Petite histoire de la race d'Hérens

11 juillet 2020
Valais, Vaud, Fribourg, Neuchâtel, Berne, vallée d’Aoste, Haute-Savoie, Chartreuse, Paris
Jean-Yves Gabbud

Par Jean-Yves Gabbud

La race d’Hérens est une race bovine particulière, puisque ses représentants, et représentantes surtout, se livrent à des combats.

Elle est présente en Suisse, en Italie et en France principalement. Pour la Suisse, 90% du troupeau Hérens se trouve en Valais, mais la race a tendance à se développer dans plusieurs autres cantons (VD, NE, BE, etc.). En Italie, le troupeau principal se trouve dans le Val d’Aoste avec une extension dans la Lombardie voisine. En France, l’Hérens est présent historiquement en Haute-Savoie, mais il existe des élevages dans d’autres régions, notamment en Chartreuse.

Les débuts

L’histoire de la race d’Hérens pourrait débuter au néolithique, puisque c’est à cette période que l’on date l’apparition des vaches en Valais…

Il faudra attendre longtemps pour que l’on utilise l’appellation «race d’Hérens». La date de 1859 est peu connue dans le monde de l’élevage, mais il marque un tournant important. Pour la première fois, le rapport du Gouvernement valaisan mentionne la race d'Evolène, qui sera rebaptisée plus tard race d'Hérens. Avant cette date, la notion de race bovine n'existait pas, on utilisait plutôt la notion générique de «bêtes à cornes».

Reconnaissance de la race

En 1884, la race d'Hérens est reconnue officiellement pour la première fois à l'occasion de l'introduction de la loi cantonale valaisanne sur l'élevage. C’est l’ordonnance d'application de cette loi qui fixe le standard coloré de la race.

Pour éviter des croisements, les autorités valaisannes imposent un manteau uni, qui n’est alors pas la norme. Cette volonté étatique est contestée par une partie des éleveurs. Des sujets avec des taches blanches sur leur robe continuent d’exister. Ils sont appelés Evolénards, alors que les sujets à la robe unie sont appelés Hérens.

Ce problème de couleur de robe ne sera réglé qu’en 2003, lorsque l'assemblée des délégués de la Fédération d'élevage accepte l'intégration de l'Evolénarde dans le herd-book de l'Hérens.

La Fédération d’élevage

Le 10 janvier 1917 est créée la Fédération des syndicats d'élevage de la race d'Hérens. Le conseiller d'Etat Maurice Troillet en est l'un des instigateurs. Ses activités ne débuteront vraiment qu’en 1920, avec la mise en place du herd-book (le registre généalogique).

A cette date, la vache d’Hérens est une petite bête. Le poids moyen des Hérens adultes avoisine les 400 kilos. La hauteur moyenne au garot est de 110 à 120 cm et le tour de poitrine de 167 cm. La production moyenne de lait est de 2180 kilos par an.

A titre de comparaison, en 2016, la reine de la Foire du Valais, Pouky des frères Bétrisey de Saint-Léonard pèse 907 kilos. Il s’agit là du record absolu pour la reine d’un combat.

La race d’Hérens est entourée par une deuxième entité, l’association des Amis des reines, née en 1967 sous le nom de... Corrida Club Valais. Une appellation qui sera vite abandonnée en raison des confusions et qu’elle peut provoquer.

Les premiers combats de reines

En 1859 a lieu la première Bataille de reines organisée et documentée de la Vallée d'Aoste à Vertosan; un événement qui arrive bien avant que les premiers combats soient organisés en Valais, en dehors des alpages, puisque la première documentation d’un tel combat, à Sion, date de 1889. Aussi bien du côté valdôtain que valaisan, ce sont là des manifestations isolées.

L’événement qui est considéré comme étant le premier combat de reines en Valais a lieu le 20 septembre 1922. Il se déroule à Montana au lieu-dit les Barzettes, avec une soixantaine de bêtes provenant des alpages de la région. Le prix d'entrée était de 2 francs.

A partir de cette date, l’organisation des combats va devenir régulière. En 1923, il y aura des combats de reines à Martigny (26 et 27 mai) et à Verbier (26 août), ainsi qu’un nouveau combat à Montana (10 juin).

L’organisation de la saison de combats avec des combats éliminatoires permettant d'accéder à une finale cantonale valaisanne se déroule dès 1957. La première finale cantonale dans l'arène de Praz-Bardi, entre Sion et Aproz, a lieu en 1971 et a toujours lieu là depuis.

De l’autre côté de la frontière, dans la vallée d’Aoste, les combats (appelés Batailles) se mettent en place à la même époque. Le 6 mai 1924 a lieu à Châtillon une bataille qui réunit 38 vaches. Cet événement est considéré comme la première Bataille.

Mais, le premier concours officiel avec des batailles éliminatoires et une finale se déroule en 1958.

Si la race d’Hérens se caractérise par ses combats, cette particularité n’a pas toujours été du goût des instances officielles. Ainsi, dans le rapport de la Fédération d’élevage d’avril 1934, on peut lire: «Nous avons le regret mais l’obligation de le dire ici: ce n’est point particulièrement en organisant des combats de reines et en consentant de gros sacrifices pour leur réussite que l’on sauvera la race d’Hérens.»

Des événements particuliers ont émaillés l’histoire des combats de reines. Ainsi, suite à des polémiques de presse, un contrôle antidopage a été instauré. Le premier a été effectué lors du combat de Vétroz de 1996.

