Saint-Maurice d'Agaune flambeau du Chablais Repérage

Article © Fr. Olivier Dubuis
Sylvie Bazzanella

La découverte

Les voyageurs qui aiment à entrevoir de loin le but de leur course, pour se réjouir mieux de l'atteindre et de le connaître pleinement, viendront de Martigny, le matin : passé le torrent de Saint-Barthélemy, ils apercevront bientôt, à travers la pinède, presque confondu avec le pied des hautes roches qui barrent à demi la vallée, le clocher abbatial de Saint-Maurice. Ceux qui préfèrent l'éblouissement des révélations soudaines arriveront du Léman par la vieille route du défilé : débouchant tout à coup de la rue principale sur le parvis, ils s'arrêteront, saisis, dominés par ce même clocher qu'allègent à peine ses bandes lombardes, ses fenêtres jumelées et les arêtes bien nettes de sa pyramide.

La Royale Abbaye de Saint-Maurice d'Agaune où vint prier Charlemagne, où fut couronné Rodolphe, roi de Bourgogne. Depuis peu élevée au rang insigne de Basilique Mineure, elle est aussi le siège d'un évêché miniscule et glorieux sur lequel son abbé, l'évêque de Bethléem, étend sa juridiction.

Aux pèlerins du nord et à ceux du sud, cette tour apparaît toujours la première, délivrant le double message du passé, par sa robuste architecture romane, et du présent, par la voix de ses cloches. D'ailleurs, n'est-elle pas dressée comme un pivot sur lequel les siècles ont lentement tourné, puisqu'elle touche d'une part au Martolet, gardien des ruines médiévales, et de l'autre à l'église et au logis monastique, foyer actuel de la vie canoniale ?

Quinze siècles d'histoire

Le Martolet, cour silencieuse, serrée entre l'abbaye et le roc vertical, livre le témoignage du passé le plus lointain. On peut y voir les vertiges de l'humble sanctuaire que saint Théodore, évêque d'Octodure, édifia au IVe siècle pour abriter les reliques des martyrs qu'il avait trouvées : celles de saint-Maurice et de ses compagnons. Cette fondation alluma un flambeau qui devait illuminer, jusqu'à nos jours, tout le Chablais.

Le champ des fouilles

© Copie d'anciennes cartes postales mises à disposition par l'AVEG.

A côté du premier édifice, le roi des Burgondes, Sigismond, créa en 515 un couvent qu'il dota de nombreux domaines, et qui fut bientôt pourvu d'une basilique neuve, animée jour et nuit par la psalmodie perpétuelle. L'église fut reconstruite, plus vaste, vers 580, après une incursion de Lombards dévastateurs puis, dans la seconde moitié du VIIIe siècle, suivant un plan à deux absides opposées. Ce sanctuaire servit sans doute de cadre aux cérémonies de l'an 888, où Rodolphe Ier se fit proclamer roi et inaugura le second royaume de Bourgogne. Au début du XIe siècle, à la suite des dégâts commis par les hordes hongroises et sarrasines, un nouveau chantier remplaça le chœur oriental par une tour sommée, au milieu du XIIIe siècle, d'une flèche de pierre. Jusqu'au XVIIe siècle, où l'on choisit l'emplacement actuel, la basilique des martyrs demeura au Martolet ; mainte fois restaurée ou rebâtie, desservie par les chanoines réguliers de saint-Augustin à partir du XIIe siècle, elle attira sans cesse la foule des pèlerins.

On imagine sans peine que l'abbaye, fondée près de la route de Mont-Joux au temps où s'esquissait déjà le déclin de l'arianisme et où l'évangélisation de nos campagnes prenait un essor décisif, fut pour le Chablais une mère spirituelle. Les paroisses de Vernayaz, Salvan, Finhaut, Chöex et Lavey- Morcles lui doivent sans doute l'existence ; elles forment encore, avec Vérolliez (lieu traditionnel du martyre) et Notre-Dame du Scex, le territoire abbatial nullius, enclavé dans le diocèse de Sion et soumis à la juridiction épiscopale de l'abbé de Saint-Maurice, évêque titulaire de Bethléem. Les églises voisines de Saint-Maurice, Vérossaz, Evionnaz, Outre-Rhône et Aigle-Ollon, incorporées au monastère et desservies par les religieux, ont probablement toutes la même origine.

Sur plusieurs de ces localités, sur la vallée de Bagnes où les chanoines exercent encore le ministère pastoral, sur Vouvry et d'autres lieux, l'abbé eut le pouvoir temporel, au moins du XIIe siècle à la révolution de 1798. Grand propriétaire terrien depuis 515, tour à tour comblé et dépouillé par les grands de ce monde, le couvent n'a conservé, des richesses d'antan, que les châsses d'orfèvrerie où reposent les ossements de ses martyrs, quelques objets d'art inestimables formant un trésor renommé, de riches archives et un modeste domaine rural.

La mission actuelle

L'abbaye conserve néanmoins l'essentiel : sa mission désintéressée. Forts d'une tradition quatorze fois séculaire inaugurée par les moines qui, à l'aube du moyen âge, établirent l'Eglise dans le pays et sauvegardèrent la culture intellectuelle et artistique, les chanoines du XXe siècle prient, étudient, guident les âmes et enseignent. Célébrant les offices liturgiques, ils font écho à la psalmodie burgonde, pour sanctifier aussi le monde moderne ; cette tâche primordiale, qui leur incombe en raison de leur vocation religieuse, se continue, dans le silence des cellules voisines, par la méditation et par le travail. Fortifiés en Dieu, les chanoines se tournent vers les hommes, qu'ils connaissent bien : au service pastoral que nous avons évoqué, ils joignent celui de l'enseignement. Si le premier s'exerce presque exclusivement au profit du Bas-Valais et les régions limitrophes (sans parler des missions de la communauté au Sikkim), le second service atteint plus de cinq cents garçons, Valaisans surtout, mais venus aussi du pays vaudois, de la Gruyère, du Jura et d'ailleurs. La contiguïté du collège et de l'abbaye indique l'esprit dans lequel une science solide est ici dispensée : il s'agit en tout, et par-dessus tout, du Christ, reçu à l'église, médité en cellule et transmis aux jeunes hommes guettés par un matérialisme grossier ou subtil, pour les rendre aptes à surmonter le désarroi du siècle.

Découvrir la vidéo : Le collège de St-Maurice ICI

Ainsi l'abbaye agaunoise, vénérable témoin du passé, gardienne du tombeau de saint-Maurice, ne néglige point l'heure présente, mais demeure un foyer de vie intérieure, d'apostolat et de culture chrétienne authentique, pour le plus grand bien du Chablais.

Fr. Olivier Dubuis.

© Costumes et Coutumes
Revue de la Fédération nationale des Costumes suisses
30me année, No 1 - 1957

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Sylvie Bazzanella
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8 octobre 2011
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