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Kursaal/Grand Casino de Genève

Kursaal/Grand Casino de Genève

12 mai 1910
Florence Roduit
Claude Kissling

Sur cette photo, provenant d’une carte postale affranchie en date du 12 mai 1910, éditeurs Julien frères, Genève, nous découvrons le Kursaal. Le Grand-Casino ou Kursaal de Genève fut construit sur le quai du Mont-Blanc correspondant aujourd'hui au N°19. Les travaux débutent en 1886, par François DUREL d'après les plans de l'architecte John CAMOLETTI de Cartigny (1848-1884).

L'auteur étudie un secteur de la rade de la rive droite de Genève et son développement entre fin XIXe et début XXe siècle. Le travail de deux figures d'architectes, celle du Lyonnais François DUREL et du Genevois Eugène CORTE est au centre de ce travail original qui éclaire un prestigieux pan du patrimoine local.

C’est en 1969 que la démolition du Kursaal commença. Aujourd’hui sur cet emplacement se dresse le Théâtre du Léman.

Vous pouvez également observer, sur cette photo, en face du Kursaal, des arbres qui bordent le quai du Mont-Blanc. Malheureusement, ces platanes n’existent plus.

Je connais très bien, en qualité d’ami et surtout pour sa convivialité, l’ex tenancier du Restaurant du Kursaal, lequel a tenu la gérance durant de nombreuse années, soit Roland REMONDEULAZ, dit Roby ; Roland fait partie de la famille des fils MAYE à Riddes en Valais.

Le Kursaal (1886)

L’entreprise de valorisation des quais de la rive droite débute avec la construction du Kursaal en 1886. Cette opération s’établit sur plusieurs années. Concernant son implantation, le monument public prend place entre la rue de la Cloche et la rue Monthoux dont la parcelle rectangulaire permet de construire un bâtiment de grande envergure. Son accès se fait par une entrée située sur la rue Monthoux, face à l’hôtel d’Angleterre. Comme grand nombre de casinos de station balnéaire64, il présente une configuration asymétrique faisant face au rivage (Figure 4.). Le corps principal du bâtiment s’ouvre sur le quai en donnant accès à une vaste terrasse reposant sur un mur entouré d’une balustrade (Figure 3.)

En 1898, soit douze années après l’acquisition de l’établissement, une galerie marchande est ajoutée en dessous de cette terrasse65 (Figure 6.). Durel juge en effet nécessaire d’ouvrir le bâtiment sur le quai. Pour ce faire, il perce alors, sous la terrasse, des ouvertures qui viennent accueillir des vitrines commerciales. Puis, en 1899, il décide d’offrir à son établissement un théâtre, d’inspiration Louis XVI, dont les lignes classiques apportent davantage de faste au casino (Figure 5.). Pour monumentaliser l’entrée dans ce théâtre, Durel remplace l’ancien escalier, trop modeste à son goût, par un majestueux escalier en marbre provenant d’une carrière qu’il possède à Nice. Cet escalier tournant à deux volées s’inspire de celui du premier Kursaal de Montreux66.

La façade principale du Kursaal présente deux masses monumentales constituées de deux pavillons hauts. Ces derniers sont surmontés de toits relativement imposants qui préfigurent ceux de l’hôtel Bellevue. Le pavillon Sud est surmonté d’un toit brisé en pavillon, lui-même percé de fenêtres de toits et dont la partie Est offre sur le lac une ouverture par une fenêtre à doublet. Le second pavillon, situé au centre, est surmonté d’un opulent dôme carré à lanterne dont l’oculus au-dessus de l’ouverture rectangulaire est dominé par un arc en cloche. Cet oculus est rythmé par les œils-de-bœuf qui courent le long de l’entresol. Ce dôme abrite la salle des Pas-Perdus67 tandis que le pavillon Sud vient recouvrir le restaurant. Le théâtre s’inscrit dans le prolongement du mur d’attente situé sur l’aile nord.

(64 À cet effet, nous vous renvoyons au chapitre « architecture des villes d’eaux » du présent travail. 65Archives du Département municipal des constructions et de la voirie. Cité 573. 66 El WAKIL, Leïla, la Genève sur l’eau, obsit, p.434, note 13. 67 Idem, p. 327)

Comme de nombreux casinos, les contours du Kursaal présentent un caractère relativement composition que l’on retrouve d’ailleurs sur tout le quai. Cette même architecture se développe à mesure que le quai se construit. Au même titre que l’hôtel Bellevue quelques années plus tard, la structure du casino présente trois volumes distincts. Avec une telle composition, le programme peut être vu et compris de loin, ce qui lui confère davantage de monumentalité.

