Choeur Helvétia, 1940-45 (1)

Choeur Helvétia, 1940-45 (1)

Philippe Clavel

Chœur mixte l'Helvétia, entre 1940 et 1945.

Mon père, Georges Clavel, était vice-président en 1942 lors du 25ème anniversaire de la société.

Article paru dans la FEUILLE D'AVIS DE LAUSANNE du lundi 11 mai 1942

Un anniversaire

Ruth et le Choeur Helvetia

Le chœur mixte Helvétia fête son vingt-cinquième anniversaire. Il représente à Lausanne un trait d'union entre Vaudois et Confédérés de langue allemande. Son activité principale est le chant populaire, dans les quatre langues nationales. Déjà en 1890, une société de chant avait été fondée à Lausanne, au sein de la colonie suisse allemande. Mais elle ne posséda ni statuts ni procès-verbaux, se contentant de se réunir à l'occasion, par amour du chant. En 1901 était fondé régulièrement le Gemischler Chor des deutschen protestantischen .Nationalkirche, avec comité et règlement prescrivant droits et devoirs des membres. Enfin en 1917 ce chœur déclara son indépendance, sous le nom de Gemischtes Chor Helvetia, et justifia son existence par une activité artistique toujours accrue. En 1926 à Olten; en 1930 à Monthey; en 1933 à Vevey; en 1937 à Payerne, chaque fois, aux concours des fêtes fédérales et cantonales, le chœur mixte Helvétia obtenait de fort beaux résultats, concrétisés par d'enviables récompenses.

Depuis 1924, l'Helvétia est dirigé par M. Emmanuel Barblan, professeur, et présidé depuis à peu près autant d'années, par son président actuel, M, Ernest Bütiger.

A côté du chant populaire national, dont toute une série de concerts en costumes, sous le titre « Le chant populaire à travers la Suisse et les âges », le chœur mixte Helvétia met parfois à l'étude des œuvres d'envergure, bien faites pour le développement artistique de ses membres. Nous qui l'avons suivi depuis de nombreuses années, pouvons témoigner de son développement. Sans relâche, M. E. Barblan et M. Büetiger ont travaillé à élever son niveau artistique et à augmenter les effectifs. En 1938 l'Helvétia mettait en travail l'églogue biblique Ruth, de César Franck. La guerre en empêcha l'exécution publique. L'œuvre fut reprise récemment et donnée ce dimanche après-midi, au temple de St-François. Or, entre le chœur mixte Helvétia qui a chanté Ruth et celui qui se produisait il y a quatre ou cinq ans, existe le véritable abîme séparant un chœur plein de bonne volonté, mais aux voix inégales, et un chœur aux voix de qualité, bien discipliné, assoupli, et parfaitement sûr.

Ruth, églogue biblique, est une œuvre de première jeunesse de César Franck. Elle porte en elle les qualités et les défauts de son âge. Elle est d'une désarmante simplicité d'écriture, d'une naïveté et d'une transparence totales. Mais elle est absolument sincère et traduit bien les élans d'une divine pureté, qui étaient ceux de Franck. « Sa musique, a-t-on écrit, ne fait ni la bête ni l'ange. Elle diffère du Wotan des Nibelungen comme le plein jour de midi diffère du pâle crépuscule. Franck, le Wallon francisé, laisse aux Allemands leurs nébuleuses rêveries. Il garde du Français la raison lumineuse, le bon sens, l'équilibre moral. Sa musique, à égale distance des grossièretés matérialistes et des hallucinations d'un mysticisme équivoque prend l'homme pour l'élever sans vertige vers la paix et la sérénité. Elle provoque non l'extase, mais le recueillement. »

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Ce fut le 4 janvier 1846, il y a presque un siècle, qu'eut lieu la «première » de Ruth. L'œuvre commanda la sympathie et l'attention de quelques musiciens, mais la plupart des critiques n'y virent qu'une plate imitation du Désert de Félicien David, qui avait obtenu deux ans plus tôt un retentissant et éphémère succès. Un peu plus tard les œuvres de Wagner venaient écraser de toute leur envolée l'oratorio presque timide de César Franck, qui restera vingt-cinq ans dans l'oubli. On le reprend en 1871, et l'un des critiques qui l'avaient bien accueilli lors de la première audition, et disait alors: «M. César Franck est naïf, excessivement naïf, mais celte simplicité l'a assez bien servi dans la composition de Ruth », se reprend d'enthousiasme en 1871 et écrit: «C'est une révélation ! Cette partition qui, par le charme et la simplicité mélodiques, rappelle le Joseph, de Méhul, avec une grâce plus tendre et plus moderne, peut être hardiment qualifiée de chef d'œuvre . . . »

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En choisissant Ruth, pour le chœur mixte Helvétia , M. Barblan proposait à ses chanteurs une œuvre difficile parce que sa transparence trahit immédiatement toute imperfection et toute défaillance. Mais elle leur était parfaitement accessible et leur permettait, par leur travail, d'arriver à cette inestimable récompense: la perfection d'un travail artistique.

C'est le plus gros écueil en effet de nos directeurs de chorale que de se croire obligés, pour témoigner de difficultés vaincues, de choisir des textes dépassant sensiblement les possibilités techniques de leurs chanteurs. Avec Ruth, rien de semblable. Tout l'effort put se porter sur l'émission des voix, la couleur, couleur transparente, couleur d'aquarelle, et la ligne, une ligne pure, déliée, gracieuse, sans emphase. La partie chorale de Ruth est une musique d'anges, un chant séraphique sans passion et sans drame, mais non sans éclat et surtout tout auréolé de lumières exquises.

