Marc-Henri au concert d'Orbe où il est question de José Porta violoniste
Marc-Henri au concert d'Orbe où il est question de José Porta violoniste
**"Marc-Henri au concert d'Orbe",**feuilleton signé par "Le Raynolet et son coq", où il est question de José Porta violoniste professeur de violon de mon père Victor Desarzens, de Marc-Henri voisin de l'auteur, de Pierre Viret, et d'un concert à Orbe,...
J'ai trouvé dans les archives de mon père cet article paru dans le journal "Le Courrier; le journal de Suisse romande" Cahier 28, volume 61, page 3, daté du samedi 14 juillet 1923.
L'article est signé « Le Raynolet et son coq »; pseudonyme d'un auteur inconnu qui apparait dans le journal sous le nom de R.
- Je l'ai ré-écrit pour le confort de la lecture.
Marc-Henri au concert d'Orbe
(Fantaisie)
Mon voisin Marc-Henri a pris dès son plus jeune âge, des habitudes d'ordre et d'économies. Chez lui tout est préparé et ordonné à l'avance. Rien n'est laissé à la fantaisie du moment et il se méfie volontiers des gens qui n'ont pas une situation bien assise et une « bonne position », comme il dit.
Au commencement de mai, Marc-Henri m'a fait part de son désir d'assister au concert d'arrondissement qui devait avoir lieu à Orbe le dimanche du 27 mai. Bien qu'il ne soit pas chanteur Marc-Henri aime la musique. De plus, malgré le grand attachement qu'il a pour son village, il ne croit pas que tout le monde s'arrête aux premières collines qui ferment l'horizon. Il va, vient, voyage et s'instruit. Inutile de vous dire qu'il prend en évidente pitié mes occupations nombreuses et variées et mes habitudes de sédentaire.
Vous feriez mieux, me dit-il quelquefois, de m'accompagner dans mes promenades, plutôt que de rester étendu dans la mousse, à la lisière d'un bois, pour écouter les oiseaux.
Cependant Marc-Henri ne m'en veut pas d'être un original-comme il dit-un être fantasque vivant de rêves et d'illusions. Et, s'il n'est pas loin de me prendre pour un sauvage, je dois dire en toute sincérité, qu'il ne m'en tient pas rigueur.
Lundi matin, tandis que la pluie tombait avec force, il coupait du bois devant sa maison sous le grand avant-toit abrité d'un noyer à la puissante ramure. Et, sans cesser son travail, il m'a communiqué ses impressions sur le concert du 6e arrondissement.
-C'était rudement beau, m'a -t-il dit, en matière d'introduction et aussi de reproche, à cause de mon absence.
A deux heures de l'après-midi, j'étais sur la Grand'Place pour voir défiler les sociétés. Le temps semblait vouloir se lever. Un pan de ciel bleu apparu au-dessus des toits et le soleil mit des ronds de lumières dans le bassin de la fontaine. Comme par hasard, je me suis trouvé en face du préfet qui m'a crié :
-Salut, Marc-Henri, tu n'as pas peur de la pluie ?
Ensuite j'ai suivi la foule qui pénétrait dans l'église aux larges colonnes et à la voûte en ogives. Je me suis assis en face de l'estrade où les 450 chanteurs avaient pris place. De beaux chanteurs, ma fois, et qui avaient bonne façon dans leurs habits du dimanche. Il y en avait des jeunes, il y en avait des vieux ; les uns portaient de grands cheveux lissés en arrière, d'autres n'avaient plus de cheveux ; quelques uns portaient une barbe grise ou une longue moustache, d'autres étaient entièrement rasés et m'avaient qu'une petite moustache taillée à la mode. Et pendant que j'observais tout cela, le public entrait toujours.
Mais voilà le directeur qui gravit l'estrade, il donne trois coups de baguette, tous les chanteurs le regardent, il lève le bras et toute cette masse chorale entonne « Le départ », le beau chœur de Heim. Ah ! que c'était beau !
Les voix claires des ténors comme celles des basses montent et remplissent bientôt toute la voûte sonore. Et le Pierre Viret de marbre, dressé sur son socle- Pierre Viret, coiffé d'un serre-tête et portant une barbe longue comme un fil, regardant fixement les chanteurs qui célèbrent le pays aimé dans le temple où lui-même parla avec éloquence et lutta pour une grande idée.
