Vie après la mort ?
Vie après la mort ?
Suite à la capsule consacrée à sa philosophie de vie, Urbain Kittel (*1931) livre ici ses réflexions sur la vie après la mort.
Dans le questionnaire de Proust que proposait Pascale Rey dans son interview du 20 janvier 1984, à la question : « Comment aimeriez-vous mourir ? », Urbain Kittel répondait « De mort subite, au début du déclin sensible de la force physique et mentale. »
Urbain Kittel pense que la mort signe la fin de tout privilège mais aussi de toute misère. Inutile donc pour lui de prolonger cette vie par une existence nouvelle. D'autant qu'il se méfie du côté obscur des religions.
A maintes reprises, il a eu l'occasion de croiser le fer avec son ami le sociologue Bernard Crettaz, "l'homme de la mort" et des cafés mortels. Ainsi, dans un bistrot de Florence, après que Bernard ait fait durant une heure l'apologie de la vie après la mort, il demande à son ami Urbain :
- Et toi, que penses-tu de la mort ?
Urbain a eu une réponse étonnante que vous entendrez en lisant cette vidéo.
Voir aussi :
notrehistoire.ch/entries/J78rg...
Belle évocation de la mort en Anniviers par Hélène Zufferey
[En abattant un mélèze à Niouc, Joseph s'est fait écraser les jambes. On l'a emmené à l'hôpital de Sierre ... ]
Deux jours passèrent et Zacharie revint seul au village. Joseph venait de succomber à ses blessures. Marie [l’épouse de Joseph] était restée chez son cousin qui l'aidait à remplir les formalités. Les enfants pleuraient, serrés en tas près du poêle rond. Quelque chose de lourd s'installait dans leur maison. Maman fit mijoter une soupe aux légumes pour les deux familles. On se coinça sur le banc ; quinze personnes mangèrent ainsi sans dire un mot. Seul le sucement du liquide trop chaud se faisait entendre. Je n'aimais pas cette tristesse, ce silence comme un trou. La mort, c'est une chose qui vous gèle en entier. Gaspard n'arrivait pas à retenir ses larmes, je lui chuchotai à l'oreille pour le consoler : « Tu as encore une maman, comme moi... » Il me regarda et me sourit. Pierre alla dormir chez eux pour les rassurer. Le lendemain, Marie et son cousin remontèrent à pied à Saint-Luc, avec le mort qu'ils avaient placé sur le mulet. Une couverture le recouvrait, on devinait les jambes qui pendaient sur le flanc.
Journées de prière dans la grande chambre de Marie, voix régulières, écrasées à la fin des dizaines, reprenant sans cesse leurs rengaines suppliantes. Volets fermés, où passait juste une lame de lumière. Un cierge allumé, un brin de sapin dans le bénitier, le cercueil ouvert, le voile blanc sur le mort pour empêcher les mouches de le harceler ; le chapelet enlaçait les mains livides qui me glaçaient. Personne ne les touchait. Les groupes qui priaient se relayaient, le mort n'était jamais laissé seul. On le veilla nuit et jour jusqu'à l'enterrement. Maman disait pour nous réconforter : « Un mort, c'est une étoile de plus au ciel. »
Marie vivait un cauchemar. Jamais je ne l'avais vu si défaite, si absente. Comme si ce drame n'était pas le sien, comme si elle vivait par procuration la tragédie d'une autre vie. La mort hantait le village, on la sentait partout, sur la place, dans les ruelles, au fond des forêts, masquée par un rocher, prête à bondir sur nous . La vie de Joseph, tronquée à 45 ans, avait bouleversé la communauté.
Je me souviens de l'enterrement. Le silence, l’accablement. Le glas funèbre qui nous déchirait. Le cortège noir qui partait de la maison. La croix d’abord, le curé, puis la civière haussée sur les épaules des porteurs. Le cercueil était recouvert d'un drap mortuaire noir, orné d'une croix blanche et de deux bouquets de fleurs des champs cueillies par les enfants. Les fichus noirs des femmes ; les costumes, les vestons, les chapeaux, les foulards, tout était noir, profondément noir, en dépit du soleil qui ne réussissait pas à poncer la couleur, ni la douleur. La famille suivait le cercueil, les cinq enfants avançaient comme des automates penchés vers la terre. On déposa la bière dans l'église près des escaliers qui montent à la table de communion, les pieds du mort dirigés vers le choeur. On récita en latin l'office des morts puis la messe. L’offrande se déroula comme de coutume : chaque fidèle montait vers le chœur, baisait le reliquaire que lui présentait le curé puis s'approchait du cercueil qu'il bénissait. Il donnait son obole puis revenait à sa place.
Au cimetière, le cercueil descendit dans la fosse ; sa chute lente au fond du trou. Des bruits mouillés, des sanglots étouffés. Et cette résignation pieuse qui absorbait l'assemblée de sentiments d'humilité. La croix enfoncée dans le sol, le curé mit un peu de terre sur le cercueil et l'aspergea d'eau bénite en faisant le signe de croix. Puis les hommes, puis les femmes s'approchaient de la fosse et firent le même geste avec le goupillon.
Maman s'occupa de Marie en allant chaque soir chez elle. Elle revenait souvent les yeux rouges, le regard bouleversé, la question sans réponse sur son visage. Elle nous disait le soir : « Il faut prier pour elle, Marie doit trouver la force pour continuer. »
© Hélène Zufferey, Simon l’Anniviard, 2018, Editions Favre ; pages 109-112
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