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La gare de triage transforme le destin de Renens

© Témoignage de Monsieur Marcel Reymond
Sylvie Bazzanella

A cette époque, à Renens, il n'y avait presque que des employés des CFF

Mes parents étaient vaudois cent pour cent. Mon père a été élevé à Bussy-sur-Morges, ma mère à Villars-sous-Yens. Ils se sont connus dans les fêtes de villages. Mon père a travaillé dans l'agriculture puis il a trouvé un emploi au chemin de fer du BAM (Bière, Apples, Morges). C'était très peu payé; c'était la misère. Ma mère disait que la paye ne suffisait qu'au loyer, au pain et au lait. Pour le reste, il fallait se débrouiller !
Mon père ne pouvait plus supporter cette situation, c'est pour cette raison qu'il a demandé à entrer aux chemins de fer à Renens. A cette époque, à Renens, il n'y avait presque que des employés des CFF. Il a tout de suite été engagé.
Avec la guerre 1914-1918, presque tous les Italiens ont quitté la rue Neuve

Mes parents ont déménagé dans un train du BAM. A Morges, leurs affaires ont été transférées dans un wagon qui allait à Renens. Ils ont déposé un wagon en face du café du Commerce. Toute la rue Neuve était vidée de ses habitants. Elle était habitée par des Italiens et ils étaient presque tous partis avec la guerre 1914-1918. On a dit à mes parents qu'ils pouvaient choisir l'appartement qu'ils voulaient.

A ce moment, on parlait d'arithmétique et pas de mathématique

Je suis né à Renens en 1917 à la rue Neuve . Je suis allé au collège de la Gare. Nous étions tous habillés différemment selon les moyens de nos parents, plutôt mal. Il y en avait qui étaient en guenilles, avec des habits déchirés, rapiécés. Nous partions à l'école avec des serviettes. Certaines avaient des poignées, mais la plupart se portaient sous le bras. Il y avait aussi les serviettes doubles. On crânait. On se donnait un genre intellectuel. Nous écrivions à la plume. Nous la trempions dans un encrier avec un bec. Il fallait de temps en temps les remplir, sans faire de dégâts. A ce moment, on disait arithmétique et pas mathématique. La musique n'était pas enseignée en classe. Il fallait suivre des cours privés ou s'inscrire dans une société locale. Nous faisions de la gymnastique dans la salle entre les deux bâtiments. Si on voulait en faire un peu plus, il y avait les sociétés locales de gymnastique. A Renens, il y avait la Fédérale et La Gym Ouvrière. C'était la même chose pour le football, il y avait deux clubs, celui des patrons et celui des ouvriers.

A Renens Village, il y avait encore quelques paysans

A Renens Village, il y avait encore quelques paysans. Je me souviens de la ferme des Tilleuls. Le paysan avait vingt ou trente vaches. Il les mettait dans les champs le long de la rue de Lausanne. Maintenant que tout est construit, on ne reconnaît plus rien. A la Creuse, quand on monte depuis le village en direction de Bourg-Dessus, ce n'étaient que des vignes.

Mon père m'a pris, m'a jeté dans le lac et j'ai nagé

Je n'ai jamais appris à nager, j'ai toujours su. Mon père m'a pris, m'a jeté dans le lac et j'ai nagé. Je ne sais pas ce que c'est d'apprendre à nager. Quand j'étais à Eglisau, je traversais le Rhin à la nage. J'avais 15 ans. Je n'arrive pas à comprendre que certains gosses n'y arrivent pas.

J'ai été membre fondateur du Vélo Club Olympia de Prilly

Pour le sport, il y a ceux qui choisissaient le football et les autres le vélo. Il n'y avait que ça qui existait. On ne parlait pas d'autre chose. Le cyclisme et le football avaient la cote. L'ouvrier qui m'a appris à travailler était déjà coureur cycliste.

