Les fenêtres, orientées plein sud, inondent la pièce et donnent aux bourgeois assemblés des allures de fantômes. Curieux, le buste incliné, ils nous regardent et paraissent se désintéresser de ce qui pourtant les rassemble. On cherche en vain des éléments qui dessineraient, comme à la première Constituante de 1789, l'éventail des partis politiques. Les barbus et les moustachus, les chapeautés et les casquettés, les fumeurs et les buveurs ont l'air de se répartir de manière aléatoire à la gauche et à la droite de la table présidentielle. En voilà une d'ailleurs qui ne paie pas de mine et qui semble adaptée aux mœurs austères que Rousseau prêtait aux montagnards. Elle suffit pour porter le livre dans lequel les élus vont inscrire les décisions de la communauté. Selon un rituel mille fois rôdé, sous la moderne ampoule électrique accrochée au plafond centenaire, ils lancent le rituel des channes pansues qui versent un vin péniblement monté depuis l'autre côté de la grande vallée.
Ici, à Saint-Luc, les bourgeois sont encore largement majoritaires. Ils se réunissent régulièrement pour traiter des affaires du village. Du règlement des biens communs à la liste des tours d'eau, du tracé d'un chemin à la nomination du garde champêtre, tout passe par l'assemblée des bourgeois qui est en même temps l'assemblée communale.