L'histoire partagée se construit à plusieurs: soutenez notreHistoire.ch
La saga de la (des) cabane(s) Panossière

La saga de la (des) cabane(s) Panossière

Marcel Maurice Demont
Marcel Maurice Demont

La saga d'un haut refuge des Alpes

Un lieu magique

La (les) cabane (s) Panossière, au pied des Combins, Haut Val de Bagnes, Valais, Suisse

La fin de l'année 2009 a marqué le terme de la magnifique saga mettant en scène les cabanes Panossière successives et leurs gardiens tous unis par un lien de parenté. Cette attachante aventure, qui a débuté en 1881, a été contée par l'auteur des ces lignes et descendant des premiers gardiens dans l'ouvrage: 'Maxime gardien de cabane'.

1881

1er refuge Panossière

Une grotte humide sommairement aménagée

Le minuscule refuge adossé à la paroi du Grand Tavé est construit sous l'impulsion de la section Monte Rosa du Club Alpin Suisse. Le CAS Genève verse une subvention annuelle de CHF 150.-. Altitude 2720 mètres.

Voyons ce qu'en dirent quelques 'Messieurs' à cette époque : « Nous préparons une soupe et du thé dont nous nous délectons, oubliant presque, pour un bref instant, que nous avons les pieds et les fesses dans l'eau. »

1893

2ème refuge Panossière

Au minuscule premier abri succède une petite cabane de bois

Elle est bâtie sur la moraine droite du glacier de Corbassière, à l'altitude de 2671 mètres. Préfabriquée à Genève, transportée à Panossière à dos de mulets, montée par trois ouvriers genevois et trois ouvriers de Lourtier, elle est financée par le CAS Genève qui en est propriétaire (des murs et du contenu, pas du terrain).

La cabane est agrandie en 1909, un réduit destiné au gardien y est prévu.

En 1933, le haut refuge est doublé de pierre et connaît un nouvel agrandissement.

A l'intérieur, traversant le réfectoire à hauteur d'homme, au-dessus du fourneau et des casseroles, s'étire un fil de fer servant de séchoir dont parfois dégringolent les chaussettes, caleçons, chemises, camisoles étendus par des alpinistes. Occupé à brasser la soupe, le gardien y repêche de temps à autre un habit.

Les gardiens

1er, François Fréderic Fellay, Lourtier, dès 1908

Le 15 juillet 1908, la Section Genevoise du Club Alpin Suisse nomme le 1er gardien permanent de l'histoire de Panossière en la personne de François Frédéric. En 1914, débutent les années tragiques de la 1ère guerre mondiale. François Frédéric est mobilisé, le deux août il quitte son poste pour revêtir l'uniforme militaire.

François Frédéric

2ème, Alexis Fellay, Lourtier, de 1928 à 1933

En 1919, la guerre finie, les choses reprennent leur cours normal. En 1928, François Frédéric cède son poste à Alexis qui assumera la fonction jusqu'à son décès survenu en 1933. Il est alors remplacé par son frère, Henri Fellay.

Le guide Maurice Fellay (à gauche) et son fils le gardien Alexis

3ème, Henri Fellay, Lourtier, de 1933 à 1945

Fils du réputé guide Bagnard Maurice Fellay (1ère ascension du Grand Combin par la face S en partant du Col du Sonadon, 1ère intégrale de l'Arête W-N-W du Petit Combin, 1ère de l'Arête E du Combin de Corbassière et bien d'autres exploits) paysan de montagne, vigneron et employé d'hôtel saisonnier, Henri, grand-père du narrateur, aimait à meubler les longues soirées de cabane en jouant des airs entraînants sur son violon et en racontant de belles histoires à ses clients. Ses fils, excellents alpinistes (René, en 1943 classé troisième de la 1ère Patrouille des Glaciers et 1ère ascension de la face E du Combin de Chessette 4141 m ; en 1945, 1ère de la face O-N-O du Pleureur 3704 m, dont le passage clé sera franchi à l'aide d'un coincement de piolet ; Léon, le 7 juillet 1934, 1ère ascension de la Côte entre l'Arête E et l'Arête N-E du Combin de Corbassière), et ses deux filles, Martha et Germaine l'aident dans sa tâche.

René et Germaine Fellay, aides, et leur père le gardien Henri Fellay

4ème, Louis Dumoulin, Lourtier, de 1945 à 1969

Paysan de montagne, porteur, braconnier et gardien. Son épouse lui donna vingt enfants. Lorsqu'un malheureux visiteur avait l'imprudence de lui demander à quoi servaient les paniers d'osier à disposition des touristes pour y ranger leurs affaires, Louis répondait invariablement :

« C'est pour aller aux champignons, sur le Grand Combin. »

Et d'un doigt noueux il montrait sur la carte épinglée à la paroi l'endroit de la possible cueillette, le lieu-dit 'Champignon', à mi-parcours du Corridor.

Louis

1969

3ème refuge Panossière

Une nouvelle cabane, 2669 mètres d'altitude, toute de pierre taillée, est érigée, toujours sur la moraine, mais trois cents mètres en aval. C'est un des plus élégants refuges des Alpes. Une centaine de visiteurs peuvent dorénavant y être accueillis.

Propriétaire

CAS Genève.

Gardiens

Jeanne et Maxime Dumoulin, Lourtier, fils et belle-fille de Louis, de 1969 à 2009.

Photo

Katia, 11 ans et Yanick Demont, 7 ans, arrière petits-enfants du gardien Henry Fellay.

