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Flèche de Villette, croix ou coq ?

Philippe Chappuis

Ces réflexions nées de la confrontation des images réunies dans la galerie Bourg de Villette Lavaux . L'ornementation de la flèche du clocher de Villette change au cours des siècles, alternant croix, coq et parfois les deux.

Coq et croix (plan cadastral bernois 1710-11)

Coq en 1899 (Max van Berchem, Wikimedia)

Croix en 2016

Marcel Grandjean, historien d'une grande envergure et un maître en la matière, à l'origine de l'enseignement de l'Histoire des Monuments à l'Université de Lausanne a écrit un texte très fouillé sur les Temples Vaudois (Architecture réformée dans le Pays de Vaud (1536-1798), Bibliothèque Historique Vaudoise 1988) qui a inspiré largement ce commentaire.

Les toitures des clochers sont en général terminées par un ou plusieurs objets symboliques ou décoratifs fixés sur une tige de fer qui peuvent servir de girouette: pommeaux, croix, coqs, bannières armoriées..Contrairement à une opinion très répandue, nous dit Grandjean, les croix de clocher n'ont pas été systématiquement détruites à la Réforme , puisque certaines croix catholiques ont survécu jusqu'à nos jours, étant même régulièrement entretenues, et que d'autres sont attestées longtemps, avant d'être éliminées à l'occasion d'une restauration et plus rarement d'une recrudescence de l'iconoclasme, qui reste sporadique durant toute l'époque bernoise. L'état d'esprit iconoclaste n'est pas général, bien au contraire, puisque des ferronniers fournissent encore des croix pour les temples bien après la Réforme. Ainsi, en 1585, après le grand tremblement de terre, on fit faire, à Gryon, un nouveau coq et une nouvelle croix de fer par le serrurier Jacques Richardet de Vevey. On ne se demande pas pourquoi sur l'Eglise mixte de Bottens en 1711, les Bernois voulaient mettre un coq ou une girouette et non une croix comme les Fribourgeois, discussion qui ne se reproduisit pas pour l'Eglise mixte d'Echallens en 1727 et pour la chapelle d'Etagnières, mixte aussi, en 1768 où les communes elles-mêmes firent placer une nouvelle croix.

La flèche actuelle de l'Eglise protestante de Bottens et la flèche actuelle de l'Eglise catholique St Etienne de Bottens (1843) (image de Anne-Marie Martin-Zürcher) montrent une harmonieuse synthèse...

Quant aux coqs, dont on pense qu'ils sont un emblème typiquement protestant, ils n'en remontent pas moins au coeur du Moyen Âge. Ils symbolisent, (entre autres) le temps, la vigilance et la prière. Ces coqs ou "pollets" sont parfois montés en girouette, comme, en 1798 sur l'Eglise neuve du Mont

(image actuelle Temple du Mont-sur-Lausanne )

Mais il est vrai que les coqs ont quelquefois remplacé les croix plus tard comme à Villette en 1728, la croix étant vendue à un couvent fribourgeois en 1733. L'historien Benjamin Dumur relève effectivement dans le registre des baptêmes de Cully: le 30 septembre 1728 : « on a pose le pommeau, l'eguille et le coq sur le clocher... y ayant auparavant une croix en fer... laquelle pour sa pesanteur avait fait pencher le bois auquel elle etait attachee"

Sur la base de nos images de l'Eglise de Villette, on ne sait rien de l'ornement de la flèche médiévale mais l'on sait que la construction du clocher posé sur le choeur remonte au XIVe s, à l'avant-garde de tous les clochers échelonnant leur flèche de pierre le long du Rhône, jusqu'au Léman, s'apparentant à ceux de la vallée d'Aoste et plus loin encore dans les Alpes françaises et le Dauphiné. Dans un manuscrit de la Bibliothèque Universitaire de Lausanne se trouve une "copie de l'inscription trouvée dans la pomme d'estain au-dessus de l'aiguille de la tour de Villette le 16 septembre 1728". C'était l' habitude ici dès le Moyen-Âge d'enfermer ces mémoires de commémoration des travaux dans les pommeaux juchés au haut des clochers, comme à Villette dès 1673.

La première image est celle du plan cadastral bernois 1710-11 montrant l'association de la croix et du coq (et peut-être l'esquisse d'un pommeau). Benjamin Dumur nous apprend que la croix est enlevée et vendue en 1733.

L'image de 1899 de Max van Berchem montre que le coq a résisté au temps...

mais, lors de la restauration de 1924-32, une croix le remplace jusqu'à ce jour

Encore, pour ceux qui aurait résisté à l'endormissement, le texte donné sous COQ dans le Glossaire des termes techniques à l'usage des lecteures de la "La Nuit des Temps" des Moines Bénédictins de la la Pierre qui Vire (Ed. Zodiaque): Dans l'art chrétien, emblème de Saint Pierre, symbole de la résurrection, de la vigilance chrétienne, des prédicateurs. Selon un usage français qui remonte au XIIe s.on le place avec la croix sur le faîte des clochers.

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Philippe Chappuis
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17 juillet 2019
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