Tapuscrit du document manuscrit d'Alexandre Caloz

1 janvier 1956
3961 Chandolin, Anniviers
Alexandre Caloz (1880-1959)
Charles Henri Zufferey

Souvenirs du vieux temps

par Alexandre Caloz

( 1880 - 1959 )

Je suis né au Mayen de Chandolin le 23 mai 1880 de Alexandre et de Madeleine née Dorsaz, fille de Michel, de Bourg-St-Pierre, et de Marie Zufferey, d'Emmanuel, de St-Luc. Elle était en service à l'Hôtel du Soleil à Sierre et mon grand-père était postillon sur la grand-route du Simplon. C'est ainsi qu'ils ont pu se connaître et se marier !

Mon père était fils de Charles et de Anne, née Frily. Charles avait été au service de Napoléon de 1808 à 1812, fils lui-même de Charles qui s'était remarié avec une Antille de St-Luc, mais elle était tellement méchante que le fils, pour s'en débarrasser, s'engagea au service étranger.

En revenant de la guerre, il aurait bien voulu se marier avec Anne mais elle était trop jeune ( 12 ou 13 ans ) , alors il a marié une Salamin de St-Luc, qui était toute vieille et boiteuse , mais qui était un peu riche, et, comme on lui disait : "comment, un jeune homme comme vous, aller marier cette vieille !" "ah, disait-il, c'est qu'elle me fait brouter (?) le menton ! " Il a encore été 15 ans avec cette femme qui enfin a pu mourir. Alors il s'est remarié avec Anne, dont il a eu 2 fils : l'oncle Elie et mon père, et celui-ci n'avait que 2 ans lorsqu'il est mort, en 1837, des suites d'un chagrin : il avait les vaches à la Combaz et, un matin qu'il avait énormément neigé, quand il est allé le matin pour gouverner, il a trouvé l'écurie qui était vers le bassin de la Combaz (l'écurie) rasée par une avalanche, et les vaches dans la neige en bas du chemin encore attachées à la planche de la crèche. Il s'en est allé des suites de cet accident.

Mon parrain était Jérôme Zufferey de Jean, et ma marraine Euphémie Zufferey de Natché de St-Luc, qui était servante chez nous.

J'étais un gros poupon enfle et rouge et un peu enfant gâté parce que j'étais seul garçon à la maison avec 2 soeurs, Philomène et Alexandrine, mais, aussitôt que j'ai pu travailler, il a bien fallu bouger ! On était bien pauvre à la maison ; on gardait bien 3 vaches et on avait peine à les nourrir, il fallait bien travailler ; à 18 ans, j'ai recouvert la maison de Chandolin ; à 19 ans, il a fallu bâtir la maison de Soussillon ; à 20 ans , le raccard avec Alfred et, entre temps, on allait encore transporter du charbon ou des échalas par Fang pour qu'on puisse acheter du café et du sucre nécessaire à la maison ! Je me rappelle, quand on avait 12 ans, on allait ramasser toute la journée avec Philomène et Alfred les fraises par les "zours derri" et le lendemain on les apportait à l'hôtel à St-Luc pour 3 ou 4 francs ! Mais comme on était riche quand on avait tout ça !

Il n'y a pas de comparaison possible entre la vie qu'on a maintenant et celle qu'on avait dans ce temps! Je me rappelle que le père a été presque une journée pour creuser les racines d'un buisson d'épine-vinette qu'il y avait à Clourion et le lendemain il devait descendre à Sierre; il est allé charger le mulet roche (=roux) avant le jour et amener la charge à Sierre pour 2 francs 50 ! Une fois il y avait un étranger qui s'appelait Sordais (Sordet?), il a demandé au père s'il voulait lui amener ses affaires en gare de Sierre; bien sûr qu'il n'a pas refusé et il lui a donné 10 francs et toutes les grosses familles du village ont été furieuses qu'il avait pu gagner cela et pas eux !

