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Du Haut Jura au Léman

3 janvier 1954
Morez France
L Reichen , La vie du Rail N° 428
Yannik Plomb

Le chemin de fer électrique de Morez à Nyon

MOREZ-du-JURA,

Centre de l'industrie de la lunetterie française d'une renommée mondiale, réputée également par ses fabriques d'horloges comtoises et ses manufactures de plaques émaillées, a attendu de longues années de bonnes relations ferroviaires qui la sortiraient de son isolement.

En effet, la transversale Andelot-La Cluse (Bellegarde) reliant entre elles les deux grandes lignes ferrées (Paris) Dijon-Vallorbe-Milan et Lyon-Culoz-Genève-Turin a été achevée en 1912.
Et le désir des industrieuses populations haut - jurassiennes d'être directement reliées aux rives du lac Léman a été réalisée seulement après la première guerre mondiale par la construction du chemin de fer électrique à voie étroite (1 m) Nyon-St-Cergue-Morez, ligne de montagne au parcours éminemment pittoresque.

L'exploitation de cette ligne internationale se divise en deux parties:

A) En Suisse par la Compagnie Nyon-St-Cergue-Morez - NStCM dont la section Nyon-St-Cergue, d'une longueur de 18 km 882 fut ouverte le 12 juillet 1916 et la section St-Cergue-La Cure, point frontière, longue de 7 km 874, le 8 août 1917.

B) En France, de La Cure à Morez, soit 12 km 110, par la Régie Départementale du Chemin de fer électrique de Morez à La Cure - MLC - ouvert le 7 mars 1921.

Tracée sur plate-forme indépendante, sauf dans la traversée de Morez, où elle emprunte la chaussée principale, cette voie ferrée est constituée avec du rail Vignole d'une longueur de 15 m au poids de 30 kg au mètre, fixé sur traverses métalliques sur le tronçon suisse et sur traverses bois sur le tronçon français avec un espacement de travelage uniforme de 0 m 50. La rampe maxima de 68 % est située sur' le tronçon français entre les points d'arrêt de Sous-les-Barres et Le Sagy. Quatre courts tunnels deux en France et deux en Suisse trois petits ponts, dont le plus long a 110 m, sur le tronçon suisse, sont les principaux ouvrages d'art de cette voie ferrée au profil difficile.

Ce chemin de fer a été, dès le début, exploité à l'électricité en utilisant pour la traction du courant continu de 2.200 volts qui lui est fourni par la Société des Forces Motrices de la Vallée de Joux à Vallorbe (Suisse) sous 10.000 volts transformé aux sous-stations de St-Cergue et Nyon par des redresseurs à vapeur de mercure.

La ligne de contact du type caténaire simple, portée par des poteaux en bois injecté, fixés partiellement sur plots en béton armé, a une section de cuivre de 85 mm2 + 2 feders de 2 X 64 mm2

L'ensemble du parc du matériel roulant NStCM et MLC, muni du frein Westinghouse à dépression et du frein à main, comprend:

1° Matériel moteur : 7 automotrices construites de 1916 à 937, du type B"B·, pesant à vide 34 t 5 et ayant une capacité de 36 places assises plus 25 places debout et un compartiment à bagages de 4 m2 de superficie. "

La puissance des 4 moteurs suspendus par le nez - réduction d'engrenages 1 : 4.35 est de 4 X 100= 400 env. chacun travaillant en série lors du démarrage et en parallèle par groupe de 2 moteurs en marche normale. Ces automotrices, dont la vitesse est limitée à 50 km/h, peuvent remorquer un train de 33 t et sont équipées du freinage électrique (sans récupération) et du frein pneumatique sur rail.
Un 'groupe convertisseur abaisse la tension de 2.200 volts à 300 volts pour l'alimentation du chauffage, de l'éclairage et du compresseur d'air; toutefois deux automotrices sont équipées depuis 1952 avec un appareillage d'auxiliaires sous tension de 2.200 volts qui a donné entière satisfaction et sera appliqué au fur et à mesure des grandes révisions à toutes les automotrices.

