Antarctique (12) L'Ile Lockyer Repérage

1 février 1902
Snow Hill, Antarctique
Erik Ekelöf (1875-1936)
Monique Ekelof-Gapany

Ce matin du 11 mars 1902, il fait un temps radieux. Otto Nordenskjöld, José Sobral et Ole Jonassen, accompagnés des chiens, embarquent avec deux cent trente kilos de matériel et de provisions, afin de constituer un dépôt à placer sur une étape, en vue d'une expédition future. Cette excursion de quelques jours est aussi destinée à tester les chiens de traîneau et à faire une reconnaissance géologique des environs de l'île.

Photo G. Bodman

Départ pour l'Ile Lockyer

Lourdement chargée, la chaloupe s'éloigne. Chaque mouvement de rame est entravé par une pellicule de glace nouvellement formée. Après quelques heures d'efforts, les trois hommes se trouvent au large de la baie de Haddington. En se retournant, ils admirent le majestueux glacier de Snow Hill et, au loin, fermant le détroit de l'Amirauté, s'élève l'Ile Lockyer, l'endroit où ils prévoient d'établir le dépôt.

Arrivés en milieu d'après-midi à proximité de Lockyer, les rameurs remarquent que l'île se montre particulièrement inabordable avec ses falaises qui plongent à la verticale dans la mer. Ils cherchent un endroit où accoster.

Dans cet espace silencieux, un murmure soudain se développe. Il s'accroît en un bruissement qui s'amplifie et devient un grondement sourd puis, dans un rugissement, l'ouragan s'abat sur les flots. La banquise se met en mouvement et une masse puissante de blocs de glace, parfois hauts comme des maisons, s'approche et cerne leur embarcation d'une muraille flottante.

Jusqu'au soir, les trois hommes luttent dans les tourbillons qui menacent de les aspirer et de les broyer. A la nuit tombante, épuisés, ils débarquent sur une langue de glace, au sud de de la baie de Haddington, et se réfugient à un kilomètre environ du rivage. Ils parviennent encore à hisser le lourd canot et son chargement et installent leur campement pour la nuit. Après avoir nourri les chiens et s'être alimentés d'un bouillon de viande et d'une boisson chaude de cacao, ils se glissent dans le sac de couchage à trois places, en peau de renne.

Au réveil, la glace a envahi le détroit. Toute la matinée, ils tentent de se faufiler dans les labyrinthes de glaces flottantes. Pour mieux s'orienter, Nordenskjöld et Jonassen laissant la chaloupe à la garde de Sobral grimpent sur un bloc de glace qu'ils utilisent comme point d'observation. Pendant que les deux hommes discutent de la meilleure stratégie à prendre, Sobral vit des moments de frayeur. Un brusque remous des masses de glace entraîne, de manière irrésistible, l'embarcation. Jonassen, immédiatement, saute du promontoire où il se trouve et, de plaque de glace en plaque de glace, il vole au secours de son compagnon qu'il sauve, au dernier instant, de la dérive.

Lentement, les hommes se hasardent à forcer un passage dans le jeu des glaces tourbillonnantes. Quand ils atteignent enfin un point fixe, ils accostent. Après quelques pas sur le rivage ils découvrent, surpris, les restes de boîtes de conserve de la veille ; ils se retrouvent à l'emplacement qu'ils avaient quitté au matin ! Ils décident alors d'établir le dépôt sur la frange côtière en direction du sud et attèlent les chiens.

En route, Nordenskjöld, émerveillé, observe la nature de la roche de cette région. Elle est composée de tufs environnés de blocs de lave sombre dont le cœur scintille de pure olivine.

Ils repèrent finalement une anfractuosité dans la roche. Elle formera un abri sûr pour leur matériel et leurs provisions.

Quand ce travail de rangement est terminé, Nordenskjöld, mû par sa passion, escalade encore une paroi de glace pour découvrir au loin, une vaste étendue de neige, une région immaculée, si attirante et si inaccessible à la fois.