On passait toute l'année sans gagner un sou; si on pouvait vendre 4 ou 5 brantes de vendange en automne c'est tout ce qu'on avait. Ou bien vendre quelques bétail mais c'était si peu payé. On a acheté une année une vache pour la boucherie, c'est vrai qu'elle était maigre et vieille, mais on l'a payée 90 francs. Quand Pierre Pont a bâti l'hôtel en 1897, on faisait 2 voyages depuis Fang pour 4 francs et encore jaloux si on ne pouvait pas y aller !

Quand on a reconstruit Soussillon , on n'avait qu'une mauvaise scie (banbane) de Daniel de Piro du bord. Elle avait les dents en crochets qu'on ne pouvait pas en faire façon ! On empruntait une de Louis Favre, mais il fallait mouiller pour l'avoir; enfin une fois on la lui a cassée et il a fallu supplier l'oncle Elie de me donner 20 francs pour la lui payer. Mais après on l'a remontée et quel bonheur de pouvoir travailler avec cette bonne scie ! Alors on a commencé à prendre de petites entreprises, en 1904 on a fait l'écurie de Mélanie à Chandolin et puis, cet automne-là, on a commencé de préparer les bois pour le bâtiment de Monsieur Bille à Chandolin et, quoique ce fût bien pénible, on était bien content de gagner un peu ! On avait 0 franc 25 le mètre courant, on faisait presque 5 francs par jour ! Ce qu'on était fier avec Alfred ! Ce qu'on était d'accord les deux ! On n'aurait jamais pu s'accorder avec un frère comme on s'est accordé les deux. Et il a fallu le voir partir en 1920, à 39 ans, pour une petite appendicite, qu'il aurait été si facile d'opérer à temps, mais on l'a laissé traîner plus d'un mois sans savoir ce que c'était, et quand on l'a opéré, c'était trop tard, il ne s'est plus réveillé ! Il avait un oncle qu'on disait riche en Amérique dans l'Idaho à Coeur d'Alene près de Denver Colorado Californie et je lui ai bien écrit après sa mort mais il ne leur a rien donné, mais les enfants ont été vite élevés et ils s'en sont bien tirés !

Je me suis marié en 1916, à 36 ans, et ma pauvre mère en a été si peinée ! En a-t-elle pleuré ! Elle comptait certainement que je ne me serais plus marié; aussi 9 mois après, elle s'en est allée là où on ne pleure plus. Voilà maintenant 40 ans que nous vivons ensemble avec ma pauvre femme et nos 10 enfants ! On a bien vu un peu de tout ! Au mois de novembre 1918 avec la grippe espagnole, j'ai bien cru rester seul, mais le Bon Dieu a eu pitié de moi et me l'a laissée! Et aussi, après la naissance d'Adèle, ça a bien été un miracle du Bon Dieu qu'elle ait pu rester encore avec nous ! Enfin, en 1931, qu'il a fallu l'amener à l'hôpital et laisser ces pauvres enfants tout seuls à Chandolin, c'était bien terrible aussi, mais enfin le Bon Dieu a toujours eu pitié de nous et nous l'a laissée ! On a eu bien des misères, on a perdu 6 vaches, le mulet, et beaucoup de mauvaises années, mais, quand on est ensemble, on supporte beaucoup. Ainsi en 1926 il a fallu soigner la pauvre Cendrine pendant presque 3 mois et la voir partir à 49 ans, elle qui pouvait encore tant nous aider ! La pauvre Anna à 8 ans a dû aller appeler Célestine à la minuit du 19 mai 1926 et ensuite la remplacer quand elle fut partie ! Voilà 30 ans déjà et je ne peux pas mourir encore !