La Régie Départementale Morez-La-Cure possède en propre deux des automotrices. L'une construite en 1924 par la Société Dyle et Bacalan à Bordeaux, l'autre en 1937 par la Société de Construction de Matériel de chemin de fer à Villefranche-sur-Saône.

La partie électrique de tout le matériel moteur a été équipée par Brown-Boveri et Co et présente dans son ensemble les caractéristiques des automotrices de la ligne suisse Coire-Arosa (rampe 60 0/(0) de ce même constructeur et de la même époque.

2° Voitures : 4 grandes voitures à bogies dont 2 -MLC, (tare 4 capacité 48 + 28 pl.); 8 voitures à 2 essieux, dont 1-:MLC-; 4 voitures à bogies (ex-C.F.V. Jura), dont 4 -MLC.

3° Wagons : 16 wagons couverts (K), dont 8 -MLC-. 20 wagons plats et petits bords (L. et M), dont 10 -MLC-; 2 wagons-tombereaux (T).

Tous les wagons ont une capacité de charge de 10 t.

Les essieux de 5 de ces véhicules ont des boîtes à rouleaux.

Le déblaiement de la neige est assuré par un chasse-neige indépendant (poids 12/18 t) et une pelleteuse, système « De Brun » montée sur wagon et actionnée
par moteur électrique, qui déblaie les congères et évacue la neige accumulée dans les tranchées.

Tout ce matériel circule indistinctement d'un réseau sur l'autre, le personnel roulant assure toutefois le service sur son propre territoire et exceptionnelle-
ment, suivant les nécessités de l'horaire, sur quelques trains de part et d'autre de la frontière.

Le trafic essentiellement touristique et saisonnier se stabilise actuellement à environ 160.000 voyageurs par an sur le tronçon français pour un kilométrage-
trains annuel de 52.000 km. Le record a été atteint en 1947 avec 280.000 voyageurs. Des billets d'excursion « Fer-Bateau » pour les principales stations du lac Léman attirent chaque été un nombre important de touristes, tandis que les sports d'hiver intéressent principalement la période de week-end.

Le tonnage de marchandises transporté sur ce tronçon en 1952 a été de 3.500 t, il se composait principalement de sciages de bois, boisselleries, etc. ...

La transhumance des troupeaux de bovins passant l'été sur les vastes pâturages jurassiens provoque sur' le tronçon suisse des transports spéciaux assez importants.

La desserte de la ligne est assurée par six aller et retour de trains journaliers couvrant en 2 heures - arrêts compris - le parcours de bout en bout, créant
ainsi des relations rapides d'une part entre Morez, ses voies d'accès en provenance de Paris, Lille, Strasbourg, d'autre part. Nyon, en correspondance avec les
trains CFF, de la ligne (Lyon) Genève - Lausanne - Bâle/Zurich, de l'embranchement sur Divonne-les-Bains (Gex-Bellegarde) - une des rares lignes, CFF encore exploitées à la vapeur et les bateaux de la Compagnie de Navigation sur le lac Léman dont les pontons desservent notamment les centres touristiques riverains et stations thermales de Suisse et Savoie.

Allongée au fond de l'étroite et profonde vallée de la Bienne, dominée par les viaducs aériens de la ligne d'Andelot et de Saint-Claude, la petite ville de, Morez-du-Jura, 5.000 habitants, est le point de départ français du tracé.

C'est précisément en gare de Morez SNCF, 0 km, attitude 732 m, que les confortables voitures vermillon du -NStCM- invitent le touriste à la tentation du voyage. Le train, après une courte descente - pente max. 64 0/00 - s'engage 'dans la longue rue principale de la métropole de la lunetterie et fait halte au centre de la ville, station Morez-Ville, 0 km 910, altitude 700 m, à proximité des vastes locaux modernes de l'Ecole Nationale d'Optique « Victor Bérard » (un enfant du pays), pépinière de futurs artisans opticiens lunetiers. '

Le tracé établi ensuite sur plate-forme indépendante, en accotement de la Route Blanche (Nationale n° 5) délaisse les scieries échelonnées le long du cours de la Bienne et épousant le flanc de la montagne aborde carrément la forte rampe - max. 68 0/00 - qui l'élèvera aux plateaux rousselands. En effet, peu à peu le paysage devient plus aéré, tandis que l'horizon couvre en un grand cirque la ligne onduleuse des sommets jurassiens, verrouillée à sa gauche par les bastions impressionnants du fort, proche de la gare des Rousses, 9 km 530, alt., 1.110 m.

