Le Chien de l'Hospice et le jeune Enfant

Sylvie Bazzanella

Il est un mont fameux, de frimas couronné, où l'hiver, asseyant son éternel empire, sans cesse fait la guerre à tout ce qui respire ; où le rude aquilon, sans cesse déchaîné, soufflant avec fureur tout autour de sa cime de la neige glacée ébranle les amas, les fait tomber en bloc, et d'abîme en abîme projette l'avalanche avec un long fracas.

Le père des saisons, poursuivant sa carrière, vainement sur ce mont, de son char radieux, lance ses traits; l'hiver oppose la barrière de ses vastes glaçons, tout brillants de lumière, mais qu'il ne peut jamais pénétrer de ses feux.
Que jamais en ces lieux nul mortel ne s'arrête; que l'effroi du danger précipite ses pas; iI marche environné de perfides frimas : La mort est sous ses pieds, la mort est sur sa tête. Là, des sapins, des mélèzes épars, tristes enfants d'une stérile terre,
quelques aigles bravant cette froide atmosphère du passant contristé frappent seuls les regards.

C'est là, c'est sur ce mont que, sentant en son âme de l'amour du prochain brûler la douce flamme, Saint Bernard, emporté d'un élan généreux, établit un asile ouvert au malheureux. C'est là, depuis ce temps, pour secourir leurs frères, qu'imitant ses vertus, prisonniers volontaires, des hommes, dans les jours du passant redoutés, quand la brume ou la neige ôte au ciel ses clartés, ou bien quand par degrés le jour fait place à l'ombre, explorent les chemins pour diriger les pas du pauvre voyageur, que maint et maint encombre menace à chaque instant du plus affreux trépas. Mais, du génie humain précieuses ressources!

Des chiens dressés par eux les suivent dans leurs courses, partagent leurs dangers, secondent leurs travaux; souvent même on a vu ces savants animaux retenir un passant au bord du précipice. Du mont Saint-Bernard donc, sorti seul de l'hospice, un de ces chiens suivait les sentiers périlleux; déployant en tout lieu sa rare intelligence, iI promenait partout des regards curieux.
Un objet éloigné s'est offert à ses yeux.... A cet aspect, promptement il s'avance. Qu'aperçoit-il ? ô ciel ! un jeune enfant dormant paisiblement sous une affreuse voûte de neige et de glaçons. En cet endroit, sans doute, la terrible avalanche a, dit-il, en tombant, dans l'abîme emporté ta malheureuse mère.

Pauvre petit infortuné ! Tu me remplis le cœur d'une douleur amère; mais, puisqu'à te sauver le ciel m'a destiné, empressons-nous. » II dit; près de lui fait entendre un salutaire jappement, l'agite par son vêtement. L'enfant s'éveille, a peur; mais de l'air le plus tendre sur lui fixant les yeux, le chien parle en ces mots : « Mon aspect t'a surpris, que ma voix te rassure; Je t'engage, je te conjure, sans tarder un instant, de monter Sur mon dos. »

De l'enfant la crainte se passe ; enfin le chien si bien parla, que sur sa molle échine enfourché le voilà; de ses petites mains doucement il embrasse le cou de son coursier, qui, plein d'agilité, et fier de son fardeau, remonte vers L'hospice. Par ce bon animal se sentant emporté, le jeune écuyer dit : " D'un aussi grand service, de tant de peine et de bonté quelle sera La récompense ? quel terme donnerai-je à ma reconnaissance ? Je ne suis qu'un enfant ; Hélas ! je ne puis rien ; mais un jour, crois-moi, je l'espère… -

Laisse-là ce souci; le plaisir de bien faire doit suffire aux bons cœurs, lui répondit le chien. Il ajouta ces mots : « Seulement, lorsque l'âge aura multiplié le nombre de tes ans, songe à moi quelquefois; n'imite point ces gens que l'on voit prodiguer et les coups et l'outrage à d'infortunés animaux, les compagnons de l'homme, à ses ordres fidèles, de ses maisons, de ses troupeaux incorruptibles sentinelles, qui, partageant ses plaisirs et ses maux, qui, bravant pour l'ingrat une main ennemie, et, relevant son courage abattu, quand un fer assassin vient menacer sa vie, lui donnent si souvent des leçons de vertu. »

M. Boyer-Nioche

Texte extrait de : Fables philosophiques et politiques, dédiées au Général Lafayette

Paris, chez Igonette Libraire - 1831

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