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Repérage
La passerelle du Sentier des Roses

La passerelle du Sentier des Roses

20 octobre 2021
Robert Di Salvo

Cette photo montre la passerelle en 2021, après son aménagement en arrêt de transport public conforme aux normes actuelles en matière d’accès pour les personnes handicapées. Le funiculaire Territet – Glion qu’elle enjambe est en effet une ligne de transport régional de voyageurs. Cet arrêt intermédiaire à l’avenue de Collonge, le premier et le seul de ce funiculaire plus que centenaire, a été inauguré le 28 octobre 2009. A droite du distributeur de billets on aperçoit une porte de quai automatique qui s’ouvre à l’arrivée de la cabine, comme dans un métro.

La passerelle dans son état d’origine, sans cette superstructure moderne, est visible, sur d’anciennes cartes postales trouvées sur le site www.riviera-image.ch, comme celle-ci:

notreHistoire.ch
Carte postale - La Passerelle du Funiculaire et la Dent du Midi
Carte postale - La Passerelle du Funiculaire et la Dent du Midi

Le Sentier des Roses relie l’avenue de Collonge en dessus de Territet et la route de Glion, qui monte en direction dudit village à partir du villages des Planches en dessus de Montreux. Le projet de funiculaire, à contrepoids d’eau à l’origine, est l’œuvre de l’ingénieur Nikolaus Riggenbach d’Olten, spécialiste des chemins de fer de montagne. Le chantier a été mené par l’ingénieur Clément Chessex, qui deviendra chef d’exploitation de la ligne. L’ingénieur Alphonse Vautier travaillait sous ses ordres et s’est occupé principalement des ouvrages d’art, dont ladite passerelle (source : Inventaire Suisse d’Architecture 1850-1920).

Particularité : Cette passerelle a été empruntée maintes fois par l’impératrice d’Autriche Elisabeth von Wittelsbach (dite « Sissi ») si l’on en croit Monsieur G. Aubort, qui a passé son enfance à Collonge et qui relate sa rencontre avec elle dans la Feuille d’Avis de Montreux en 1907, de fort belle manière (il écrit Collonges avec « s », j’ai reproduit son texte tel que publié):

L'IMPÉRATRICE
Je demeurais alors à Collonges, petit hameau, à dix minutes de la gare de Territet, à mi-côte de cette montagne escarpée qui porte à son sommet le belvédère de Mont-Fleuri et qui est un des contreforts des Rochers de Naye. Mes parents possédaient là une grande maison, avec, au-devant, sur la route, un beau jardin bordé de rosiers et de grenadiers. Nulle part, dans le village, on ne pouvait voir d'aussi éclatantes et orgueilleuses roses, et leurs pétales veloutées excitaient l'admiration de tous les passants et faisaient la joie de ma mère.
Je pouvais avoir huit ou neuf ans, j'étais alors un affreux gamin. Pour rien au monde, je n'eusse obéi aux injonctions paternelles, et je me moquais comme de l'an quarante du pain sec et de l'eau fraîche dont on me menaçait charitablement quand on ne pouvait m'administrer la verge, car il faut dire que je mettais une prudente distance entre la baguette saintement redoutée et certaine partie du corps… Un matin du mois de juin, en 1890 ou 1891, je ne me rappelle plus exactement, vers les dix heures, je me trouvais dans notre jardin, et je m'amusais, avec quelques garnements de mon âge, à jeter des pierres dans le jet d'eau qui en faisait le charme, à mes yeux. Le ciel devait être très bleu - je ne puis pas le garantir, car, à neuf ans, on ne s'occupe guère de la nature, mais quelque chose me dit que le ciel devait être bleu - et je me souviens que d'insolents moineaux nous assourdissaient de leurs cris. Plusieurs fois déjà, ma mère m'avait appelé sans que j'eusse daigné l'écouter, et nous nous disposions, mes camarades et moi, en vrais polissons, à filer à Veraye, quand une grosse voix retentit sous la galerie en bois de notre maison.

