Marta Albertini, la plus Valaisanne des Tolstoï

Marta Albertini, la plus Valaisanne des Tolstoï

10 février 2019
Sarah Wicky pour le texte, Sacha Bittel pour la photo
Sarah Wicky pour le texte, Sacha Bittel / Le Nouvelliste pour la photo

HISTOIRE Marta Albertini, 82 ans, est l’arrière-petite-fille de Léon Tolstoï. Samedi soir à Sion, elle a ouvert un album de famille où les femmes ont toujours été des figures tutélaires. Rencontre entre verres de vodka et boubliki.

Ils sont venus avec leur exemplaire de «Guerre et paix» sous le bras. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut décrocher une dédicace d’une descendante de Léon Tolstoï. Marta Albertini est l’arrière-petite-fille de l’illustre écrivain russe. Samedi soir à Sion, dans une Maison de Wolff tout ouïe, elle a égrené les souvenirs de famille à l’invitation de l’association Russe-Alpes Valais.

Etablie depuis trois ans à Lens après un quart de siècle passé à Verbier, l’alerte octogénaire a su captiver un public nombreux dont une bonne partie de russophones. Tout a commencé par la découverte d’une vieille malle prenant la poussière dans son chalet lensard du Bâton vert baptisé ainsi en hommage à son glorieux ancêtre.

Une malle emplie de lettres manuscrites, correspondance entre sa grand-mère Tatiana Lvovna (la fille de Léon Tolstoï) et sa mère Tatiana Mikhailovna Soukhotine dans les années 1920-1930. Les deux femmes sont établies à Paris après avoir fui la Russie et la révolution bolchévique. Une période turbide où mère et fille vivent de bouts de chandelle, Tolstoï ayant abandonné ses droits d’auteur après la publication de son roman «Anna Karénine». «On n’a rien reçu», raconte Marta Albertini, l’œil humide.

Des femmes exemplaires

Loin de l’image d’Epinal d’une descendance baignant dans l’opulence, on découvre au fur et à mesure de son récit poignant un combat quotidien contre la misère et des femmes héroïques. «Je voulais leur rendre hommage», explique celle qui vient d’achever l’écriture d’un livre dédié à ses aïeules et qui cherche un éditeur. Outre les deux Tatiana, son témoignage met aussi en lumière la personnalité de Sophia Andreïevna Behrs, l’épouse de Tolstoï qui lui donna treize enfants. «Une femme à l’énergie folle qui chaque soir recopiait tous les écrits de son mari.»

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  • Sophia Andreïevna écrivant sur sa Remington les textes de son mari en 1909, album : Marta Albertini

Dans son dos, l’écran fait défiler des photos jaunies – propriété du Musée Tolstoï de Moscou – immortalisant les enfants et petits-enfants du vieux prophète barbu. Et surtout sa demeure d’Iasnaïa Poliana, véritable idylle pastorale à 200 km au sud de Moscou où il rédigea ses chefs-d’œuvre.

Tous les deux ans, sa descendance touffue comme un vieux chêne et disséminée à travers le monde s’y retrouve pour partager ses souvenirs dont les vannes s’ouvrent à grandes rasades de vodka. «On paie le voyage mais c’est le gouvernement russe qui nous héberge», détaille Marta qui se réjouit que ces festivités, instaurées en 2000, permettent de perpétuer un héritage insigne.

Révélation tardive

Elle-même s’est mise au russe tardivement. «Je le baragouine», s’excuse-t-elle. Comprenez qu’elle ne s’est vraiment intéressée à sa prestigieuse filiation qu’à la quarantaine. «Avant, personne ne m’en a vraiment parlé. C’est comme si on voulait me protéger du passé.» Elle a 42 ans quand elle découvre Moscou et la Russie. «Je n’y avais jamais mis les pieds. Ce fut un voyage décisif», commente celle qui a six petits-enfants et deviendra sous peu arrière-grand-mère.