J'ai été classé premier au brevet des débutants à Lausanne en avril 1934. J'ai été membre fondateur du Vélo Club Olympia de Prilly. Avant j'étais à la Pédale de Tivoli.
On roulait beaucoup. Il y avait des compétitions. Les courses se déroulaient le dimanche. Au Prix des Eaux-Vives à Genève, j'ai fait ma meilleure course. On était cent-vingt au départ. J'ai fait deuxième, alors que j'aurais dû gagner. J'ai mené toute la course et j'ai été battu sur la ligne d'arrivée. C'est là que j'ai bu ma première bouteille de Coca-Cola. Il y avait une publicité pour faire connaître la boisson. J'avais vingt ans.

C'était en 1935 et une grande crise sévissait

Après avoir passé une année en Suisse allemande, j'ai fait un apprentissage de tapissier-décorateur. Après, je n'ai pas trouvé d'emploi. C'était en 1935 et une grande crise sévissait. Je me souviens que les gens faisaient la queue aux soupes populaires. J'ai trouvé un emploi pour le nettoyage des wagons à bestiaux des CFF. J'ai aussi travaillé une quinzaine de jours à la construction du réservoir de Jouxtens.

J'ai été appelé rue du Simplon, pour réparer un lit, dont le sommier avait été traversé par un éclat d'obus

Pendant la Seconde guerre mondiale, on ne pouvait se déplacer qu'en vélo. La nuit, il ne fallait pas mettre la lumière. En revanche, il y avait des dancings partout. On s'amusait comme si de rien n'était. A part les restrictions, la guerre ne nous pas beaucoup touchés.

Une fois, j'ai été appelé rue du Simplon, pour réparer un lit dont le sommier avait été traversé par un éclat d'obus. J'ai dû le reprendre pour le refaire. Vous vous rendez compte comme il a eu de la chance: il n 'a rien eu, le gars qui était dedans !

J'étais un peu privilégié. J'ai eu une 4CV Renault en 1950

J'ai passé mon permis de conduire en 1949. Je l'ai eu assez facilement. Ce n'était pas compliqué comme maintenant. Il fallait quand même montrer qu'on savait conduire et puis faire la table. A cette époque, les priorités et les sens giratoires n'existaient pas. Les feux non plus. A Chauderon, c'était un agent de police qui faisait la circulation.

J'étais un peu privilégié. J'ai eu une 4CV Renault en 1950. J'allais faire mes commissions à l'Innovation le 31 décembre en me garant devant l'entrée du magasin. C'était le bon temps.

Avec l'arrivée des Italiens puis des Espagnols, j'ai commencé à vendre beaucoup de matelas et des chambres à coucher
Pendant la guerre, je me suis mis à mon compte, à Renens. J'ai débuté dans un petit magasin au fond de la rue Neuve. J'ai été vingt ans là. La boutique a été démolie avec la construction du Métropole. Ma boutique se situait exactement à l'endroit où se trouve aujourd'hui la jolie fontaine de la place du Marché. J'ai commencé tout en bas de l'échelle. Au départ, mon activité de tapissier-décorateur consistait à rematelasser et à refaire à la demande des clients la décoration de leur salon. A cette époque à Renens, il y avait des tas de petits magasins : des épiceries et des boucheries à chaque coin de rue. C'était sympa!

Les années ont passé et mon activité s'est améliorée. J'ai fini avec trois magasins : un à la rue Neuve et deux à la rue du Midi. Avec l'arrivée des Italiens puis des Espagnols, j'ai commencé à vendre beaucoup de matelas et de chambres à coucher. L'un de mes magasins ne regroupait que les meubles d'occasion. J'ai arrêté de travailler en 1990. J'avais septante-deux ans.

Réf : Dis-moi d'où tu viens et raconte-moi Renens

Article extrait du Journal de la CISE (Commission Intégration Suisses Etrangers de Renens)
©Ville de Renens

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Sylvie Bazzanella
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9 juillet 2012
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