L'histoire partagée se construit à plusieurs: soutenez notreHistoire.ch

Poème édité en 1868 sur la Fête

1868
?
?

Voici un poème que j'ai pu lire sur la Fête. Je pense qu'il a été écrit en 1865, mais je peux me tromper. Il est tiré du livre _Encore des fragments par un rimeur invétéré_ dont l'auteur n'est pas mentionné dans l'édition de Garnier Frères à Paris en 1868.

L'HELVÉTIE

"Souvenir de la Fête des Vignerons" (de 1865 ?)

_A Madame P._

_PROLOGUE._

Quels sont ces flots humains qu'emporte la vapeur,

Sillonnant à la fois le lac et la hauteur ?

Quelque nouveau César, ressuscitant les âges,

Va-t-il de son triomphe étonner ces rivages ?

Aux pieds d'un conquérant les peuples frémissants

Viennent-ils apporter le tribut et l'encens ?

Non, c'est la liberté qui préside à ces fêtes;

La paix et le travail ont aussi leurs conquêtes,

Conquêtes sans ravage et triomphe sans pleurs.

Les vainqueurs de ce jour sont couronnés de fleurs.

Jadis au champ d'honneur la muse de l'histoire ;

A des enfants de Tell illustré la mémoire ;

Au niveau des grands pics leur courage a monté ;

La Suisse est sol de gloire et sol de liberté.

3

Aujourd'hui le travail les appelle en son temple;

Ce temple est la nature ; heureux qui la contemple

En ces lieux rayonnant de toutes les splendeurs.

Là, des pampres fameux couronnent les hauteurs

Qui dominent ce lac où se mirent les anges.

L'horizon devant nous prend des formes étranges.

Spectacle sans égal ! contrastes saisissants !

Pour peindre tant d'éclat mes vers sont impuissants.

Mais je veux esquisser des fêtes sans pareilles

Et du riant Vevey raconter les merveilles.

_RÉCIT._

Devant l'estrade immense, aux yeux des conviés,

S'élèvent trois grands arcs aux décors variés,

Les drapeaux des cantons s'agitent dans l'espace;

En ces jours d'union chacun a pris sa place.

Enfin le canon tonne au roc de St-Martin,

Annonçant au public la fête du matin.

Soudain de tous les points s'élancent les vieux Suisses.

Des splendeurs de ce jour nous offrant les prémices.

Leur oeil fier resplendit sous le bandeau pourpré,

La croix blanche s'étale au pourpoint bigarré.

Par des cuivres nouveaux les fanfares antiques

Rappellent les combats des guerriers helvétiques;

Puis paraît un grand prêtre, un ministre des dieux,

Précédant de Palés le trône radieux.

L'aimable déité qui préside aux prairies

Respire les parfums des corbeilles fleuries.

De nymphes et d'amours son char est entouré :

Elle brille au sommet sous un dôme azuré,

L'éclair de ses beaux yeux enflamme son empire,

Et chacun de sa lèvre implore le sourire.

4

De son bras arrondi le suave contour

Envoie à ses sujets l'allégresse et l'amour.

Ainsi que son pouvoir son cortège est immense ;

A la suite du char une foule s'avance.

Voici venir d'abord de gracieux enfants

Portant fraîche guirlande et les dons du printemps.

Bergères et bergers s'élancent dans l'arène

Envoyant joyeux chants au trône de leur reine,

Faneuses et faucheurs, dans un groupe animé

Suivent du foin nouveau le transport embaumé.

Enfin les armaillis, fiers enfants des montagnes,

Conduisent un troupeau, l'honneur de ces campagnes,

Et dont chaque mamelle enfante ce doux lait,

Richesse du pasteur et trésor du chalet.

Des tourteaux de gruyère ils montrent la fabrique,

Et du lait comprimé tout l'appareil rustique ;

L'écho répète au loin le ranz harmonieux

Cher au pâtre des monts ainsi qu'à leurs aïeux;

Ce chant aux exilés rappelle la patrie

Et fait couler des pleurs de leur âme attendrie.

De l'aimable Palés ici finit la cour :

Une autre déité va paraître à son tour ;

Tout un peuple la suit : un prêtre la devance.

Cérès porte en ses mains la paix et l'abondance,

Et préside aux labeurs, aux trésors de l'été.

Un char d'un vif éclat porte sa majesté.

Elle a maintien plus grave et beauté plus austère,;

Des gerbes d'un blé mûr elle enrichit la terre.

Sur ces pas vénérés un cortège pieux

Vient célébrer sa gloire et rendre grâce aux dieux.

Ce sont les moissonneurs, les brunes moissonneuses ;

Un groupe de glaneurs et de fraîches glaneuses,

La charrue et la herse avec un char de blé.

