Salle de la Réformation, de Merle d'Aubigné à Johnny Hallyday

Salle de la Réformation, de Merle d'Aubigné à Johnny Hallyday

1900
auteur inconnu
gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

C'est en accédant au document mis sur NH par Albin Salamin

que j'ai été interpellé par l'histoire de la Salle de la Réformation depuis le projet du pasteur Jean-Henri Merle d'Aubigné (1794-1872), passant par l'inauguration en 1866 jusqu'à sa destruction un peu plus d'un siècle plus tard, en 1969. Pour traverser sans s'égarer ce siècle d'histoire de Genève, il fallait un guide, Luc Weibel , historien et écrivain dont j'ai trouvé, avec bonheur, l'article " Entre lieu singulier et lieux communs : l’exemple du Calvinium de Genève" paru en 2008 dans Lieux d'Europe, aux Éditions de la Maison des sciences de l’homme ( Stella Ghervas et François Rosset (dir.))

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Luc Weibel commence son étude ainsi

"Avant d’élever le monument qui célèbre ses réformateurs, Genève a connu d’autres tentations de ce genre. L’une d’elles fut la construction, en 1866-1867, de la « Salle de la Réformation », qui devait s’appeler, à l’origine, le Calvinium. Son initiateur est le pasteur Jean-Henri Merle d’Aubigné (1794-1872). Attiré par les doctrines du Réveil, membre éminent de l’Église libre, professeur à l’école libre de théologie de l’Oratoire, Merle d’Aubigné avait fréquenté l’université de Berlin avant d’être pasteur à Hambourg et à Bruxelles. En 1817, il avait assisté à la fête de la Wartburg, par laquelle les étudiants allemands entendaient commémorer les débuts de la Réforme luthérienne, mais surtout affirmer l’unité de la nation allemande. Sa vocation était encore indécise. La Wartburg lui donne une mission : il sera historien."

La date du troisième centenaire de Calvin (1864) s'approchant, Merle d'Aubigné songe dès 1861 que le moment est venu d'honorer Calvin , mais aussi les autres réformateurs, par l'édification d'une grande salle et tente l'entreprise avec la collaboration de l'Alliance évangélique, ligue internationale de chrétiens soucieux d'affirmer les vérités essentielles du christianisme, sans succès. Ce sera par l'entremise de l'ancien banquier et philanthrope protestant, Alexandre Lombard, et avec le soutien financier des Sociétés missionnaires anglaises que le projet d'une salle de la Réformation pris corps. Luc Weibel poursuit

" Le centenaire calvinien de 1864 et l’inauguration de la salle, en 1867, furent l’occasion d’accueillir à Genève de nombreuses délégations venues de toute l’Europe protestante. Et la salle commença sa carrière, accueillant de grandes conférences apologétiques, des congrès de sociétés philanthropiques, mais aussi des concerts. Le déclin du mouvement évangélique fit qu’elle perdit peu à peu de sa spécificité.Dans la première moitié du xxe siècle, son nom fut lié à l’essor de la Genève internationale. Tout d’abord, en 1915, un rassemblement en l’honneur de Jean Huss (mort en 1415) fut une des premières manifestations publiques de la renaissance de la nation tchèque. Surtout, en 1920, Genève étant devenu le siège de la Société des Nations, la Salle de la Réformation accueillit la première assemblée générale de l’organisation, ainsi que les assemblées annuelles jusqu’en 1929. On y entendit tous les grands orateurs de la période, Aristide Briand, Édouard Herriot, Nicolas Titulesco, Nicolas Politis, Edouard Benes. Dans L’esprit de Genève (1929), Robert de Traz montra que l’histoire de Genève la prédestinait à devenir la capitale des nations, lieu privilégié d’échanges pacifiques. Après la Deuxième Guerre mondiale, la salle accueillit plusieurs conférences organisées lors des Rencontres internationales, créées par Denis de Rougemont pour faire revivre l’esprit de Genève. Les derniers orateurs à s’y exprimer furent, en 1969, Herbert Marcuse et Raymond Aron.À cette date, le destin de la Salle de la Réformation était déjà scellé : elle avait été vendue à un promoteur qui la démolit et construisit à sa place un banal immeuble de bureaux. Pourquoi ce changement ? Dès ses origines, la salle était la propriété d’une société privée. Vers 1960, ses membres estimèrent que la Salle de la Réformation ne correspondait plus à sa vocation initiale, qu’elle était devenue une salle de spectacles comme les autres, particulièrement prisée par les vedettes de la chanson française (Johnny Hallyday y chantera en 1963) Ils décidèrent donc de la vendre pour la remplacer, dans le quartier de la Jonction, par un immeuble de logements HLM, comprenant également des salles de réunion et des locaux pour les activités protestantes. C’est ainsi qu’a disparu le « mémorial » qu’avait rêvé Merle d’Aubigné. Il est vrai qu’entre-temps, l’idée de rendre hommage à Calvin avait été relayée par une autre entreprise. Au début du xxe siècle avait été lancée l’idée d’ériger un véritable monument à la Réforme du XVIe siècle. Ce sera le Mur des Réformateurs, inauguré en 1917 dans le parc des Bastions."

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Desssin de J. Austermayer Bibliothèque de Genève 1920

"Au début du XXe siècle, les esprits avaient évolué. On peut penser que les débats français, qui aboutirent en 1905 à la loi de séparation des Églises et de l’État, exercèrent une certaine influence sur le corps électoral genevois. Il reste qu’en optant définitivement, en 1907, pour la laïcité, le canton de Genève adoptait une position unique à l’intérieur de la Suisse : tous les autres cantons, à des degrés divers, continuèrent à intégrer l’entretien du culte dans leur budget."

"Séparer l’Église et l’État, préparer pour l’Église protestante une « constitution » qui affirme clairement son indépendance, célébrer le jubilé de Calvin, poser la première pierre du Monument international de la Réformation : tous ces événements sont contemporains. À cet égard, les statues et les scènes représentées sur le mur des Bastions peuvent apparaître comme la compensation, sur le plan symbolique, de ce qui a été perdu sur le plan politique. L’union de l’Église et de la patrie a vécu, mais la ville affichera en son cœur, comme un emblème inaliénable de son identité, la gloire de la Réforme".

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