Federer, le croquet et nos dimanches au jardin

15 juin 2022
Valérie Clerc

La Suisse doit beaucoup aux Anglais et c’est bien peu de le dire. Que seraient Chillon sans Lord Byron, Genève sans le Victoria Hall et la ville de Vevey dépourvue de la figure de Charlie Chaplin ?

Cette attraction réciproque s’exerce tout particulièrement au 19e siècle, époque à laquelle l’Empire britannique va du Cap au Caire et fascine par les progrès sans limite que promet son industrie. Cette fascination colonise tous les domaines de la connaissance, puisque qu’elle gagne jusqu’à la fiction. Frankenstein et Sherlock Holmes font d’ailleurs tous deux des incursions en Suisse.

Maintenant, au-delà de la machine à vapeur, du tourisme et du thé, il existe des liens largement insoupçonnés. D’ailleurs, qu’est-ce qui rapproche les maillets de croquet, les dimanches en famille et Roger Federer ? Tic-tac, tic-tac, tic-tac… De prime abord, le faisceau de correspondance semble improbable.

De Federer, tout le monde connaît les victoires sur le court et son incroyable aisance en conférence de presse, ce double exploit lui a d’ailleurs valu d’être la première personnalité suisse à apparaître de son vivant sur un timbre édité par la Poste suisse. Sportivement, sa carrière est surtout marquée par le tournois de Wimbledon, seul tournois du Grand Chelem sur gazon, dont il est l’incontestable spécialiste.

C’est précisément sur cette pelouse que se joue une partie de notre énigme. Le tennis ou plus exactement le lawn tennis (ou tennis sur gazon), inventé en 1874 par le major Walter Clopton Wingfield, connaît une popularité grandissante à partir de 1882. Le All England Club qui organise les premiers championnats de la discipline et à qui l’on doit toujours aujourd’hui la gestion du tournois de Wimbledon, était à l’origine un club de sport privé réunissant les adeptes d’une autre discipline : le croquet.

Le club est fondé en 1868 sous le nom de All England Croquet Club à l'époque où le croquet suscite un véritable engouement. Habillée en blanc, munie de maillets en bois, une très sélecte clientèle de sportifs s’affronte sur les pelouses londoniennes. Le but du jeu, terminer un parcours ponctué d'arceaux, en poussant des boules au moyen d’un maillet en bois. Les joueurs gagnent des coups lorsqu’ils passent un arceau ou qu’ils touchent une autre boule.

Ce sport aux déplacements modérés qui se pratique à l’extérieur colle aux mœurs de la société britannique de la fin du 19e siècle. Flegme et élégance caractérisent la discipline. De plus, la dépense physique étant modérée, d’incommodantes sueurs ne viennent pas perturber la partie. C’est donc une activité qui gagne bientôt un public de femmes, puisque le jeu ne met pas en péril leur réputation. Pouvant se pratiquer en robe longue, il préserve la pudeur victorienne.

Destiné à toutes et tous, ce sport qui favorise l’anticipation, la dextérité et le self-control se répand rapidement grâce au tourisme. Maillets et arceaux trouvent en Suisse une terre d’élection à la fin du 19e siècle. Les étendues vertes de moyenne montagne et les parcs des complexes hôteliers les plus en vue ne manquent pas de signaler à leur aimable et distinguée clientèle la disponibilité d’une ère de croquet.

Facile à pratiquer, le croquet devient rapidement populaire et il se pratique en famille à la belle saison. Pour animer les dimanches au grand air, une partie ne se refuse pas. D’ailleurs, un jeu de table existe pour les après-midis pluvieuses.

Sources

  • Claude le Saché, « Wimbledon une réputation à refaire », dans le Journal de Genève, 22.06.1982.
  • Jocelyn Rochat, « Cricket ou croquet ? Mode d’emploi pour ne plus jamais les confondre », dans Le Nouveau quotidien, 17.08.1994.
  • Jean-Marie Lhôte, Histoire des jeux de société, Flammarion, 1994.
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