La distribution est proposée de façon à ce que les salles les plus prestigieuses soient situées face au quai. A cet effet, et comme pour l’hôtel Bellevue, le visiteur pénètre dans les lieux depuis la rue Monthoux pour ensuite accéder directement à l’enfilade formée par les salons et ainsi déboucher sur la salle de jeux donnant sur le lac.

Genève : Le début de la folie des grandeurs

Le Kursaal (1887)

L’ascension lyonnaise de François Durel commence à s’essouffler à partir de 1884. À la suite de la faillite d’une de ses sociétés rattachées au Panorama de Fourvière, il transfère alors son cabinet à Genève. Une année plus tôt, une partie des terrains, situés au nord de l’hôtel d’Angleterre et appartenant à l’Hospice Général, est rachetée par la Société du Kursaal international. Fraîchement débarqué à Genève, Durel est appelé par cette société pour reprendre les plans de Camoletti. Ainsi, c’est en 1884 que ce jeune Français décide de prendre les rênes d’un chantier qui s’étalera sur une dizaine d’années. Il devient propriétaire et directeur de l’établissement, en 1886, alors âgé d’à peine trente ans. Fervent amateur des villes d’eaux37, et des loisirs qu’elles proposent à leurs touristes, Durel se rend compte du potentiel attractif de la ville. Il y voit notamment une situation stratégique car elle se situe entre lac et montagnes et propose donc un magnifique panorama.

En sauvant le projet initial, voué à la faillite, Durel reprend les rênes de l’établissement de prestige dont il poursuivra l’embellissement intérieur et améliorera l’environnement par la construction d’immeubles de prestiges et d’un parc d’agrément. Cependant, en décembre 1887, à court d’argent pour terminer la construction de son casino, il se trouve dans l’obligation de revendre à son père la succession Mottard38, acquise en 1885, afin d’obtenir les liquidités nécessaires à l’aboutissement de son projet.

(35 Information issue du dossier confié par Claude Delmas. 36 Durel avait pour surnom lyonnais « l’homme à la baignoire d’argent ». Cette appellation est née d’une légende selon laquelle Annet Durel possédait une baignoire en argent dans une de ses propriétés de Montchat au chemin de Saint-Denis de Bron.

36 Mythe ou réalité, toujours est-il que cela suffit pour continuer d’alimenter une réputation qu’il chérit, mais qu’il a de la peine à gérer. Dès qu’il commence un nouveau projet, c’est pour combler les déficits d’un autre et rembourser ses dettes. Il a pour habitude d’avoir de grosses sommes d’argent sur lui et les laisse voir à quiconque.

37 Archives privées relatant de nombreux voyages de Durel à Nice. 38 Cette brasserie réputée dans les milieux politiques et d’affaire lyonnais était l’ancienne maison bourgeoise de la famille Mottard, les derniers maîtres de poste du relais de diligence de St-Fons (1804)

Durel comprend rapidement que pour attirer les touristes de la Belle Epoque européenne, il faut mettre à leur disposition ce qu’il y a de plus attractif : un casino et des résidences de luxe. Ainsi à travers des jeux, des spectacles et des concerts, il offre aux visiteurs du bout du lac un éventail de divertissements. Amusements qui, d’ailleurs, ne manquent pas de défrayer la chronique, bonne comme mauvaise. En effet, ses frivolités semblent froisser la pudeur calviniste. Les jeux d’argent, associés notamment à la débauche, ont alors très mauvaise réputation. Lorsque Durel reprend tambour battant la direction de ce casino, il mène enfin la vie qui correspond à son tempérament et peut alors s’adonner à ses passions tant artistiques que sociales. Le mode de vie auquel il avait été habitué avec son père dont la fortune n’a fait qu’augmenter, a sans doute dû influencer ses projets. Son goût du luxe se lit à travers ses constructions. Les matières qu’il utilise et les modèles dont il s’inspire viennent tous d’une architecture destinée à satisfaire la haute bourgeoisie. Les façades des immeubles de la rue Plantamour peuvent en témoigner. Offrant ainsi au public un lieu de divertissement, il confère désormais à la ville un potentiel immensément attractif.

En grand mécène et dans l’euphorie du succès, Durel propose des concerts gratuits et invite chaque 14 juillet la colonie française à de fastueuses réceptions données dans le jardin du Kursaal. Ces dernières sont couronnées d’un feu d’artifice sur les rives du Léman. Par ailleurs, il lui arrive aussi de prêter son établissement et ses troupes à la colonie française dans l’organisation de soirées dont il est le sponsor officiel. Le Kursaal lui permet de satisfaire tous ses caprices et ses ambitions les plus folles. Toujours dans le registre du mécénat, il offre gracieusement, en 1889, un monument patriotique au cimetière de Châtelaine sur la commune de Vernier. Cet obélisque de cinq mètres de haut, en pierre de taille, est élevé à la mémoire des quinze soldats français décédés durant leur internement à Genève en 1870. Très investi en ville de Genève, où il réside Rue Gervay puis Rue de la Cloche, il l’est également à Reigner, en Haute Savoie, où il apporte son concours financier pour les œuvres et les intérêts publics.

