Une petite boîte qui en dit long

1888
Philippe Chappuis

Cette minuscule boîte à médicament, assez artisanale, pas plus de 3 cm de diamètre, je l'ai trouvée dans les trésors laissés par ma soeur Anne, comédienne à Bruxelles, décédée en juin passé. Ma soeur gardait tout et s'est, sa vie durant, entourée affectueusement de mille et mille objets aimés. Il a fallu avant elle que plusieurs générations, des Chollet, des Chappuis, aient, peut-être avec d'autres motivations, ce goût et ce respect pour les objets que l'on charge de sens. Un miracle donc que cette minuscule chose soit encore là. Et si j'ai repris la plume sur notre histoire c'est que cette trouvaille m'a ouvert tant de champ de mémoire que j'aimerais les partager..., peut-être encore un vieux rêve.

Cette boîte est marquée de la Pharmacie Chollet à Moudon. Elle a probablement été délivrée par le dernier pharmacien de la dynastie Chollet, Paul Chollet, avant 1890. La pharmacie se situait rue St Bernard au numéro 1 et pris le nom de pharmacie St Bernard. C'est Antoine Chollet (1755-1820) qui l'a créée en 1783; la pharmacie se maintint tout au long de 4 générations de pharmaciens, de père en fils, Samuel 1790-1867, puis François (1818-1871), que l'on voit ci-dessous avec ses enfants dont Paul, debout à droite de son père

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et enfin Paul (1852-1890) que l'on aperçoit ci-dessous devant la pharmacie avec son chien.

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A son décès, à peine 40 ans, la pharmacie sera reprise par Louis Peter.Valentine Chollet, la mère de Suzanne Chappuis, ma grand-mère, était la cousine germaine de Paul, et le Dr Charles Chollet, le grand-père de Suzanne

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était le frère de François, le 3éme pharmacien. C'est ainsi que je peux imaginer le milieu "médical" dont est issu Suzanne et les traces que cela a pu laisser chez elle.

Pilules de quinine, 0,05 grammes, voilà qui ouvre le champ passionnant de l'histoire des traitements des maladies humaines. La quinine présente en pilule dans cette petite boîte est une substance découverte au début du XIXème siècle par deux pharmaciens parisiens, Joseph Bienaimé Caventou et Pierre Joseph Pelletier, qui en 1820 parviennent à l'extraire de l'écorce de quinquina jaune et à en approcher la composition chimique. Avant eux et de très longue date certainement, les hommes ont eu recours à l'écorce de quinquina (l'arbre à fièvre) dont ils avaient observé l'effet bénéfique sur la fièvre, surtout sur des formes de fièvre périodique. On appela cette fièvre, la fièvre des marais, d'où sont nés les termes de paludisme et de malaria, bien avant que l'on ait découvert le parasite responsable. On pensait que la maladie était transmise par les émanations des marais (mal aria).

C'est à la fin du XIXème siècle que fut découvert, en 1880, par le médecin Alphonse Laveran, un des parasites responsable d'une forme grave de paludisme, le plasmodium falciparum. En 1897, l'anglais Ronald Ross met en évidence son mode de transmission par l'anophèle,un moustique, porteur du parasite. Ces deux découvertes fondamentales ont été, chacune, couronnées d'un Prix Nobel. L'article de Wikipedia que j'ai mis en lien donne une bonne idée de l'histoire de cette maladie contre laquelle il faudra attendre 2021 pour qu'un vaccin efficace voie le jour et laisse espérer la diminution de la mortalité impressionnante due encore, en 2022, à cette maladie.

Et qui donc dans la famille Chollet aurait eu besoin de prendre de la quinine. Là je suis sans réponse certaine, mais il est fort vraisemblable que ce soit le père de Suzanne, Louis Jaques (1840-1912). Louis est né en 1840 à Nyon, son père est instituteur et va être nommé à Vevey et ainsi Louis passera sa scolarité et son adolescence à Vevey. Il est protestant et ressent assez vivement l'envie de s'engager dans un travail missionnaire. Comme l'église protestante vaudoise n'avait pas encore d'activité missionnaire extérieure (le synode ne fonda la Mission Vaudoise qu'en 1874), Louis Jaques se tourne vers la Mission de Paris et est admis à l'école de la Mission en 1859, à 19 ans. Elle durera 2 ans. Il acquiert également des notions d'arabe et de soins infirmiers et le 30 septembre 1862, il s'embarque seul à bord de l'Estramadure et débarque au Sénégal. Il reçoit la mission de trouver un lieu d'implantation d'une mission protestante au Sénégal qu'il contribuera en pionnier à fonder en Casamance (article de Céline Badiane-Labrune).Louis Jaques y séjournera de 1862 à 1865, puis retournera au Sénégal de 1882 à 1887. C'est au cours de ce second séjour que Thérèse Chollet, soeur de Valentine, future mère de Suzanne

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participa à l'activité missionnaire de Louis dont elle devient l'épouse en 1884. Elle meurt quelques mois plus tard d'une fièvre typhoïde et sera enterrée au Sénégal. De retour en France, avec des séjours à Moudon, il épousera Valentine Chollet en 1888, et de ce mariage sont nés, en 1889 Charles et en 1891 Suzanne.

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J'ai retrouvé en avril 2022, aux archives de la Mission de Paris, une considérable correspondance entre la Mission de Paris et Louis Jaques qui est passionnante et montre l'envergure du personnage. Louis parle très souvent dans ses lettres d'accès de fièvre pour lesquelles il reçoit du médecin de St Louis au Sénégal des médicaments efficaces qui pourraient bien être à base de quinine...,

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  • Renata Roveretto

    ... très touchant MERCI cher monsieur Philippe Chappuis

  • Valérie Clerc

    Superbe enquête! Voilà qui vaut bien un Schweppes, dont la quinine fait aussi partie de la recette.

    La "Mission de Paris" à laquelle vous faites référence s'appelle, porte le nom officiel de Société des missions évangéliques de Paris. Il existe sur elle l'article Wikipédia que voici: fr.wikipedia.org/wiki/Soci%C3%...

    En ce qui concerne votre aïeul, Thérèse Chollet, morte de malaria, on peut retrouver un vibrant hommage sur sa personne dans le "Journal des missions évangéliques" du 1er août 1885 , pp. 329-332, disponible en ligne: gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6...