  • Attends seulement, je vais te chercher par les oreilles ! C'était mon père.
    Peu rassuré par la perspective de cette désagréable caresse, je criai à mes compagnons :
  • Dépêchons-nous de partir. Il ne pourra pas nous rattraper ! Nous avions déjà ouvert la grille, quand nous restâmes cloués. Une dame en noir, grande, mince, élégante, se tenait devant nous, portant d'une main, une ombrelle crème, et de l'autre, un éventail fermé.
  • L'Impératrice ! fis-je d'une voix blanche aux trois écervelés qui m'entouraient. Nous la connaissions bien, nous, l'infortunée souveraine, au teint si pâle, au sourire si triste. Seule, elle se promenait souvent sur ce joli chemin qu'on a baptisé le Sentier des Roses, et qui, de Collonges conduit aux Planches, en passant sur le petit pont métallique du funiculaire Territet-Glion. Elle traversait le hameau lentement, sans l'ombre d'une inquiétude, jouissant avec délice de sa liberté, du calme reposant, du soleil réconfortant, du splendide panorama qui se déroule sur les Alpes et le lac.
    Et les braves gens la saluaient avec sympathie, sans humilité, un peu plus bas pourtant que d'habitude, flattés qu'ils étaient de la confiance qu'elle leur témoignait. Elle répondait avec grâce, inclinant Iégèrement la tête, heureuse de se sentir populaire, heureuse surtout d'échapper aux règles de l'étiquette - car elle était soumise à l'étiquette de l'hôtel, comme, à Vienne, à celle de la cour. Et nous la suivions quelquefois, nous, gamins, hardis, mais pas très loin, jusqu'à la sortie du village. Nous n'osions, - quoique l'envie ne nous eût pas manqué - courir après elle au-delà de la dernière maison, celle d'un révérend anglais, parce qu'elle était l'Impératrice... Ce mot nous faisait presque trembler. En le prononçant à voix basse, nous nous regardions avec des airs étonnés. Il nous semblait qu'elle devait être autrement que les femmes de chez nous, nos mères, nos voisines, et qu'un signe quelconque, une auréole dût la distinguer de la grande masse des mortelles. Hélas ! Elle était une puissante souveraine et une malheureuse créature...
  • Puis-je cueillir quelques roses ? nous demanda-t-elle avec son gentil sourire. Nous étions si interloqués que nous ne songions pas même à ôter nos chapeaux. Nous nous tournâmes les uns vers les autres, avec des yeux dilatés par la surprise, la terreur, la confusion extrême. Elle renouvela sa question, et nous renouvelâmes... notre silence. On eût dit vraiment qu'elle avait parlé en volapük. Nous étions pétrifiés, et son regard nous scrutait avec une acuité étrange. Je ne sais combien de temps cette situation aurait duré, si mon père n'était venu y mettre fin.
  • Certainement, madame, dit-il, en proie à une violente émotion. L'impératrice remercia, prit trois ou quatre fleurs, et s'éloigna lentement, nous adressant encore un petit salut de la main. Mon père, toujours à la même place, tête nue, attendait qu'elle eût disparu, puis, se tournant vers nous, avec un air de gravité que je ne lui connaissais pas :
  • Vous avez été impolis, et j'en ai eu honte, reprit-il. Qu'est-ce qu'elle va penser des enfants de Montreux, l'impératrice d'Autriche ? Nous avions complètement oublié notre projet d'école buissonnière ; mais les menaces paternelles ne restèrent pas vaines. Je fus secoué avec une rudesse que j'estimai, en ce temps-là, excessive, et je rentrai en pleurant à la maison.
    Pauvre père ! Il avait beau être fièrement républicain ; le souvenir de cette minute solennelle resta gravé dans sa mémoire, et ce n'est pas sans quelque orgueil qu'il disait :
  • J'ai adressé la parole à l'Impératrice !
    G. AUBORT.
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    Robert di Salvo, dont le profil est en vedette cette semaine, nous fait revivre les promenades de l'Impératrice d'Autriche sur la Riviera. Si vous êtes un.e habitué.e du funiculaire, peut-être êtes-vous déjà monté sans le savoir à l'endroit du récit ?

Robert Di Salvo
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17 décembre 2024
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