(1855). Construite par Charles Mottard au lieu-dit « La Créssonière » elle sera acquise aux enchères publiques par François Durel lors de la succession d’Eugène Mottard fils, lequel fut entre autres maires désignés de la commune-mère de Venissieux. Durel revend cette succession à son père pour la somme de 238'000 francs/or. Après son assassinat, la succession passera aux mains de divers propriétaires. L’immeuble sera démoli en 1946 pour y installer un bâtiment moderne.)

Il finira par y habiter avec sa femme et ses quatre enfants39. En 1898, il lègue un terrain à la première municipalité de St-Fons en 1898 à l’occasion de la mort de son père et pour lui rendre hommage. Le projet prévoit d’établir une place publique principalement dédiée à la détente et à la promenade. Cette place, nommée La Place Durel40 prend ainsi le nom de son généreux donateur.

Possédant plus d’une corde à son arc, cet architecte-promoteur-entrepreneur nourrit également un goût pour l’art dramatique. Ainsi, il écrit en 1903 le scénario d’un ballet pantomime qu’il nomme Conscience41. La musique de cette œuvre est composée par M.Collo Bonnet, pseudonyme d’Antoine Bonnet ; et le rôle principal, Pierrot, est interprété par le célèbre mime Séverin. La participation de ce dernier contribuera au succès de cette œuvre jouée un grand nombre de fois dans la salle du Kursaal. À travers ses différentes activités artistiques, Durel fait preuve d’une capacité à mener de front une multitude de projets. Son entêtement et son ambition dénotent un besoin de reconnaissance perpétuel et indissociable de la vie de cet homme apprécié de tous.

Mais l’ambition comprend des limites. De plus en plus avide d’exploits, Durel ne se contente pas de la dizaine d’immeubles qu’il possède à Lyon ni de ceux dont il a fait l’acquisition dès ses premiers instants à Genève. L’immense fortune laissée par son père ne semble non plus pas lui suffire. Ainsi, une fois l’agrandissement du Kursaal effectuée, Durel entreprend d’élever tout un quartier entier malgré les dettes occasionnées par le projet. Bien que multimillionnaire, le travailleur chevronné qu’il est doit faire face à des situations financières de plus en plus délicates. Malgré tout, il continue de diriger un mouvement de fonds considérable. Là, sans doute, trouve-t-on le secret de sa terrible fin.

(39 Marié le trente janvier 1896 à Antoinette Berthet un demi mondaine en perpétuelle recherche du bon parti, Durel a avec elle trois garçons (Pierre Annet 1893, Paul 1896, René 1897) et une fille (Marie Blanche Gratienne 1898). 40 Le 2 juillet 1889, au nom de son père et en hommage à sa commune, Durel offre une parcelle de 5531 et 1373 mètres carrés de terrain pour servir de place publique. 41 Également connue sous le nom de l’Empreinte ou la Main Rouge, ce mimodrame met en scène le personnage de Pierrot qui trouve sur les lieux d’un crime un mouchoir taché de sang sur lequel l’assassin a laissé ses empreintes ainsi qu’une carte de visite qui le conduit vers le véritable meurtrier. Il commence alors à le faire chanter. Avec les l’argent reçu, il multiplie les beuveries dans les lieux mal famés de la capitale. Une nuit, encore ivre, il cauchemarde et voit son ami se faire guillotiner. Il décide alors de l’innocenter et fait arrêter le vrai meurtrier. La création du mimodrame eut lieu à Genève, le 20 juillet 1901 au Kursaal. A Paris, il est donné dès le 11 janvier 1902 à l’Olympia, alors dirigé par les Frères Isola (Boulevard des Capucines), et sera repris en avril 1910 au Barrasford’s Alhambra (rue de Malte). Cf. SACD, Catalogue général des œuvres dramatiques et lyriques faisant partie du répertoire de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques. Catalogue récapitulatif, 1 janvier 1899 – 28 février 1909, Paris, p. 53, et Fonds Rondel, cote Ro 11273, BnF, Bibliothèque des arts du spectacle, Paris.)

« Texte tiré de la Construction du quai des Pâquis la fin du XIX e siècle et du début du XXe siècle par Florence RODUIT, maitrise 2014, Université de Genève.

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Claude Kissling
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29 décembre 2019
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