Photo O. Nordenskjöld

Campement sur l'Ile Lockyer

Ils retournent au camp et prennent la précaution de tirer la lourde embarcation bien à l'intérieur de la langue de glace. A l'abri de la chaloupe, Jonassen érige la tente et après une soupe réconfortante, ils se glissent dans le sac de couchage.

Sitôt les trois hommes couchés, la tempête se lève à nouveau, accompagnée d'une baisse de la température. Le lendemain, au réveil, il fait très froid. Personne ne désire s'extraire du sac de couchage.

Soudain, Jonassen qui se trouve du côté de l'entrée de la tente, pousse un cri et jaillit hors du sac. Il est trempé.

La violence du vent a disloqué la langue de glace sur laquelle ils campent et des vagues déjà, balayent la surface de la banquise où ils se sont réfugiés. Vite, les trois hommes s'emparent du bateau, de la tente et du matériel et traînent toute cette charge à environ trois cents mètres, vers l'intérieur des terres. Il était temps. A l'endroit où ils campaient, la banquise, dans un craquement, vient de se rompre.

Les voici sans abri, par une température de moins dix-huit degrés, exposés au vent violent et à la neige tourbillonnante. Ils n'osent dresser leur tente, de crainte que la glace, à nouveau, s'ouvre sous eux. Toute la journée se passe à éviter de geler. Ils étaient partis par beau temps, sans emporter leur tenue d'hiver. Nordenskjöld, qui s'abrite sous la voile du bateau, tente de préparer un repas pour réchauffer et nourrir tout le monde. Jonassen fait les cent pas et Sobral reste figé de saisissement. Les chiens se sont creusé un abri dans la neige afin de se protéger du froid.

Vers le soir, les trois hommes se risquent à monter la tente près de la chaloupe et se faufilent dans un sac de couchage transformé en sarcophage de glace.

Cette nuit-là, Nordenskjöld veille sur ses compagnons. Sobral a un doigt gelé qui le fait souffrir et Jonassen, qui a les pieds mouillés, refuse de sortir de la tente pour prendre la garde.

Le lendemain, le vent est tombé. Les trois hommes décident de rentrer à la Station d'Hiver. Ils creusent pour dégager la barque, ensevelie sous la neige et la traînent jusqu'au rivage. Une fois embarqués, ils louvoient pour éviter les glaces flottantes et affrontent les vagues qui cherchent à les rejeter avec violence sur le rivage.

Enfin, vers midi, un beau soleil apparaît. Sortis du détroit, les hommes hissent la voile et après trois heures de navigation, découvrent avec bonheur au loin leur maison, Snow Hill, qui recèle à leurs yeux le confort suprême.

D'après le Journal d'Erik Ekelöf 1901-1903

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  • Martine Desarzens

    Dans cet article, le lecteur découvre le courage de ces hommes ...Monique, avec ces articles .je continue à retrouver mon enfance Oû notre mère Louky nous lisait des romans d'aventures pendant nos vacances ou le soir....Robert-Louis Stevenson, Rudyard Kipling, Michel Strogoff.....! J'adore et vous remercie de ce merveilleux et rare partage de votre famille !

  • Monique Ekelof-Gapany

    Merci, chère Martine, pour votre intérêt pour cette histoire qui remonte à l'époque heroïque de la découverte de l'Antarctique. C'est vrai qu'elle se rattache par son caractère, aux grands romans d'aventures de notre enfance. Bien amicalement.

  • Claire Bärtschi-Flohr

    Que de péripéties ! S'il s'agissait d'une fiction, on dirait que l'auteur en rajoute !!! Mais comme on sait, la réalité dépasse la fiction !

  • Monique Ekelof-Gapany

    Oui, et des péripéties, il y en aura d'autres! Merci pour votre lecture attentive.

  • Jorge Sobral

    Bonsoir, je suis Jorge Petit-fils de José Maria Sobral. J’habite Paris et j'aimerais bien me mettre en contact avec vous. Moi aussi je m'intéresse à l'antarctic et à l'expedition. Voilà mon mail: jorgesobralfr@yahoo.fr Merci beaucoup et bonne soirée