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La mémoire de Françoise

Charly Arbellay
Charly Arbellay

Françoise Theytaz

Quand la doyenne d’Anniviers se souvient

Samedi 9 janvier 2000, j’assistais à l’assemblée bourgeoisiale dite "des Rogations" à Grimentz pour le Nouvelliste. Comme c’est la tradition là-haut, un pain-cressin est offert à toutes les « familles bourgeoises tenant feu ». Cependant, le président Clément Salamin proposait d’en offrir un à Françoise Theytaz, la doyenne du val d’Anniviers qui venait de fêter ses 104 ans sept jours plutôt. «Accompagnez-nous » me lancent deux jeunes dames du service médico-social de la vallée en charge de la centenaire. «Nous avons rendez-vous avec elle et nous allons lui faire une surprise !» Et nous voilà partis en direction d’Ayer sur l’autre versant de la vallée.

Françoise Theytaz se trouvait dans sa cuisine. Elle avait préparé du vin chaud et le petit appartement embaumait la cannelle et l'anis étoilé. Après quelques instants de convivialité, je lui proposai de réveiller quelques souvenirs du passé. Sa petite chambre donnait sur l'église. Le sujet était tout trouvé.

La construction de l'église d'Ayer

Françoise, vous souvenez-vous de la construction de l’église ?
« Ho que oui ! Je me souviens de tout ». Et de raconter comme si c’était hier.

Pierre-Marie Epiney
L'église Sainte-Anne
L'église Sainte-Anne

Le village d’Ayer, tout comme celui de Grimentz était affilié à la paroisse de Vissoie. Les habitants s’y rendaient le dimanche pour assister à la messe, parcourant cinq kilomètres à pied, donc 10 pour l'aller-retour. «On avait bien une chapelle au sommet du village, mais il n’y avait pas souvent des offices. Elle était si petite qu’on devait rester dehors sous la pluie ou la neige !

Pierre-Marie Epiney
L'ancienne chapelle
L'ancienne chapelle

L’ancienne chapelle démolie

En 1913, juste avant la mobilisation, les hommes du village se sont constitués en comité et ont écrit à l’évêque (Mgr Jules-Maurice Abbet, évêque de 1901 à 1918) pour dire qu’on ne pouvait plus continuer comme cela, que les vieux ne pouvant plus marcher deviendraient des païens. Il a dit qu’il était d’accord d'établir un rectorat mais qu’on devait construire une église et même une maison pour le prêtre, un prieuré».

Puis arriva la guerre

Entre temps, la première guerre mondiale éclate. La Suisse mobilise.

«Les hommes qui ne sont pas allés au militaire ont commencé à faire plat le pré juste en dessous de la maison de la bourgeoisie et tout ça en plus du travail de la campagne et du bétail. Les anciens travaillaient surtout le dimanche. Je me souviens très bien. Avec la voisine on leur apportait du vin, de l’eau, du café et du pain de seigle».

Annus horribilis

La guerre se termine en 1918, une année terrible pour Françoise qui perd son papa victime de la grippe espagnole.

"Quand les nôtres sont revenus du militaire ils ont beaucoup travaillé à la construction de l’église et de la cure. Il y avait des maçons de Sierre, du Haut-Valais et même des étrangers. Parfois le dimanche, il y avait deux cravatés de Sion qui montaient ici pour contrôler si les maçons construisaient juste ».
(Note : il s’agit de Joseph et Alphonse de Kalbermatten, les architectes mandatés).

La construction a duré de 1914 à 1920, soit 6 ans. Selon Sophie Providoli, historienne d'art, cette église appartient au Heimatstil.
Entre temps, Françoise est allée travailler en plaine. Dès lors, ses souvenirs sont plus confus.

« Les maçons ont construit d’abord l’église. Un charpentier a posé un clocheton sur le toit pour sonner le tocsin. Le clocher a été construit plus tard et les cloches ne sont venues qu’en 1920 pour l’inauguration. Mais comme c’était joli, on a laissé le clocheton ».

En 1920 les travaux sont achevés. Place à l’inauguration et à la consécration. Les festivités se déroulent du 23 au 25 juillet 1920. Le vendredi 23 est réservé à la montée des cinq cloches depuis la gare de Sierre jusqu’à Ayer au moyen de quatre chars fleuris et attelés. « Le samedi, Mgr Bieler, nouvel évêque, est venu les bénir ainsi que l’église. Ensuite les hommes ont monté les cloches pour les accrocher à la charpente du clocher ».

