Léman ou lac de Genève?

23 mars 1941
Pierre Chessex
L'origine et le sens des noms de lieux

Léman…ou lac de Genève ?

La question est facile à résoudre : la forme Léman est la plus ancienne, la plus logique et la plus exacte.

Mais le lac qui nous concerne a porté bien d’autres noms au cours des âges, en passant, entre autres, par Accion, Lémanè Limnè, Lemanos Limnè, Lemannus, lac de Lausanne.

Voici quelques précisions :

Aviénus, qui avait entendu par notre lac par les Grecs de Marseille, l’appelait Accion, ce qui veut peut-être dire pointe ou lame tranchante et pointue (la lame d’une faucille(?). Vers 676, Aviénus écrit Leminicum et agrum, c’est-à-dire le territoire lémanique.

César parle du lacus lemannus.

Strabon, un géographe grec, écrit Lémanè Limnè ou Lémana (Limnè signifie lac).

Ptolémée, un astronome et géographe grec du second siècle de notre ère, dit Lémanè Limnè ou LiménèLimnè.

A la fin du même siècle, Dion Cassius, un haut fonctionnaire de l’Empire romain, écrit Lemanos Limnè.

Les poètes romains Lucain et Ausone, ainsi que le géographe Méla, disent à leur tour Lemannus ou Lemanus.

Pline, l’encyclopédiste latin, écrit aussi Lemanus, imité par Marcellin.

Deux inscriptions romaines trouvées à Vidy disent clairement Lemannus. A l’époque romaine, la batellerie était active sur le lac, et les matelots étaient groupés en une corporation dite des bateliers du Léman (Nautac lacus Lemanni).

Au cinquième siècle, saint Eucher, narrant la passion des martyres de Saint-Maurice, dit Lemannus.

Seul, au neuvième siècle, le texte des Annales de saint Bertain donne au Léman le nom de mer du Rhône (Mare Rhodani).

Mais une autre dénomination était née, qui semble prévalu durant le Moyen Age ; on la trouve pour la première fois dans l’Itinéraire d’Antonin, une belle carte routière du onzième siècle de notre ère, sur l’emplacement de Vidy-Lausanne : c’est Lacu Lausonio.

La Table de Peutinger, autre itinéraire romain, du quatrième siècle probablement, donne une double information : sur la rive droite du lac, elle indique Lacum Losonne et, dans le lac, Lacus losaneses, Lacum Losonne pourrait se traduire à peu près par Lausanne-sur-le Lac. Ces diverses formes nous montrent que le au de Lausanne vaut un o bref. On de doit donc pas dire Lôsanne, mais Lozanne.

Le sieur d’Anglure, au quatorzième siècle, parle du lac de Lozanne.

Au seizième siècle, enfin, apparaît le nom de lac de Genève, souvent accompagné des mentions lac Léman et lac de Lausanne.

En 1538, Tschudi indique Lacus Lemannus, der Losbner-oder Jenfersee.

Une carte de la Chronique de Stumpf (1948) porte ces mots, qui montrent bien l’hésitation du moment entre les trois noms : Lossner See, Genffer See et Lacus Lemannus.

Una ancienne vue de Lausanne, gravée à Venise en 1567, porte Logo di Losanna.

Dès lors, le nom de lac de Genève semble l’emporter, à cause de l’éclat de la ville de Genève aux seizième et dix-septièmes siècles. Remarquons que la Suisse romande, à part Genève, cotinue à dire Léman. Ce nom a reçu une application usuelle par le nom de Département du Léman donné au pays annexé à la France en 1798. Mentionnons encore la République lémanique proclamée dans la nuit du 23 au 24 janvier 1798.

La Grande Encyclopédie, sous le mot Léman, dit que « le nom de lac de Genève est souvent donné à la plus resserrée du Léman entre Genève et Nyon, qu’on nomme aussi Petit Lac ».

Nous pouvons conclure : le lac formé par le Rhône entre Villeneuve et Genève se nomme Léman. Ainsi le veulent l’histoire et la toponymie.

On a rapproché le nom du Léman de ceux de la Limagne (jadis Lemane ou Limane) en Auvergne, de Limogne (Cahors), de Lémanc (faubourg de Chambéry), de Limeil, etc. Un petit port voisin de Douvres et un lac d’Ecosse (aujourd’hui : Loch Fine) portent, ou ont porté, des noms presque identiques à Léman Gabrys (op.cit., p. 124) rapproche le mot Léman du protoaryen Liman qui désigne de nombreux bras de mer, de nombreux restes d’eau salée entre la mer Noire et la mer Caspienne.

Que signifie Léman ? On a proposé lac tout simplement, au sens absolu, et reste de mer ; on a proposé pointe, lame aiguë et croissant, faucille. Un auteur a proposé le lac du désert, un autre le lac des ormeaux, un autre encore le lac de Lemos, ce dernier nom étant celui d’un homme, devenu celui d’une famille ou d’une tribu, en provenant d’une racine préceltique lemos, orme, ormeau.

On ne sait pas avec certitude qu’elle est l’origine du mot Léman. Peut-être trouvera-t-on un jour… 1

1 Cf. Pierre Chessex « Léman…ou lac de Genève ? » dans la Revue de Lausanne, 23 et 30 mars et 6 avril 1941.

Il n'est pas correct de dire ou d'écrire lac Léman, mais uniquement, "Le Léman" sinon cela devient un pléonasme.

Léman signifie lac en Grec.

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  • Jean-Yves Gabbud

    Vous permettez un brin de chauvinisme valaisan teinté d'humour? Comme l'essentiel de l'eau arrivant dans Le Léman provient du Valais, le lac devrait porter le nom d'une localité valaisanne. Pourquoi pas lac du Bouveret?

  • Claude Kissling

    Dans ce même ordre d’idée, le lac de Zurich pourquoi l’appelle-t-on pas lac de Rapperswil « Obersee » ou même lac de Tuggen ? En complément d’information, le plus grand lac situé entièrement sur le territoire suisse est celui de Neuchâtel soit 217,8 mètres carré.

Claude Kissling
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24 octobre 2019
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