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Article parus dans l'organe de la société de viticulture de Lyon en août 1889

août, 1889
G. BATTANCHON
G. BATTANCHON

Article de G. BATTANCHON,

parus dans la vigne américaine organe de la société de viticulture de Lyon en août 1889 13ème année No 8

LA FÊTE DES VIGNERONS DE VEVEY.

La Suisse vient de célébrer une de ses plus belles fêtes nationales, une de celles qui rappellent le mieux ses plus beaux souvenirs patriotiques, une fête agricole qui remonte à plusieurs siècles et .qui a toujours eu le privilège de faire battre le coeur de ce brave peuple helvétique tout fier de sa devise :

« La patrie et la liberté par l'agriculture. »

Il n'est pas, que nous sachions, de nation en Europe qui honore et respecte l'agriculture comme le peuple suisse ; il n'en est pas où l'on y donne comme là et toujours la première place à l'homme des champs, à celui qui consacre sa vie à perfectionner les produits de la terre, cette grande nourrice du genre humain.

L'industrie, le commerce sont aussi florissants en ..Suisse que dans tout autre pays du monde ; le niveau de l'instruction ne le cède en rien à celui des nations les plus civilisées.

Chaque année, de toutes les parties du monde, les amateurs de la belle nature viennent demander l'hospitalité à ces hautes et superbes montagnes où la vie agricole ,a conservé, chez de robustes et saines populations, le respect de tout ce qui a été beau et bon dans le passé; et les préserve des utopies décevantes du présent et de l'avenir.

C'est surtout sur les beaux coteaux qui s'étendent sur la rive droite du lac Léman que la plus riche branche de l'agriculture, la vigne, a toujours été en grand honneur. Depuis plus de quatre siècles, les vignobles créés, par les moines de Gileaux et par les libéralités de l'Evêque de Lausanne sur les coteaux abrupts de Lavaux et du Dézaley, sont toujours restés des modèles de culture, grâce aux excellents préceptes et aux règles établies et conservées par les abbés présidents de la Confrérie des Vignerons, dont nous donnerons bientôt dans la Vigne américaine l'origine et l'historique.

La fête des vignerons, qui fut instituée par les abbés créateurs de la Confrérie des Vignerons, n'avait pour but à son origine que de décerner de modestes récompenses, quelques petites sommes d'argent, des serpettes d'honneur, etc. Aux vignerons qui s'étaient le plus distingués pendant un certain nombre d'années. Avec le temps, ces fêtes prirent de l'importance et devinrent de grandes fêtes agricoles où toutefois la place d'honneur était toujours réservée aux vignerons.

Depuis un siècle, ces fêtes, qui s'étaient bornées jusque- là à des promenades dans les rues de Vevey, à des banquets plus ou moins somptueux, se transformèrent en représentations théâtrales, en danses, en ballets, dont les figurants étaient surtout recrutés dans la population vigneronne des environs de Vevey.

Quant aux déesses et à leurs grands prêtres qui représentent les diverses branches de l'agriculture, on les emprunte ordinairement aux troupes des théâtres ; c'est dans ces conditions qu'ont été représentées les fêtes de Vevey, les 5, 6, 8 et 9 août 1889.

Quatre groupes, composés chacuns de leur corps de musique et de leurs corps de ballet, figurent les quatre saisons.

Palés, avec les faucheurs et les faneuses, représente Je printemps; le groupe de Cérès, l'Été, se compose de moissonneurs, glaneuses, batteurs de blé ; Bacchus, le dieu de l'automne, se présente avec ses vignerons, ses tonneliers, ses vendangeurs, ses vendangeuses et le pressoir de la vendange. L'hiver est figuré par une arche de Noé et par une noce villageoise formée de vingt-deux couples représentant avec leurs costumes spéciaux les vingt-deux cantons de la confédération suisse.

Tous les figurants dans les corps de ballets et les chœurs sont des vignerons, des vigneronnes, de jeunes paysans, de jeunes paysannes, qui ont dû s'exercer depuis quelques mois, sous la direction d'artistes spéciaux, aux chants et aux danses qu'ils ont exécutés avec un ensemble et un goût vraiment remarquables.

On ne trouve pas évidemment chez ces artistes improvisés la précision des mouvements, l'exécution rigoureuse et irréprochable des figures, mais ils remplacent avantageusement "ces perfectionnements, que donne seulement une longue pratique, par un entrain, une grâce, un bon goût qui enlèvent les applaudissements de l'assistance.

Le 5 août, malgré une pluie matinale qui avait mis en bien grande inquiétude tout le pays Vaudois, le brouillard s'élève et se dissipe; le soleil, dès huit heures du matin, se montre radieux, éclairant l'immense estrade dressée pour la fête, avec le splendide cadre qui l'entoure : la ville de Vevey pavoisée, enguirlandée, le lac bleu, les hauts pics de la Dent du Midi et. en face, les riches coteaux de vignes de Vevey couronnés par des prairies montagneuses que surmontent les sombres forêts de sapins.