C'est au chemin de fer que le plateau des Rousses doit son essor touristique qui en a fait la grande station de ski du Jura français, renommée par les compétitions internationales qui s'y disputent. Cette région, au climat tonique des moyennes altitudes, est aussi un centre de splendides excursions d'été. Le lac des Rousses notamment est un asile de repos pour les convalescents. L'industrie du bois y est prospère et fournit les épicéas de résonance utilisés pour la fabrication des carillons d'intérieur et pianos.

Le hameau de La Cure, commune des Rousses, étant situé à cheval sur la frontière franco-suisse, deux stations le desservent : La Cure-France 11'km 760, altitude 1.165, m et La Cure-Suisse 12 km 110: '

Après ces stations où s'effectuent les visites douanières arrêt 5 min. le train grimpant encore s'enfonce dans les grands bois et pâturages de La Givrine
pour atteindre le point culminant du tracé à l'altitude de 1.233 m qu'il franchira au col de St-Cergue pour redescendre - pente max. 55 0/00 - sur le village de ce nom.

Saint-Cergue, 19 km 990, altitude 1.047 m, station touristique admirablement située, se présente comme un balcon surplombant le lac Léman, face aux Alpes, couronnées majestueusement par le massif du Mont-Blanc.

Le télésiège de la Barillette, propriété du chemin de fer, hisse ses passagers (32,800 en 1952) à proximité du sommet de la Dôle, altitude 1,680 m. d'où l'on découvre le plus grandiose panorama du haut Jura. Poètes et savants de tous pays ont célébré la beauté du tableau qui se déroule de ce belvédère; ainsi J.-J. Rousseau s'écrie : « L'instant où des hauteurs du Jura, je découvris le lac de Genève, fut un instant d'extase et de ravissement.. »,

tandis que Gœthe écrivait à son retour de l'ascension : « Il n'y a point de termes pour exprimer la grandeur et la beauté de ce spectacle., » « Du sein des neiges que de rochers noirs, de dents, de tours et de murailles s'élèvent diversement rangés formant de sauvages et impénétrables portiques !. .. »

Quant à la dernière partie du trajet- pente max. 50 0/00 - Lamartine nous en donne la description suivante : ... « Le lendemain au point du jour, je descendis vers Nyon, C'était au mois de mai, le ciel était pur, les eaux du lac resplendissantes et tachées, çà et là, de quelques voiles blanches. L'ombre des montagnes s'y peignait du côté de Meillerie, avec leurs rochers, leurs forêts, leurs neiges. »

Mais le parcours touche à sa fin, voici la riche campagne vaudoise, les vignobles étagés de La Côte, prometteurs de crus fameux et la coquette petite cité de
Nyon 39 km 110, altitude 420 m. le terminus de la ligne, serrée autour de son château moyenâgeux

Une sirène hurle sur le lac, c'est le grand bateau blanc de Genève (22 km) tous pavillons déployés, qui majestueusement accoste au port. « Les passagers

pour Ouchy-Lausanne, Montreux, Evian, Thonon... embarquons! »
La féerie d'un voyage, sur une de nos plus belles lignes de chemin de fer de montagne continue ...

L. Reichen

Les renseignements techniques et statistiques de cette étude nous ont été aimablement communiqués par JI. Tournier, chef de service de la Régie Départementale des Chemins de fer de Morez à La Cure.

Nous l'en remercions vivement.

Source: Du Haut Jura au Léman, Le chemin de fer électrique de Morez-Les-Rousses à Nyon (Suisse), La vie du Rail N° 428 du dimanche 3 janvier 1954

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Yannik Plomb
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2 janvier 2013
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