1988

Une avalanche rase complètement la belle cabane

Le vingt-huit mars, un pilote d'Air Glacier procède à une dépose de skieurs au Petit Combin. Il survole l'emplacement de la cabane. Rien ! Rien d'autre qu'une masse de neige… d'où seul émerge le minuscule bâtiment abritant les toilettes miraculeusement préservé de l'anéantissement (depuis, aménagés, ces lieux d'aisance ont été recyclés en abri pour les chasseurs, et c'est ainsi que, toujours fièrement campées sur la moraine décharnée, les anciennes chiottes continuent à défier l'ensemble des forces naturelles). Par radio, il informe Maxime Dumoulin qui, mille mètres plus bas, dans la vallée, finit de préparer les charges devant être héliportées le jour même à Panossière en prévision de l'ouverture imminente du refuge. Plus de cabane ! L'avalanche, c'est sûr. Y a-t-il des victimes ? Par chance, le refuge était inoccupé. Il y avait eu du monde la veille et il devait y en avoir les jours suivants.

Empruntons quelques lignes au livre d'or sauvé du désastre :

« Et il attend, refuge paisible, le pèlerin, pour lui offrir sa protection et son confort. »

Une petite caravane aménagée pour pouvoir servir de logement des gardiens est héliportée à Panossière. Maxime et Jeanne trient les débris épars du refuge détruit et sauvent ce qui peut l'être (un tabouret, des casseroles, le livre d'or…).

1989

4ème refuge Panossière

Le 14 juillet, un refuge provisoire est érigé sur la moraine (une baraque de chantier offrant 32 couchettes et un coin-cuisine) en attendant une nouvelle construction.

Evidemment, c'est petit, très petit. Maxime s'habituera vite à dire aux clients :

« Ecoutez, c'est comme vous voulez, soit vous dormez dedans et vos sacs à dos dehors, ou bien l'inverse, choisissez ! »

Propriétaire

Association François Xavier Bagnoud.

Gardiens

Jeanne et Maxime Dumoulin, Lourtier.

1996

5ème refuge Panossière

Au terme d'une longue dispute entre les propriétaires du terrain, les anciens détenteurs de l'habitation détruite par les forces de la nature qui s'appuient sur leur glorieux passé, et d'autres postulants à la construction du nouveau refuge, le litige est soumis aux tribunaux. En fin de compte, le Tribunal Fédéral sera appelé à trancher et il le fera en faveur de la commune de Bagnes. Dès lors, plus rien ne s'oppose à l'édification d'une nouvelle cabane.

Le 14 septembre, l'abri tant attendu est inauguré, puis refermé pour ouverture officielle au printemps 1997.

L'actuelle cabane Panossière, rebaptisée 'Cabane François-Xavier Bagnoud à Panossière' est construite à 2645 mètres d'altitude, toujours sur la moraine, mais encore plus vers l'aval (de cinq cent cinquante mètres).

Gardiens : Jeanne et Maxime Dumoulin, Lourtier

La fête d'adieu

Du 11 au 13 octobre 2009

Après 128 années de prédominance des membres d'une seule et même famille à Panossière (1881 - 2009), on écrit le dernier chapitre.

Tout a une fin.

Jeanne et Maxime Dumoulin (les gardiens), Jane-Marie et Marcel Maurice Demont (les cousins), et Didier Bender (journaliste RP de canal 9) se réunissent dans le haut refuge des Alpes pour célébrer la mémoire des anciens et communier dans un vibrant hymne à l'amitié, à la fidélité à un idéal partagé, à la montagne et aux délicieux produits du terroir que sont la Dôle, la viande séchée et le fromage de Bagnes.

Du 11 au 13 octobre 2009 on écrit le dernier chapitre

Apostille

Selon un relevé établi par Maxime, 200 à 300 voyageurs, au retour d'une course dans le massif, d'une randonnée à la journée ou d'une matinée de repos effectuent chaque année le pèlerinage historique de Panossière. Partant du refuge François-Xavier Bagnoud, ils suivent l'ancien chemin de la moraine vers le sud et découvrent quelques débris de la cabane de 1969, poursuivant leur marche, ils atteignent le lieu où se dressait l'abri de 1893 (les fondations sont bien visibles et en cherchant on y peut trouver des clous à tête autrefois utilisés pour fixer les fers aux sabots des mulets qui ravitaillaient l'abri), enfin, après un petit effort supplémentaire, ils arrivent à la base de la paroi du Grand Tavé où avait été érigée la première cabane Panossière, en 1881 (il en reste quelques pans de mur, alors qu'une voie d'escalade sillonne la grande dalle en dévers qui formait le toit incliné du logis). Les pèlerins achèvent leur voyage dans les temps révolus, heureux et vaguement émus. Les vieilles pierres taillées et ajustées sans ciment avec une précision admirable et les quelques traces venant d'une autre époque témoignent d'activités humaines passées tout en dégageant quelque chose qui ne laisse personne insensible.

On n'arrête pas la marche de l'histoire

Désormais, à Panossière, de nouveaux hôtes veillent à l'accueil des alpinistes, des skieurs, des randonneurs. Une page de l'histoire locale de la montagne s'est tournée. L'aventure continue. Nous souhaitons le meilleur à la relève.

Marcel Maurice Demont, 2017.

Vous devez être connecté/-e pour ajouter un commentaire
Pas de commentaire pour l'instant!