Une foule nombreuse se presse sur les estrades qui bientôt ne suffisent plus ; toutes les maisons qui entourent la vaste place de Vevey sont bondées de monde à toutes les fenêtres et les toits sont couverts de curieux qui dominent la scène où vont figurer les acteurs de la grande fête des vignerons.

A huit heures et demie, une salve de quatre coups de canon annonce l'arrivée des vignerons lauréats dans l'enceinte.

L'abbé, président de la Confrérie, en costume du dix-huitième siècle, la crosse en main et le tricorne sur la tête, ouvre la marche et s'avance précédé par la musique d'honneur et le corps des Suisses. Cet abbé président, qui n'est ni plus ni moins que l'ancien président de la Confédération, porte très gaillardement les insignes de sa dignité et vient prendre place au siège d'honneur qui lui est réservé sur l'estrade; à sa gauche se rangent les vignerons qui doivent être couronnés ou récompensés.

A ce moment, les cloches de toutes les églises viennent mêler leur voix à celle du canon ; un hourra immense, poussé par trente à quarante mille personnes, annonce que tous les coeurs battent à l'unisson pour saluer et applaudir les représentants de cette grande société vigneronne qui, depuis plusieurs siècles, a eu une si grande influence sur la prospérité, la richesse des vignobles de la Suisse romande, et qui sait si bien rappeler, dans ses belles fêtes, le passé glorieux de la Suisse et faire vibrer la fibre patriotique. Au milieu de cet enthousiasme, de cet entraînement général, nous avons vu sur bien des figures des larmes d'attendrissement' et nous avouons avoir commis nous-même cet acte de faiblesse, que firent bien vite oublier le chaleureux discours du président de la Confrérie ', le couronnement des vignerons, les chants patriotiques, les ballets des divers groupes.

Citons, parmi les chants les plus applaudis, celui du Vigneron avec choeurs , puis le Chant des Armaillis ou Ranz des Vaches, les Chansons de printemps et d'automne des vignerons, le Chant des tonneliers, le Chant de la Noce.

On a surtout applaudi : Le Ballet des Enfants du printemps, le Ballet des Bergers et Bergères, le Ballet et chant des Jardiniers, le Ballet et chant des Faucheurs et Faneuses, les danses, chants et simulacres des travaux des Vignerons, les Faunes et Bacchantes,

1.

L'espace restreint dont nous disposons ne nous permet pas de reproduire en son entier l'allocution si remarquable de l'abbé, président de la Confrérie, nous en détachons seulement la dernière partie :

DISCOURS DE L'ABBÉ CÉRÉSOLE, PRÉSIDENT (Péroraison).

Vignerons ! Chers concitoyens!

« Notre confrérie a pour devise ces mots : Prie et travaille ! Travaille, non pas comme le désespéré qui accomplit avec résignation une tâche ingrate, mais comme un homme libre qui, à l'abri des institutions que le peuple dont il fait partie s'est librement données, augmente son bienêtre, élargit son horizon, améliore le sort de sa famille. Prie, c'est-à-dire relève vers le ciel ce front que ton oeuvre journalière tient courbé vers la terre.

Ouvre ton âme immortelle à tout ce qui est grand et beau.

Aime ta patrie, les lieux qui t'ont vu naître, ce sot qui t'a nourri, ces champs, ce tac, cette montagne et cette liberté, conquêtes de nos pères, que nous voulons conserver a nos enfants. »

2.

O jour de gloire et d'allégresse,

Triomphe (les agriculteurs ),

Ton souvenir vivra sans cesse

Et fera tressaillir nos coeurs !

Ah ! chérissons une patrie

Où l'on voit notre art honoré,

Que chaque instant de notre vie

A son bonheur soit consacré!

Danses et chants..

La Noce du Village, qui a toujours été un des morceaux les plus goûtés dans la fête des vignerons, s'est surpassée en 1889. Rien n'était plus charmant, plus entraînant que celle danse à grand orchestre, exécutée par les vingt-deux couples représentant dans leurs costumes cantonaux les plus variés, les plus bigarrés, l'union des vingt-deux cantons de la Confédération.

Des applaudissements prolongés et bien nourris ont couronné, comme elle le méritait, cette dernière partie du programme des. fêtes de Vevey.

Ce qui nous a surtout frappé dans cette grande fête agricole où se trouvait réunie une énorme foule, c'est l'ordre, le calme qui n'ont cessé de régner pendant toute la durée de la fête, grâce aux excellentes mesures de circulation et de distribution des places si bien prises par les organisateurs de cette splendide fête.

Nous ne saurions trop les remercier de l'accueil qu'ils ont bien voulu faire aux délégués de la Société de viticulture de Lyon et leur adresser toutes nos félicitations et, notre meilleur souvenir de Vevey.

Heureux pays où l'on sait jouir largement de la liberté sans en abuser, heureux pays où l'on a raison de chanter en choeur :

Libres, mais sans licence.

Unissons à jamais

Le travail, l'espérance,

La concorde et la paix

V. P.

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Roger Monnard
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19 octobre 2018
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