A ce moment de son récit, Marc-Henri posa sa hache et se rapprocha de moi.
-Mais ce que j'ai entendu de plus beau, me dit-il, c'est le concert donné par un violoniste, un monsieur José Porta, professeur au Conservatoire de Lausanne,-pas celui qui écrit dans la Feuille d'avis, mais un autre, un cousin peut-être. Eh ! bien ce monsieur Porta est venu tranquillement se placer sur l'estrade, il a empoigné son violon, et, hardi, en route, le voilà parti.
Il fallait voir cette main nerveuse courir sur les cordes et ces doigts qui semblaient constamment agités d'un tremblement, tandis que l'archet volait à droite à gauche, en haut ou en bas. A un moment donné, pendant que l'artiste jouait sur deux cordes, j'ai fermé les yeux et il m'a semblé entendre tout un orchestre.
Autour de moi, tout le monde était émerveillé ; on parlait de souplesse, de virtuosité, de technique impeccable, enfin que sais-je, rien que des grands mots que je ne comprenais pas. Moi, je ne suis pas du métier, comme bien vous pensez, n'empêche que je n'ai jamais entendu jouer ainsi. On reste émerveillé, c'est bien vrai.
Voyez-vous, ce n'est pas pour vous faire un mauvais compliment, mais la vérité m'oblige à vous dire que vous êtes encore bien loin de savoir jouer du violon comme lui. Je vous entends quelques fois, le soir, quand vous n'avez rien à faire ; pour tuer le temps, vous raclez sur votre instrument, histoire de vous occuper. Quand je passe sur la route avec mon char d'herbe, je vous écoute un moment. C'est bien joli ce que vous jouez, mais cela ne ressemble en rien à ce que joue M. José Porta. Et puis tout par cœur, que je vous dis, pas la moindre partition sous les yeux.
Au moment où il a posé son violon, on écoutait encore. Alors, je ne sais pas pourquoi je me suis trouvé debout tout a coup oubliant que j'étais dans une église, je demande bien pardon à Pierre Viret qui, heureusement ne tournait pas la tête de mon côté. Tout le monde a fait comme moi, tout le monde a battu des mains, sauf un pasteur, assis en face de moi, qui n'a pas trouvé mon geste très convenable.
-Je suis d'accord avec vous, monsieur le pasteur, lui ai-je dis. La preuve c'est que ce matin, au sermon je n'ai pas applaudi quand le pasteur s0'est assis après avoir terminé son prêche.
Ensuite les chorales du 6e arrondissement ont, tour é tour, défilé sur l'estrade pour exécuter leur chant du concours. Un ou deux directeurs-des jeunes surtout- étaient un peu nerveux. Ils n'avaient pas ce beau calme, cette sureté et cette maîtrise du directeur des chœurs. C'est un monsieur Chevalier, m'a-t-on dit, un bon musicien qui voit tout.
J'ai constaté que les sociétés de la montagne ont généralement chanté le printemps, la terre qui s'éveille, les fleurs et le frais gazouillis des oiseaux, tandis que les chorales des villes célébraient la magnificence des belles forets à la haute futaie et des retraites profondes où chantent les sources ; ou bien encore elles évoquaient la mer sur laquelle glisse un beau navire ; le mouvement berceur se prolonge jusqu'au moment où l'orage éclate.
De tout cela, j'en conclu qu'on chantait plus volontiers ce que l'on n'avait pas chez soi. La preuve, c'est que les Ste-Crix ne nous ont rien dit de la neige, ni les yverdonnois de la bise.
Ces divers chœurs ont été bien exécutés. Il y avait bien, par-ci par-là, des chanteurs qui auraient bien fait de sucer des pastilles pour s'éclaircir la voix, surtout en cette période de brouillards gris et de nuages, de lourds nuages qui s'appesantissent sur le Jura.
Mais tout cela n'est qu'un détail. Comme je vous l'ai dit, moi je ne m'y connais pas. La critique, c'est Monsieur Cherix qui l'a faite après le concert, au Casino. Là, je me suis borné à boire un verre et à l'écouter.
Ah ! J'allais oublier de vous dire que Mme Jomini-Combremont est une cantatrice de talent.
Signé : Le Raynolet et son coq
José Porta au violon :http://www.notrehistoire.ch/audio/view/1405/
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