Le sauveur de l'horlogerie suisse

29 juin 2010
Genève
Marc Schindler

Nicolas Hayek, le sauveur de l’horlogerie suisse

On le croyait immortel, avec ses montres au poignet, ses cigares, son intelligence vive et ses coups de gueule contre la Banque Nationale, le gouvernement suisse et les patrons frileux. Lui qui affirmait : « La retraite, c’est pour les généraux vaincus. Ni Mozart ni Picasso n’ont pris leur retraite. » Nicolas Hayek, le patron emblématique de Swatch Group est mort mardi а l’âge de 82 ans. Ce petit homme d’origine libanaise était certainement le chef d’entreprise le plus célèbre de Suisse et une véritable star médiatique. Il jonglait avec ses interlocuteurs en français, en allemand et en anglais. Il maîtrisait parfaitement la communication de son empire horloger et sa com personnelle.

Je me souviens de ma première rencontre avec lui. Après m’avoir fait attendre une bonne demi-heure, il a donné au journaliste de télévision que j’étais une magistrale leçon sur la fabrication de la montre et le marketing horloger. Après plusieurs interviews dans son bureau au siège de Swatch, il a accepté de venir en studio, а Genève. Mais il a insisté pour déjeuner au restaurant de la télévision. Pas pour le menu, mais pour serrer la main du directeur et des présentateurs du journal et des émissions les plus connues. Il m’a expliqué qu’il n’avait pas fait ses études ni son service militaire en Suisse, qu’il n’était membre d’aucune de ces sociétés que fréquentent les grands patrons suisses. Ses seuls relais médiatiques, c’était les journalistes. Pour la profession, c’était un bon client : ses conférences de presse étaient un véritable show. Il adorait se mettre en scène : il a invité Martina Hingis, alors la N° 1 mondiale du tennis, а échanger quelques balles sur son court privé, sous l’œil complaisant des caméras.

Ce bourreau de travail a débarqué en Suisse sans un sou, après des études de maths et de physique à Lyon. Il a ouvert un bureau de consultant d’entreprises, malgré l’hostilité de l’establishment. Son premier coup : une expertise pour le gouvernement suisse sur l’achat de 420 chars de combat. Il a proposé à l’armée des économies de près d’un milliard de francs suisses.

Quelques années plus tard, quand l’industrie horlogère était а la dérive, après avoir manqué le virage de la montre électronique, c’est Hayek qui a convaincu les banques de prêter des centaines de millions aux marques traditionnelles. Il est devenu le sauveur de l’industrie horlogère suisse et les horlogers l’ont choisi pour mener la bataille contre les Japonais.

Malgré la légende qu’il a toujours entretenue, Hayek n’est pas le père de la Swatch, la montre révolutionnaire au boîtier en plastique, qui allait faire sa fortune. Mais, comme un Steve Jobs ou un Bill Gates, il a eu l’intuition et la volonté de foncer. Comme il l’a fait, quelques plus tard, en lançant la Swatchmobile, une voiture écolo, qui donnera naissance à la Smart, la petite voiture construite avec Mercedes.

Il a toujours mené ses affaires en écoutant d’abord son flair et pas les conseils de son entourage. En trente ans, il a créé une multinationale horlogère qui compte une vingtaine de marques, qui emploie 24 000 personnes et qui génère un chiffre d’affaires de plus de 5 milliards de francs suisses

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Nicolas Hayek a géré sa multinationale comme une PME, en passant le relais, en 2003, à son fils Nick, mais en gardant le fauteuil de président du conseil et en installant sa femme et sa fille dans des postes-clefs. Ses coups de gueule étaient fameux : contre la Banque Nationale, coupable de laisser monter le franc suisse ; contre « les banquiers crétins et malhonnêtes » qui ont spéculé et se sont offert des bonus exorbitants ; contre la grande banque UBS, qu’il a poursuivie en justice pour obtenir réparation des pertes sur ses placements.

Son intervention lors de l’assemblée générale de son groupe, le mois dernier, était а l’image du personnage : « Allez la Suisse! Hopp Schwiiz! Donc, nos artisans restent parmi les plus doués et les meilleurs, notre peuple parmi les plus pacifiques et humanistes, notre pays parmi les plus désirables, nos chercheurs et entrepreneurs parmi les plus prolifiques ». Son ego surdimensionné agaçait, mais son succès fascinait le monde économique. Personne n’imaginait vraiment qu’il prenait sa retraite en passant le flambeau а son fils. Maintenant que le patriarche autoritaire et visionnaire n’est plus lа, l’avenir du groupe Swatch repose encore sur le clan Hayek.

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Marc Schindler
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15 novembre 2020
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