponse à faire à Sa dite Noble et Magnifique Seigneurie Baillivale.

Une commission est réunie et produit un mémoire détaillé dont la teneur est consignée dans le 3e Manual de la Confrérie des Vignerons. [Pour les courageux qui souhaitent lire le mémoire en entier : REMETTRE LE LIEN APRES MIGRATION) Alors qu’il est décidé qu'une parade doit avoir lieu l’année-même, cette dernière est reportée à l’année suivante, suite à une missive du Bailli, invoquant les mauvaises récoltes et les problèmes politiques qui agitent le Pays de Vaud et la France voisine. Mais les péripéties ne s’arrêtent pas là !

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Extrait du 3e Manual de la Confrérie des Vignerons, 14 février 1789 © Confrérie des Vignerons

Une année après, les Conseillers de la société décident "que la Parade de cette Société aura lieu la présente année, en confirmation des délibérations des 18e et 19e juillet dernier, à moins que des circonstances fâcheuses relativement aux récoltes ou autres calamités publiques n’y missent obstacle" (3e Manual de la Confrérie des Vignerons, 14 mars 1790). Malgré l’optimisme des Conseillers, la fête est une nouvelle fois gâchée par ces "circonstances fâcheuses" et les Conseillers décident une nouvelle fois du report de la parade.

En 1791, pour la troisième année consécutive, la parade pourrait ne pas avoir lieu. Cette fois, c’est le Banneret de la ville qui exige le report de la parade. La colère gronde au sein de l’Assemblée Générale des Confrères. Des Conseillers sont mandatés pour écrire un mémoire sur les parades afin de défendre celle qui doit avoir lieu cette année. Pour les mêmes courageux qu'avant qui souhaitent lire le mémoire en entier (même s'il est moins long) : REMETTRE LE LIEN APRES MIGRATION]. Le mémoire est déposé le 8 mai 1791 et la bonne nouvelle tombe moins de quinze jours après. Le 22 mai 1791, LLEE "manifestent ne trouver aucun inconvénient à ce que la parade se fasse cette année, et recommandent aux chefs de cette Confrérie de prendre toutes les précautions nécessaires pour en écarter tout désordre." La Parade se déroule heureusement sans aucune anicroche.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Dépliant de la Parade de 1791 : Les figurants © Confrérie des Vignerons

Six ans passent depuis les péripéties qui reportèrent à deux reprises la dernière parade. Au sein de la société, un vent de changement souffle. Une vague de démissions dont celle de l’Abbé Jean-François Delom, en poste depuis 1783, amène le Conseil à se renouveler. Un nouveau Seigneur Abbé, Louis Levade, ainsi que 4 conseillers et 11 Rière-Conseillers sont élus lors de l’assemblée générale du 11 juin 1797. Mais cette assemblée était principalement convoquée afin de délibérer sur la tenue d’une nouvelle parade. Il est ainsi "décidé presque unanimement qu’on faira cette fête au mois d’août prochain pour se réjouir surtout des flatteuses espérances qu’on a de la Paix" (3e Manual de la Confrérie des Vignerons, 11 juin 1797). Il est même "proposé d’admettre à la Parade une Division relative à la Paix, considérant que quoi qu’elle ne soit pas analogue à l’agriculture, la Paix lui est toujours favorable" (3e Manual de la Confrérie des Vignerons, 3 juillet 1797).

Mais naturellement, ces nouveautés ne plaisent pas aux autorités de la vile et de Berne. Deux lettres, une de la ville et une autre du Bailli, parviennent à la Confrérie et ces dernières contiennent plusieurs restrictions et font part des inquiétudes relatives à la tenue de la parade et aux débordements qui pourraient s'ensuivre. Les couleurs bleu-blanc-rouge assemblées (en référence aux révolutionnaires français) sont alors interdites et la Confrérie doit se limiter au vert-blanc qui constituent ses propres couleurs. Les textes et les musiques sont étudiées et... censurées. Si la parade est autorisée, les retenues ne manquent pas et il s’en est fallu de pu pour qu’une nouvelle fois, les festivités soient reportées.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Un vigneron. Description de la Fête des Vignerons de 1797 © Confrérie des Vignerons

Mais tout n’est pas noir en cette fin de siècle. La première Fête des Vignerons prend forme. Une nouvelle déesse fait son apparition, Palès, et pour la première fois, la parade s’arrête dans l’un des lieux emblématiques de la ville : la place du Marché. Une estrade y est installée pour le couronnement des vignerons-tâcherons.

Alors que des Conseillers s’étaient portés volontaires pour construire un amphithéâtre à leurs frais, la Confrérie décide de s’en acquitter pour autant que les plans (malheureusement perdus) et le projet soient acceptés par le Conseil de Police de la Ville.

Malheureusement, "[p]ar divers motifs allégués, il ne peut […] accorder les fins de [cette] demande ; mais si la Société le désire, M. le Maisonneur (ndr : le responsable de l’urbanisme de l'époque) fera établir une estrade de 2 pieds de haut (ndr : 60 cm) et 20 pieds de carré (ndr : 6 mètres carrés) à [sa] disposition et aux frais de la Caisse publique" (17.07.1797).

La peur des débordements aurait-elle effrayé les autorités pour qu’elles préfèrent offrir un espace plus restreint, et donc plus facile à gérer, en lieu est place de l'amphithéâtre imaginé par la Confrérie des Vignerons ?

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Même si cette gravure est ultérieure (1819 ou 1833), elle est représentative de ce à quoi ressemblait la première "estrade" construire en 1797 pour la première Fête des Vignerons. Gravure parue dans un journal parisiens en 1819 ou 1833 © Confrérie des Vignerons.

Il n’en reste pas moins que pour la première fois, une estrade est construite sur la place du Marché pour y honorer lors d’une cérémonie solennelle les vignerons tâcherons… et que depuis 222 ans maintenant, la Fête des Vignerons réjouit les foules de génération en génération.

Sources :

  • 3e Manual de la Confrérie des Vignerons, 18-19e siècle, Archives de la Confrérie des Vignerons.
  • Guillaume Favrod, "Dossier : Divinités aux Fêtes des Vignerons", in Passé Simple, 40/2018, pp. 2-13.
  • Sabine Carruzzo-Frey, Patricia Ferrari-Dupont, Du Labeur aux Honneurs : Quatre siècles d'histoire de la Confrérie des Vignerons et de ses Fêtes, 1998.
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Guillaume Favrod
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28 novembre 2019
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