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A la recherche d'une ferme de Cartigny

25 janvier 2021
David Glaser, reporter FONSART

Après l’envoi de la lettre d’information de notreHistoire.ch vendredi 22 janvier, j’ai eu la bonne surprise de recevoir un message de notre membre Claude Deluermoz qui nous a raconté dans un article les événements qu’il a vécus en 1944 avec sa famille. Une grande partie de la population de Valleiry, son village de Haute-Savoie, ainsi que les habitants de Vulbens et de Chevrier, les villages voisins, à trouver refuge en Suisse. Dans le canton de Genève voisin, d’abord à Chancy pour la majorité d’entre eux. A Cartigny pour les autres.

Claude s’est réfugié dans une ferme dont malheureusement il ne retrouvera pas la trace, une demeure du village de Cartigny ou dans les hameaux voisins de La Petite Grave ou Eaumorte. Son frère, sa mère et sa grand-mère l’accompagnaient. Il y a quelques années, Claude est entré en contact avec celui qui était venu le chercher lui et sa famille : Edouard Hostettler. C'est ce jeune homme de 13 ans qui conduisait le tracteur et les deux remorques attachées pour transporter une cinquantaine de personnes. J’ai pu échanger ce lundi matin et cet après-midi avec Claude puis avec Edouard sur leurs souvenirs de ce jour très particulier du 16 août 1944 à Chancy et à Cartigny.

David Glaser, reporter FONSART
Claude et sa mère
1947
Claude et sa mère

Claude Deluermoz raconte sur notreHistoire.ch : « Le 16 août 1944, l'armée allemande envahit Valleiry (74) en représailles des combats qui s'y étaient précédemment déroulés et qui avaient conduit à l'anéantissement total de la garnison allemande par le maquis. Pour échapper au massacre, la presque totalité des habitants du village, environ 450 personnes ( ceux qui restèrent à Valleiry furent tués par les Allemands ) s'enfuient en direction de la frontière suisse ouverte par les autorités militaires qui leur permettent de trouver refuge à Chancy. Une partie des réfugiés dont ma famille (Deluermoz), ma grand-mère, ma mère, mon grand frère et moi-même sont conduits à Cartigny installés sur la remorque tirée par un tracteur conduit par le jeune Édouard Hostettler, alors âgé de 13 ans. J'ai eu la joie de le connaître 70 ans plus tard. Une famille de Cartigny nous a hébergé une dizaine de jours sans que je sache à ce jour de qui il s'agit. Mon souhait serait de retrouver le nom de cette famille qui nous a recueilli ce 16 août 1944, tant cet épisode de la guerre a marqué un bel élan d'humanité et de solidarité de la part des autorités suisses et de toute la population de ce village, et tant je suis reconnaissant à cette famille d'avoir contribué à nous sauver. »

notreHistoire.ch: Claude, pouvez-vous nous expliquer ce qui s'est passé le 16 août 1944 à Valleiry?

Il y a eu l’incendie du village par les Nazis en représailles de l’action de libération des maquisards, une maison sur deux à Valleiry est partie en fumée. La majeure partie des habitants du village, 90 % des gens environ, ont couru vers la frontière. Les Suisses ont ouvert cette frontière, Chancy a recueilli tous les réfugiés et a effectué une liste de noms. Parmi ces noms, il y avait les nôtres. L’agriculteur de Cartigny Hostettler est allé à Chancy pour retrouver les réfugiés. A Cartigny, on nous a hébergés dans les fermes. Je n’ai malheureusement aucun indice sur la ferme, juste quelques indications passe-partout : un arbre dans la cour, un portail en bois. Cela peut aussi être une de ces fermes transformées en résidences.

Vous n’êtes plus dans la région aujourd'hui mais avez-vous gardé un lien avec Cartigny et Chancy ?

En 1945, ma mère a quitté la Haute-Savoie pour le Vaucluse d’où elle est originaire. J’habite aujourd’hui dans les Bouches-du-Rhône entre Aix-en-Provence et Marseille, à la Bouillaidisse, une commune de 6500 habitants. Je vais chaque année à Cartigny et Chancy. Une association existe depuis 70 ans entre la commune de Valleiry et Chancy. Un monument a été érigé à Valleiry pour célébrer ce souvenir le 15 août.

De quoi vous rappelez-vous exactement ?

Le 16 août, nous sommes partis avec ma famille en direction de Chancy où une grande partie des réfugiés sont restés. Mon frère se souvient qu’il faisait avancer une poussette avec ma mère. Je me trouvais dans cette poussette qui transportait aussi une valise. Nous sommes passés par le poste frontière de la Joux. Nous vivions dans une zone franche à ce moment-là. Au village de Valleiry, on venait tout juste d'enterrer les maquisards qui s'étaient fait tuer par les Allemands quand un motard est arrivé pour nous dire que les Nazis arrivaient. Il fallait fuir le plus vite possible.

Vous vous souvenez avoir dit quoi à Edouard quand vous l’avez retrouvé en 2015?

Je lui ai dit qu’il conduisait son tracteur vite dans les virages (rires). C'est un vrai personnage qui connaît tout le monde au village à cette époque-là (lire son interview plus loin). Il est incroyable. Et je peux le dire, Edouard et la Suisse en général, m’ont sauvé la vie. Plus le temps passait, plus ma démarche de retrouver Edouard et la famille qui nous a accueillis a pris corps. Ma mère me parlait de temps en temps de cet épisode de notre vie. Elle en avait les larmes aux yeux. Mais elle ne m’a jamais donné de nom, malheureusement. Nous sommes donc restés une quinzaine de jours dès le 16 août 44 et à la fin de ce séjour salvateur, nos hôtes suisses nous ont accompagnés sur le chemin du retour vers Valleiry en chantant "La Marseillaise". Plusieurs personnes m’ont aidé dans mon projet de retrouver la trace de cette famille qui nous a accueillis Alice Bouladon et Valérie Fontaine.

Qu'ont fait ces personnes concrètement ?

Alice Bouladon, qui a une société d’intelligence économique, a activé des contacts. On a pu se mettre en relation avec les archives, la gendarmerie genevoise… mais aucun nom n’a été conservé malheureusement. Valérie Fontaine, native de Cartigny qui travaille à Genève, m’a aussi aidé sur les recherches locales. Cela n’a pas débouché sur quoi que ce soit pour le moment. Mais qui sait ? Edouard Hostettler a quand même une mémoire phénoménale. Il existe un listing de toutes les personnes, maison par maison. De cette liste, j’ai pu rencontrer une dizaine de personnes qui avaient recueilli des gens de Valleiry. Je vais en avril chaque année à Cartigny. Un membre d’une famille m’a dit « nous étions une famille de quatre enfants. Donc chacun des quatre enfants de la famille de Cartigny a pris un enfant d'une famille de quatre enfants de Valleiry dans son lit.» Je vais tous les ans randonner par là-bas. D’abord à Aix-les-Bains puis chez Edouard dans le Jura français.

Propos recueillis par David Glaser

Pour lire l'entretien avec Edouard Hostettler, cliquez ici.

Sur la photo : Claude Deluermoz avec Yvonne sa mère.

Nous recherchons à la demande de Claude Deluermoz une ferme et ses habitants qui l'ont accueilli lui et sa famille en 1944 à Cartigny, si vous avez des informations : contactez moi david.glaser@fonsart.ch

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25 janvier 2021
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