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1889 LA MUSIQUE A LA « FÊTE DES VIGNERONS DE VEVEY » Le Ménestrel (Paris)

25 août 1889
Vevey, Place du Marché
Le Ménestrel (Paris)
Le Ménestrel (Paris)

Le Ménestrel (Paris) 1889.08.25

LA MUSIQUE A LA « FÊTE DES VIGNERONS DE VEVEY »

Le spectacle grandiose, pittoresque et émouvant auquel viennent d'assister des milliers de curieux, cette glorification de la patrie, de la nature et du travail national qui se nomme la Fête des Vignerons de Vevey, on ne doit pas l'envisager comme une représentation théâtrale, encore moins comme une oeuvre individuelle.

Le scénario, naïf et touffu comme celui d'un ancien mystère, est en quelque sorte traditionnel, et a contenté de nombreuses générations. Les épisodes en sont tous réglés d'ancienne date, tout comme l'ordre et la marche des 2,000 acteurs, chanteurs et figurants improvisés. La partie chorégraphique, à laquelle les spectateurs de cette année ont volontiers donné la première place, a pour thème les jeux et les travaux du peuple suisse, qu'il moissonne dans la plaine, vendange sur les coteaux, ou paisse sur l'Alpe les troupeaux aux énormes « sonnailles ».

Ces travaux et ces jeux, le maître de ballet les ordonne rythmiquement et les poétise, s'il le peut. C'est tout, et c'est assez pour qu'une impression en résulte à la fois d'art et de réalité. M. Benjamin Archinard, directeur de la danse, a reçu tant d'éloges que les miens sont superflus.

Le côté plastique et pictural de la fête, disons-le en passant, n'a pas moins charmé le public et les connaisseurs. Ici, deux données à satisfaire : l'une antique et allégorique, l'autre réaliste et moderne. Le dessinateur officiel a compris que les laboureurs d'aujourd'hui peuvent être beaux dans l'Angélus de Millet, mais que, pris en masse, ils n'offriraient rien de pathétique. En vieillissant d'un siècle toute la paysannerie de la fête — "Watteau for ever, — M. Vallony l'a rajeunie étonnamment. Tout le monde avait donc revêtu la culotte et la veste Louis XV, et les tons chair, les rose tendre et les bleu, avec les gris et les vert pâle, ont fait une exquise symphonie.

La musique, à laquelle nous avons hâte d'arriver, doit suivre le programme traditionnel que nous avons esquissé : marches, hymnes et invocations solennelles à la patrie, au vrai Dieu et... au dieu du vin, puis d'autre part une série de choeurs et de ballets descriptifs. L'unité n'existe pas, elle ne saurait être réclamée au compositeur.

La partition de la Fête des Vignerons s'est si bien vendue que, sans une lecture antérieure à la solennité, je serais fort embarrassé d'en parler autrement que de auditu.

De sa partie héroïque et allégorique, M. Hugo de Senger a fait une espèce d'oratorio. Nous l'entendrons de nouveau, c'est à espérer, dans une salle fermée, et mille détails d'orchestration — perdus dans le plein air d'une enceinte immense — ajouteront au plaisir ressenti à la première audition. La noblesse du style est constante, et l'inspiration s'appuie sur une science sans pédanterie ni parti pris.

Déjà, à la fête de Vevey, on a applaudi vivement les récitatifs et les cantabile confiés aux voix expérimentées de MM. Séran, Dauphin et Romieux, grands prêtres de Palès, de Bacchus et de Cérès. Lorsque les ensembles vocaux seront interprétés par de vrais chanteurs et non pas par des choristes d'occasion, dont la sonorité ne répondait pas à la masse, il n'y aura plus aucun doute sur la haute valeur de la composition.

Quant à la partie descriptive et pittoresque de la partition, une opinion unanime s'est affirmée dès la première heure : les choeurs et les. Ballabile de M. Hugo de Senger sont charmants, et aussi pleins de fraîcheur mélodique que francs d'allure et de rythme.

On avait demandé au compositeur d'intercaler certains vieux airs dans sa musique nouvelle; grâce à un archaïsme élégant, que lui a suggéré sa connaissance des styles, cette partie de l'oeuvre à revêtu une unité parfaite. De sorte que l'époque et la couleur locale ne sont pas moins exactes pour les oreilles qu'elles le sont pour les yeux. La partition de la Fête des Vignerons survivra aux éblouissements éphémères de représentations qu'on ne reverra plus avant vingt-cinq ans. En la plaçant devant leur piano, les assistants y retrouveront leurs plus délicieux souvenirs.

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Roger Monnard
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1 novembre 2018
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