Les semeurs, les batteurs, peuple dur et hâlè,

Se pressent à l'entour ; meuniers à blanche mine

Sur un char à tic-tac ensachent la farine.

Mais j'aperçois le dieu des bachiques exploits ;

C'est le héros du jour; tout reconnaît ses lois :

Il apparaît enfin rayonnant sous la treille;

Le nectar coule à flots dans sa coupe vermeille.

Quatre coursiers tigrés traînent le char divin

Où trône l'immortel qui nous donna le vin.

Sur les pas de leur dieu viennent les Corybantes,

Les satyres lascifs et les folles bacchantes.

Les faunes, les sylvains s'élancent à leur tour,

Députés du vieux Pan pour fêter le grand jour

Où triomphe Bacchus; enfin le bon Silène

Sur son âne chancelle et boit à perdre haleine.

A la suite du char le choeur des vignerons

S'avance, accompagné de hautbois et clairons.

L'essaim des vendangeurs, les sveltes vendangeuses

Font retentir les airs de leurs chansons joyeuses.

Voici le haut pressoir, enfin les tonneliers

En cadence frappant les meubles des celliers.

Mais un nouveau cortège entre avec allégresse

Célébrant de l'hymen les transports et l'ivresse.

Ce sont vingt-deux cantons, aux noces conviés

En costume local fêtant deux mariés.

On admire, étalés sur le char du ménage

Le rouet, le pétrin, le berceau du jeune âge. ••

6

Près du lit nuptial ces emblèmes bénis

De travail et d'amour doivent porter les fruits.

Le cor a retenti ; les héros de la chasse

Apportent au festin le chamois, la bécasse.

Leur épaule supporte un canon meurtrier,

Et le rhododendron brille sur leur cimier.

Enfin un bataillon à la fière démarche

Du cortège pompeux vient terminer la marche.

Ce sont les fils de Tell, dignes de leurs aïeux,

Jurant devant le ciel d'être libres comme eux.

Quel est le but moral de cette mise en scène?

Honorer le travail, récompenser la peine.

Parmi les vignerons, ces rudes travailleurs,

Soixante sont jugés dignes de ces honneurs;

Deux d'entre eux couronnés trônent sous les guirlandes,

Et les dieux leur font part des célestes offrandes;

Alors mille bravos éclatent dans les airs.

Et donnent le signal de multiples concerts.

Chaque grand-prêtre entonne un chant de circonstance;

Des choeurs mélodieux préludent à la danse,

Puis des essaims nombreux, sur de vastes parquets,

Des trois divinités entament les ballets.

Les jardiniers fleuris, les vives jardinières,

Les pasteurs amoureux, les piquantes bergères

S'avancent avec art, s'enlacent tour à tour ;

Faneuses et faucheurs célèbrent ce beau jour.

L'image des travaux s'exécute en cadence.

Les enfants de Cérès succèdent à la danse,

Par des groupes actifs l'espace est inondé,

Ils coupent en mesure un sillon fécondé.

7

Enfin du dieu du vin, les grandes bacchanales

Elève le ballet aux splendeurs triomphales.

Puis tous les coeurs unis en sublimes accents

Offrent à l'Helvétie et les voeux et l'encens.

L'hymne patriotique électrise la foule

Et sous les longs vivats le cortège s'écoule.

Un spectacle nouveau nous attend vers le soir :

De barques sillonné, le lac, brillant miroir,

Réfléchit mille feux que respecte la brise

Et rappelle en ces lieux les fêtes de Venise ;

Des gerbes de lumière illuminent ses bords

Et l'onde retentit d'harmonieux accords.

Le bal rassemble enfin les cohortes fidèles ;

Il voit s'humaniser les beautés immortelles.

Heureux les appelés de la blonde Cérès I

Heureux, trois fois heureux, les élus de Palés !

_ÉPILOGUE._

Tel est l’humble récit de ces belles journées.

Que notre âge revoit, dépassant leurs aînées ;

Le calme va régner après ce grand concours,

Et le travail béni va reprendre son cours.

Ora et Labora, cette antique devise

Arriva jusqu’à nous par les siècles transmises ;

Elle est la loi du monde, elle règne sur tous ;

En priant l’Eternel le travail est plus doux.

Adieu, chers habitants de l’antique Hélvétie !

Adieu, parents, amis, gardant le souvenir ;

Sur ces bords enchantés, venons nous réunir.

J’aime ces monts, ces lacs, ces torrents si rapides,

Et ces côteaux féconds et ces fêtes splendides

Ici l'âme et lés yeux ensemble sont touchés ;

Paix et bonheur à vous, enfants de ces rochers

Vous devez être connecté/-e pour ajouter un commentaire
Pas de commentaire pour l'instant!
Roger Monnard
409 contributions
18 octobre 2018
44 vues
2 likes
0 favori
0 commentaire
0 galerie