Feuilleter sur place le journal tenu par sa maman dès l’âge de 12 ans lui donne envie de décrire la vie des femmes qui l’ont précédée. Pour déchiffrer ce qui ressemble parfois à des hiéroglyphes, Marta Albertini fait appel à Galina Gex-Novikova, présidente et fondatrice de l’Association Russe-Alpes Valais. «Tout est parti d’un e-mail il y a un an», relate la native de Moscou arrivée en Suisse il y a neuf ans.

Diplômée de philologie romane et maîtrisant parfaitement la langue de Molière, elle s’est plongée dans ce riche échange épistolaire levant le voile sur l’histoire intime des Tolstoï. Un patient travail qui lui a donné l’idée de cette conférence unique.

Les inconditionnels de ce monument littéraire qu’est Tolstoï auront peut-être été déçus car il a peu été fait mention de ses écrits. Mais l’enjeu était de montrer celles qui ont vécu dans l’ombre du génie et qui lui ont permis de se vouer à sa passion dévorante. Et sûr que «la grande âme de la Russie» (selon l’écrivain Romain Rolland) flottait bien quelque part samedi dans cette pièce de l’auguste Maison de Wolff à l’heure des zakouski.

Tolstoï story

Né en 1826 d’une famille de la vieille noblesse russe, Léon Tolstoï devient très jeune orphelin. Elevé par sa tante et des gouvernantes étrangères, il étudie à l’Université de Kazan et mène une vie de débauche jusqu’en 1848 où il retourne dans sa propriété d’Iasnaïa Poliana, près de Tula. En 1851, il devient soldat volontaire au Caucase et publie sa première nouvelle, «Enfance».

Après avoir quitté l’armée en 1856, il voyage à l’étranger, notamment en Suisse. Marié en 1862, il travaille à sa grande œuvre «Guerre et paix» sur les guerres napoléoniennes qui fait sa gloire. Tout comme son deuxième roman «Anna Karénine» (1877). L’auteur amorce alors un tournant mystique qui l’éloignera peu à peu des siens. Il meurt en 1910 dans une petite gare (Astapovo) du sud de la Russie.

UN PONT ENTRE LE VALAIS ET LA RUSSIE

Même si confidentielle, la communauté russophone (elle vient de Russie mais aussi des pays de l’ex-URSS) valaisanne est bien vivante. Notamment au sein de l’association Russe-Alpes Valais née en 2011 à l’initiative de Galina Gex-Novikova. Etablie en Suisse depuis neuf ans, mariée à un Valaisan, cette Moscovite d’origine a toujours gardé un lien fort avec sa mère patrie et tenait à diffuser la langue de Pouchkine. Son association forte d’une quinzaine de membres organise régulièrement des soirées littéraires et culturelles. Elle dispense aussi des cours de russe via l’école Roussinka basée à Sion qui accueille une vingtaine d’élèves dès l’âge de 5 ans. Ce sont essentiellement des familles qui fréquentent l’association, soucieuses de ne pas perdre leurs racines russes.

En complément, vous pouvez visionner ces vidéos :

1. "Il y a 97 ans Iasnaïa Poliana a été créé" à cette page de YT.

2."Bari, la pronipote di Tolstoj racconta il bisnonno: "Un tabù per la mia famiglia" à cette page de YT.

ainsi que cette page :

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  • Paul-André Florey

    Excellent document! Vives félicitations pour le brillant récit et chaleureux merci à Pierre-Marie pour la réalisation de ce chef d'oeuvre.

  • Pierre-Marie Epiney

    Merci pour ton aimable commentaire, Paul-André. Mais rendons à César ce qui lui revient : en l'état, les auteurs sont Sarah Wicky pour le texte et Sacha Bittel pour la photo. Tous deux travaillent au Nouvelliste.

    Pour ma part, je n'ai fait que demander l'autorisation de publication puisque cet article extrêmement bien écrit entrait tout à fait dans mon album consacré à Marta Albertini.

Pierre-Marie Epiney
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19 janvier 2021
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