Le texte par contre est d'une indigence lamentable et il a fallu que le jeune César Franck fût soit ignorant de littérature soit par trop possédé de mélodie pour consentir à plier son génie naissant à cette parodie insipide et bête. Mais la musique se suffit à elle-même.

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L'interprétation par le chœur Helvétia fut absolument parfaite. Il y eut quelque hésitation dans le Psaume 150, qui ouvrait le concert. Ruth, par contre, fut interprété avec assurance, avec élan, avec virtuosité, si l'on peut dire. Et surtout avec clarté, avec charme, d'une très belle sonorité, et d'une diction achevée. Faut-il louer aussi l'apparence du chœur? Les dames sont en blanc, les messieurs en noir, en lignes éclairées d'une chaude lumière latérale, au pied des orgues? C'était un tableau bien digne de retenir l'attention et qui contribua, par son harmonie, au climat de l'œuvre.

Les solistes furent remarquables d'homogénéité. Leurs voix se mariaient admirablement et, de tous quatre, emplissaient sans aucune peine la grande nef, toute sonore de leurs beaux élans. Mme Lydie Opienska-Barblan, soprano, se trouva parfaitement à l'aise dans le « rôle » important de mezzo de Noémi. Elle sut à la fois charmer et émouvoir.

Mlle Odette Besson fit valoir un soprano généreux, pur et nuancé, dans la partie de Ruth, et Mlle Yolande Dubois, la talentueuse et sympathique cantatrice lausannoise, l'accompagna, en alto, avec bonheur et musicalité. M. Bernard Chevalley, une basse puissante et harmonieuse, barytona la partie de Bonz. Ses interventions furent marquées par la beauté sonore mais aussi par la beauté et la noblesse de la ligne.

Au piano, M. Max Gutzwiller remplaça avec talent la harpe du texte original.

Quant à l'orchestre, ici l'Odéon romand, il soutint très agréablement les chanteurs. Ses bois se distinguèrent tout particulièrement et nous avons déjà relevé l'excellence de l'introduction, qui fut rendue avec une véritable poésie. La partie de cor de la fin bénéficia de la présence fortuite d'un virtuose de cet instrument difficile, cauchemar des chefs d'orchestre. Ce fut, ce dimanche, un solo d'une rare pureté et d'une incomparable qualité de son.

Le temple de St-François était à peu près comble. On ose espérer ainsi que le chœur mixte Helvétia ne retirera pas qu'un bénéfice moral de sa belle et louable entreprise, ou qu'il évitera, pour le moins, un sacrifice financier trop lourd. Il serait bien regrettable qu'il faille payer de sa personne sans compter et tout un hiver pour mettre sur pied une œuvre de haute valeur artistique, et payer encore de sa bourse...

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Mais nous ne devons pas nous faire trop de souci à ce sujet. Le 25e anniversaire du chœur mixte Helvétia se célébra encore d'autre manière. Un succulent banquet (il s'agit par définition d'une « collation de guerre », mais il y a la manière et la qualité) fut servi à quelque cent cinquante membres et invités, le soir, au restaurant du Café Vaudois. L'humeur qui y régna témoigna suffisamment que tout souci financier était écarté. On s'en réjouit sincèrement.

M. Ernest Bütiger, le président, dynamique, clairvoyant et sympathique, y salua entre autres M. Schwar, inspecteur scolaire, délégué de la Municipalité; Troyon, ancien président de la Société cantonale des chanteurs vaudois (entre autres honneurs) et actuel président d'honneur, qui, sur proposition de M. Bütiger, est acclamé incontinent membre d'honneur de l'Helvétia ; Numa Rochat, l'actuel et distingué président central de la Cantonale; les représentants de très nombreuses sociétés amies, dont l'Aurore du Mont, l'Echo du Léman, le Frohsinn, société marraine de l'Helvétia, l'Orphéon, Chorale de la Pontaise, Chorale des Sapeurs-pompiers, Union chorale, chœur d'hommes, chœur mixte le Muguet, etc, etc; Dr Hubler, représentant du cercle suisse allemand de Lausanne, et bien d'autres.

La place nous manque pour rendre compte de cette partie commémorative, tout animée par la verve et l'esprit du président, par l'enthousiasme du major de table, M. Georges Clavel, vice-président, par les productions de l'orchestre Odéon romand, dirigé par M. Johannot, et rendue si intéressante par les discours prononcés.

Nous nous en voudrions cependant de ne rien dire des paroles remarquables de M. Bütiger, qui définit admirablement le rôle social et national du chant, en Suisse, et qui fut longuement applaudi. Par ailleurs, M. Bütiger se fit l'interprète de tous en félicitant comme il convenait directeur, solistes, interprètes et organisateurs,., n'oubliant que lui-même...

On entendit encore, parmi de nombreux orateurs, M. Charles Troyon, qui s'exprima avec une rare distinction; M. Schwar, qui souligna avec pertinence les mérites musicaux de M. Barblan ; Numa Rochat, animateur actuel de la Cantonale, etc., etc.

Mme Staehlé et Mlle Klopfenstein sont ensuite nommées membres honoraires. Mlle Lydia Zaug, qui compte 24 ans de sociétariat, M. et Mme Naef, 22 ans, Mlle Gutzwiller, 20 ans et Mlle Karer, 19 ans, sont abondamment fleuris.

Un bal acheva cette manifestation si réussie à tous égards et si heureux couronnement d'une activité aussi bienfaisante, qu'elle est admirable.

Henri Jd

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