Des costumes de Vevey à Broadway

6 février 2019
Fêtes des Vignerons, Vevey
Guillaume Favrod

A la manière des danses, des musiques ou encore du livret, les costumes des Fêtes des Vignerons sont le reflet non seulement des traditions mais aussi de chaque génération qui organise une Fête des Vignerons. Aucun costume n’échappe à la règle. Si certains costumes comme ceux des Cent Suisses, des armaillis ou encore des Conseillers s’inspirent souvent des costumes d’époques, d’autres sont librement inspirés de l’imaginaire des artistes qui les dessinent et des nouvelles modes vestimentaires de la génération qui les porte.

En 1797 et 1819, les premiers costumes sont confectionnés par les figurants, agrémentés de quelques accessoires fournis (et repris), sur la base d’un modèle établi par le Conseil de la Confrérie des Vignerons.

Les Africains porteurs de Bacchus au nombre de huit se costumeront à leurs frais, comme les autres membres de la Société, excepté que la Société leur fournira la coiffure et la ceinture en plume, bracelet en cuivre et pendants d’oreilles en forme de perles , objets que la Société reprendra. Ils seront costumés selon le modèle qui leur sera remis par M. Walther. M. Monerat est chargé d’organiser cette petite troupe de nègres et de procurer le nécessaire en se référant toujours avec M. Walther, son collègue. (Manual 4 de la Confrérie des Vignerons, 26.04.1819)

Dès 1833, les choses changent. Un peintre allemand installé dans la région, Christian Gottlieb, dit Théophile Steinlen, est engagé pour dessiner les modèles qui serviront à la confection des costumes. Il esquisse ainsi tous les habits portés par les figurants mais également les trônes des divinités, les portes par lesquelles ces dernières entrent et les décorations de l’arène. Afin de conserver une trace de ces différents éléments, il est « décidé de demander un exemplaire colorié du programme de MM. Steinlen, Monnerat et Blanchoud, pour le placer dans les archives de la Société », sous la forme d'un rouleau de l’entier de la parade (similaire à celui de 1791). Cette tradition qui remontent aux parades du 18e siècle perdure encore aujourd’hui et lors de chaque Fête, un dépliant ou « leporello » est édité. Ces ouvrages, souvent long de plusieurs mètres, présentent l’ensemble des costumes et des tableaux d’une Fête des Vignerons.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Bacchus et sa suite. Dépliant de la Fête des Vignerons de 1833. Dessin de Théophile Steinlen © Confrérie des Vignerons

Tout au long du 19e siècle et du début du 20e siècle, plusieurs artistes peintres se succéderont pour confectionner les différents costumes des Fêtes. Le peintre veveysan Pierre Lacaze esquisse les costumes en 1851 et en 1865 et Paul Vallouy s’en charge en 1889. Jean Morax réalise les costumes de 1905 alors qu’Ernest Biéler se charge de ceux de 1927. De 1851 à 1905, une certaine unité caractérise les costumes des Fêtes des Vignerons, même si chacun des artistes y ajoutent une touche personnelle ou une spécificité. Il suffit de jeter un coup d’oeil aux lithographies, gravures, peintures et photographies des costumes pour voir qu’ils sont tous inspirés des traditions antiques et des traditions viticoles et régionales et qu’ils reprennent souvent les codes vestimentaires du 18e et 19e siècle.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... La troupe d’Honneur. Dépliant de la Fête des Vignerons de 1851. Imprimés à Vevey chez G.Blanchoud, ces planches sont l'oeuvre du lithographe Collioud à Vevey © Confrérie des Vignerons

La rupture est en quelque sorte consommées dès 1955. La Confrérie des Vignerons engage le costumier de théâtre Henry-Raymond Fost qui donne aux costumes une toute autre allure, tirée de l’opéra et du cinéma au sein desquels il est habitué à travailler. L’intégration de nouveaux personnages génère également une nouvelle série de costumes comme les sillons, la grêle ou encore les archers du soleil dont les atours, bien qu'inspirés des traditions antiques, n’ont rien à envier aux costumes hollywoodiens, à la fantaisie et à la science-fiction qui y prennent gentiment leur essor. Pour l’anecdote, plus légers que la laine ou le bois, le carton ou les polymères font leur apparition dans les costumes. Ces mêmes archers du soleil évoqués précédemment portaient donc un casque en carton, peint en doré, beaucoup plus léger mais moins performant que les casques corinthiens de l'antiquité ou que les heaumes des chevaliers. Malgré tout… la Fête des Vignerons de 1955 restent encore assez chaste. Les juste-au-corps sont toujours visibles sous les costumes et certains atours, plus traditionnels, se différencient peu de ceux des Fêtes précédentes.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Un archer du soleil en famille © Denise Guex-Brun

Inspirés directement de l’univers du peintre Jean Monod en 1977, les costumes, comme les décors, sont le reflet des modes de l’époque. Les porteurs de soleil affichent un corps musclé, les gymnastes portent du lycra, les pantalons ne font aucune distinction de sexe et les bacchantes se dénudent, se rapprochant à la fois des costumes antiques mais aussi des mouvances de pensées contemporaines. D’autres matières apparues à la fin des années 1950, comme le polystyrène expansé (PSE) et des polymères toujours plus légers et résistants permettent notamment de façonner des masques, des accessoires ou des objets qui matérialisent les croquis réalisés par l'ariette. Son univers prend alors vie et crée une rupture entre les costumes inspirés des Fêtes précédentes et ceux directement sorti des nouvelles modes apparues dans les années 1970. Les gymnastes en lycra côtoient ainsi un Roi Soleil tout droit sorti d’un film de Science-Fiction, comme des armaillis et des vignerons en habit traditionnels.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Faune et bacchantes de 1977 © Roger Monnard

En 1999, la lourde tâche d’imaginer et dessiner les costumes revient à la costumière de théâtre, tout droit venue de Broadway, Catherine Zuber. Qui ne se souvient pas d’Arlevin et de son costume à carreau, semblable à celui d'Arlequin, des vignerons guerriers sortis d’un film d’action à la Jean-Claude Vandamme, de la suite de Cérès tout droit sortie d’un temple grec ou égyptien et des figurants costumés comme en 1791 et 1797 qui plongent le spectateur dans la mémoire des temps passés. A nouveau, les nouvelles technologies et les nouveaux matériaux entrent au service de l’artiste qui peut alors laisser libre cours à son imagination en mêlant à la fois les traditions et les modes de son époque.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Les vignerons guerriers de la Fête des Vignerons de 1999 © Marie-Jeanne Delaloye

Même s’ils sont parfois soumis aux caprices des metteurs en scène ou des auteurs, aux restrictions de la Confrérie des Vignerons ou simplement aux limites techniques et vestimentaires de l’époque, chacun de ces artistes a donné à son édition une couleur particulière, mêlant à la fois les traditions viticoles, antiques et contemporaines.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Les amis de la Noce © Markus Schweizer

Crédit couverture : Essayage des costumes en 1977

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Guillaume Favrod
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28 novembre 2019
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