L'oncle Elie est né aussi au Mayen le 1er mai 1833 de Charles et d'Anne; il était aussi pauvre que nous! Sa mère les laissait tous les deux au Mayen avec un peu de pain et de lait et elle partait après avoir soigné les vaches à Fribougze semer des fèves et rentrait au Mayen pour soigner les vaches à la tombée de la nuit et les deux enfants, seuls toute la journée ! , s'imaginant qu'il venait des morts ou des brigands, se cachaient sous les lits où ils restaient endormis jusqu'à ce que la mère venait les trouver ! L'oncle se rappelait qu'il avait mené le mulet pour traîner la plana de l'écurie de la Combaz depuis la granzetta jusqu'à notre grange, il devait avoir 6 ou 7 ans ! Il en a fait des constructions depuis lors ! Il a construit le fourneau de la chambre de Genoud à Chandolin à 15 ans, notre maison à Chandolin à 21 ans, la chapelle de Muraz la même année, la maison de Sierre à 27 ans. Mais toujours construire sans être payé, il était ruiné ; un moment où il ne trouvait plus de crédit, il était allé essayer de vendre une taure à la foire de Sion, mais n'ayant pas pu la vendre et comme il avait un urgent besoin d'argent (alors il n'y avait pas de banque) , il alla demander à l'évêque pour emprunter 400 francs. "Oui on vous donne mais il vous faut une caution solvable" , et il n'en trouvait pas facilement; à la fin il demanda à son cousin Joseph Caloz, lui il était connu. On lui a donné cette somme pour payer les maçons. Depuis lors il n'a pas cessé de construire mais il était payé. Il a fait une belle fortune : nous avons partagé 5 mille francs chacun sans compter les biens et les bâtiments.

C'était un homme très intelligent et ingénieux mais opiniâtre au travail; ce qu'il voulait faire il n'arrêtait pas qu'il l'ait achevé ! C'était pénible de vivre avec lui ; je pense que ces hommes un peu supérieurs sont tous comme cela, mais je ne souhaite à personne de passer ce que j'ai passé avec lui. Il a fait l'église de Chandolin à 50 ans (de 1882 à 1884), les orgues de la chapelle de Muraz, celles de l'église de Chandolin. Ce qu'il avait dans la tête il fallait que cela se fasse ! Il avait une haine terrible contre le café parce que, quand ils ont construit la cure de Chandolin avec le vieux Andereggen, il voulait tout le temps du café et l'oncle buvait avec lui. A la fin il a attrapé une maladie d'estomac dont il a assez souffert, mais il n'en a plus touché et il n'aimait pas qu'on en parle. Par contre il buvait assez fort de vin, 3 ou 4 litres par jour ce n'était pas pour lui faire peur ! Il avait aussi essayé de faire une horloge toute en bois, elle marchait mais ce n'était tout de même pas assez précis. Il a fait plus de 100 fourneaux rien qu'au village de St-Luc et il demandait 100 francs la pièce, ça lui faisait un joli revenu pour ce temps-là. C'était un homme grand et fort. Une fois, à St-Luc, il avait taillé le fond d'un fourneau et le propriétaire était allé chercher du monde pour le porter en haut au chemin mais, comme ils tardaient à revenir, il l'a pris sur le dos et, quand ils sont revenus avec les hommes, ils l'ont trouvé en haut au chemin !

Pour finir, le 21 janvier 1909, il a glissé dans l'escalier de la cave et il ne s'est plus remis. Il a traîné jusqu'au 2 mai , un dimanche matin à 5 heures ! J'avais veillé toute la nuit avec Augustin Caloz et alors ils sont venus l'oncle Pierre et Joseph Rion mais, comme ils ne voulaient pas commencer à prier ni l'un ni l'autre, on a dormi sur la table entre les deux, un comme avec une masse, et ils ont su qu'il fallait prier. Je suis remonté tout de suite. Il était mort. Il a laissé plus de 6 mille francs de legs, francs que nous avons versés à Monsieur Lagger qui était exécuteur testamentaire.

Eglise Sierre 1000

Eglise Chandolin 1000

Asile Saint Joseph 1000

Fond de mission Chandolin 1500

Caisse des pauvres Sierre Chandolin 600

Messes fondées Sierre Chandolin 500

Filleuls et filleules 500

TOTAL 6100

Nous n'avons qu'à le remercier et prier pour lui; comme disait mon grand-père : Paradisi gloriam !

Ecrit à Muraz/Sierre en 1956

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