Cette année-là, Françoise avait 24 ans. Ses souvenirs sont plus généraux lorsqu’elle évoque le banquet du dimanche. Elle parle des nombreuses personnalités de Sierre et de l’ensemble de la vallée qui étaient présentes, notamment le conseiller d’Etat Joseph de Chastonay et bien entendu le curé de la paroisse l’abbé Francey ainsi que le premier recteur d’Ayer, l’abbé Martin. Ces invités étaient accueillis par le président de la commune d’Ayer Joseph Peter.

Bien plus tard…un autre souvenir

Françoise rit de bon cœur, lorsqu’elle évoque la présence d’un artiste étranger venu décorer l’église en 1943. Elle avait alors 53 ans. « Un jour, un Italien est venu avec de la peinture. Il était gros et gras et buvait beaucoup du café noir très fort. Il dormait à la cure. Durant plusieurs jours, il est resté dans l’église, même le soir et parfois jusqu’à minuit. Il a fait de très jolis dessins de Jésus, des anges, de la sainte Vierge Marie et plein de belles choses. On a été très content de lui ! »

Pierre-Marie Epiney
L'intérieur
L'intérieur

© Jean-Louis Pitteloud

Pierre-Marie Epiney
Alfredo Cini
Alfredo Cini

Cet Italien était Alfredo Cini, (1887-1970), un peintre florentin installé en Valais depuis 1922. Il avait également peint diverses fresques à la chapelle de Zinal, Veyras, Noës, Niouc, l’hôpital de Sierre, etc..

La commune et la bourgeoisie d’Ayer lui ont accordé le titre de «bourgeois d’honneur».

Pierre-Marie Epiney
Ayer dans les années 40
Ayer dans les années 40

Cette carte postale date de 1940, on distingue encore le clocheton de l’ancienne chapelle à droite.

Voir aussi

Une autre chapelle construite à la force du poignet

A propos de la construction de l'église d'Ayer, voir ces documents

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  • Christian Freudiger

    Merci Pierre-Marie ! J'aurais aimé assister au transport et à la mise en place des cloches ! Comment cette construction a-t-elle été financée ?

    • Pierre-Marie Epiney

      Une réponse partielle se trouve dans le tome III du livre "Le Passé du Val d'Anniviers" d'Erasme Zufferey édité par Michel Salamin à la page 239 :

      "Les habitants d'Ayer, poussés par quelques cerveaux mégalomanes, bouchons de cruches plus ou moins sonores élevées sur le chandelier, s'aidant de la vanité et de l'esprit de clocher, voulurent se constituer en paroisse. Quand la passion s'en mêle, on trouve assez d'argent. En peu de temps, on souscrivit 22'000 francs, dont les intérêts devaient suffire, semblait-il, au traitement d'un recteur. C'était beaucoup pour une population de 300 âmes. Et cependant, ce n'était que le commencement des dépenses."

      Il y a aussi eu une loterie organisée voir ce document : notrehistoire.ch/entries/lyYnl...

  • Charly-G. Arbellay

    Le Valais a construit plusieurs centaines de chapelles et églises. Françoise m’avait dit : « On avait pas d’argent et le peu qu’on avait on le donnait pour l’église ». Phrase corroborée par le sociologue Bernard Crettaz : « Les curés disaient que Les Anniviards naissaient damnés». Alors ils vivaient leur existence pour se racheter. Du moins, le plus crédules… »

  • Nicolas Perruchoud

    La générosité de nos populations pour ériger chapelles et églises a été remarquable en un temps où l'argent était rare. Elle était évidemment stimulée par le clergé. Le mensuel bulletin paroissial signalait les généreux donateurs, ce qui créait une émulation dans le don. Un exemple, celui de la chapelle de Réchy, bénie en octobre 1826. Sa construction est due à l'initiative de privés - seize personnes - regroupés dans la confrérie de Saint-Mathias. Les frais considérables ont été payés par les dons des confrères et des messes qu'ils ont fondées. Une cave servait de crypte. Les revenus des vignes et des prêts consentis par la confrérie procuraient les ressources nécessaires. Une association pieuse et vigneronne qui a trouvé le moyen de concilier le Saint Esprit et l'esprit de vin ! Malheureusement, ce sanctuaire de style rural a été démoli en 1967, sacrifiée aux exigences de la sécurité routière. Une nouvelle chapelle l'a remplacée de style anonyme, mais qui conserve le maître autel d'origine et une rareté : un magnifique chemin de croix peint sous verre de 1830.

Pierre-Marie Epiney
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15 mars 2025
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