En guise d'introduction

© JACQUES DARBELLAY
Michel Savioz

EN GUISE D'INTRODUCTION
Sainte-Beuve définit le patois par une jolie formule : "une ancienne langue qui a eu des malheurs". Mais on le sait, le malheur des uns fait le bonheur des autres. En effet, si les dialectes provinciaux doivent céder le pas, dès le XIVe siècle, c'est pour assurer le triomphe de la langue d'oil qui deviendra le français.

Il fallait, pour supplanter le latin, une langue littéraire unique, soumise à des règles strictes. Le français, parlé en Ile-de-France, s'imposa. On' ne s'en inquiéta pas trop. Peu importait la langue officielle puisque pour l'expression orale, rien ne pourrait faire qu'on renonçât à ce parler du terroir où l'on était né. C'est ainsi que les dialectes, en se diversifiant d'une région à l'autre, se sont maintenus et nous mettent en contact avec une langue dont l'origine remonte à mille ans.

On a cru durant des siècles que cette langue était trop bien enracinée dans la terre de nos régions rurales comme dans le cœur de leurs populations pour être jamais abandonnée au profit du français des écoliers et des grammairiens. Et voici qu'en deux générations qu'on pourrait appeler l'âge du papier, le patois, après tant d'années de fidèles services et de mauvais traitements, subit son dernier malheur: n'être plus qu'un souvenir, un témoin d'une époque révolue, une curiosité ethnologique.

A défaut de pouvoir le sauver d'une fin somme toute honorable, puisque c'est de vieillesse qu'il s'en va et à un âge vénérable, va-t-on lui faire un enterrement de première classe? Ce serait prendre acte de sa disparition et camoufler sous les fleurs de la rhétorique notre indifférence ou notre résignation. Il y a mieux à faire.
Il en va de nos patois comme de nos tables valaisannes anciennes, de nos rouets, de nos raccards, de notre pain de seigle. Après avoir vendu à l'encan ces vieilleries, on s'est avisé qu'on bradait des trésors.

Aujourd'hui, le couvre-lit au crochet de grand-mère, la meule du moulin, les poutres des chambres à coucher aux inscriptions plusieurs fois centenaires, nous parlent d'un temps qui n'est plus. Ils nous disent que nos aïeux ont su vivre aussi et qu'ils avaient même quelquefois, sans s'en vanter comme nous faisons, un sens inné de la qualité de la vie. Et puisqu'il nous arrive de nous lasser d'une civilisation factice et standardisée, la poésie de ces objets hors d'âge invite nos imaginations à s'évader vers ce pays d'enfance qui nous fait communiquer par le phénomène de l'héritage psychologique avec des êtres et des temps que nous n'avons pas connus.

Le patois agit de même. Des mots, des tournures, des histoires bientôt incompréhensibles peuvent encore provoquer en nous un choc profond qui réveillera, sous la couche de la conscience claire, le moi originel relié, comme par un cordon ombilical, à toutes ces vies reçues et transmises pendant des
siècles et dont la lignée desquelles la nôtre prend rang et connaît sa juste mesure.

Voilà pourquoi ce projet modestement intitulé : "Patois d'Anniviers et d'Ailleurs" trouve un commencement de justification déjà parce qu'il est apparu nécessaire à quelques-uns. C'est un message venu de loin, à la recherche d'un destinataire; une voix humaine qui refuse de se laisser étouffer par le vacarme sans âme d'aujourd'hui.
Chaque fois qu'un auditeur, qu'un lecteur, reconnaîtra en lui cet ébranlement intérieur qui est émotion, le courant initial sera transmis et une lumière tremblante s'allumera. Elle ne lancera pas des éclats électriques, mais elle sera un signe plus chaleureux d'être plus fragile, comme la lueur d'un falot-tempête de jadis venant à notre rencontre à travers le temps.

JACQUES DARBELLAY

Patois d'Anniviers et d'ailleurs
Avec l'aimable autorisation de © Jean-Claude Pont.

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Michel Savioz
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22 septembre 2012
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