Un combat international, appelé combat de l’Espace Mont-Blanc, est organisé depuis 2012 entre des primipares issues de Suisse, de la vallée d’Aoste et de Haute-Savoie. L’événement change de pays chaque année.

L’extension de la race

Pendant longtemps, en Suisse, la race d’Hérens est essentiellement cantonnée dans le Valais central.

Une des explications de cette limitation géographique tient au fait que chaque race défend son territoire. Ainsi, par exemple, un groupe d’éleveurs, qui possèdent plus de cent Hérens aux Hauts-Geneveys dans le Val de Ruz (NE) a eu l’intention de créer un syndicat d’élevage dans les années 1930. Mais la Fédération suisse des syndicats d’élevage de la race du Simmental, en date du 18 février 1936, écrit aux Gouvernements cantonaux de la Suisse romande. Elle les prie, en substance, de prendre des mesures propres à enrayer la pénétration d’animaux d’autres races dans l’aire d’extension de la tachetée.

La première extension de l’aire territorial de l’Hérens débute dans les années 1980 en direction de la partie germanophone du Valais. En 1980, le Haut-Valais compte quelque 600 Hérens. Il en comptera près de 2000 en 1995. Depuis, le Haut détient près d’un quart du troupeau Hérens valaisan.

A lire aussi: les combats dans le Haut-Valais

Il faudra attendre 2001 pour qu’un syndicat d’élevage non valaisan, en l’occurrence celui de Sévery, soit admis au sein de la Fédération d’élevage de la race d’élevage. Il sera suivi par un syndicat appelé Ouest suisse.

Depuis 2007, des éleveurs provenant de l’extérieur du Valais participent régulièrement aux combats éliminatoires valaisans, les seuls qui permettent d’accéder à la finale nationale. Ainsi, en 2018, les bêtes qui prennent part à la finale nationale proviennent des cantons du Valais, de Vaud, Fribourg, Neuchâtel, Berne et Schwytz.

En 2020, 10% du cheptel suisse de la race d’Hérens est détenue à l’extérieur du Valais.

Des combats partout

Des combats de reines sont organisés un peu partout en Suisse, mais ils ne permettent pas aux vaches de se qualifier pour la finale nationale qui se déroule en Valais.

Le premier combat du Gros-de-Vaud a lieu à Oulens-sous-Echallens sous la conduite de Patrick Perroud en 2000. Il se maintiendra pendant dix ans. Depuis, trois combats sont organisés dans le canton de Vaud: le combat de la Riviera aux Avants (depuis 2017), un combat à Essertines-sur-Yverdon, qui a lieu tous les deux ans, et le combat de Yens, qui a remplacé celui de Bussy-Chardonney.

Depuis 2012, des combats ont lieu dans le canton de Neuchâtel, où a été constituée l’Amicale neuchâteloise de la race d’Hérens. En 2016, un premier combat de reines du Kandertal (BE) est organisé. Un combat a aussi eu lieu à Villarlod (FR) en 2009.

En 2015, pour la première fois, un éleveur vaudois, Patrick Perroud d’Oulens-sous-Echallens, obtient, avec Frégate, le titre de reine nationale.

En France

Après la deuxième guerre mondiale, la race d’Hérens fait le bonheur de la France. En 1945, une commission française d’importateurs achète de nombreuses Hérens provenant du Valais. Le 5 novembre, un premier convoi passe la frontière suisse au Châtelard. Deux autres convois suivront le 10 novembre et le 10 décembre. Au total 83 têtes de bétail (65 vaches, 16 génisses et 2 taureaux) ont passé la frontière.

Dans la foulée, un premier syndicat d'élevage en Haute-Savoie est créé, le 11 novembre 1945, à Servoz. Cette création sera suivie par celle des syndicats des Houches, des Contamines et d'Argentière. Le premier combat de reines de Haute-Savoie a lieu à Servoz en 1985, avec 17 bêtes.

En 2000, l'Association des Hérens de Chartreuse, regroupant 40 membres, est créée. Un combat de reines annuel y est organisé.

L’année suivante, l'association "Les Armaillis des reines" voit le jour. Il s’agit d’une association qui réunit des éleveurs de la race d'Hérens français.

Le 26 juillet 2007, le Ministère français de l’agriculture reconnaît la race d’Hérens. Cette décision est publiée au Journal officiel du 8 août 2007.

Une reine populaire et médiatique

La finale des combats de reines est devenue un événement populaire et médiatique. La couverture, en direct, par la télévision romande (RTS) depuis 1998, a participé à ce succès.

A titre d’exemple, la finale 2001, à laquelle a assisté le président de la Confédération Joseph Deiss et le Conseil d'Etat valaisan in corpore, a attiré 12'348 personnes sur place et a été suivie par 160'000 téléspectateurs. Cinq quotidiens (Nouvelliste, Walliser Botte, Le Matin, 24 Heures et Le Temps) ont consacré leur "Une" à cet événement.

2001 aura été l’un des sommets médiatiques pour la race d’Hérens, grâce à sa première participation au Salon de l’agriculture de Paris. Un combat de reines est organisé dans le cadre parisien en 2005 et connaît un immense écho.

La race d’Hérens dispose de ses propres organes de presse. Il s’agit de la «Gazette des reines» (dès 1995) et de «Racedherens.ch» (l’organe officiel de la Fédération s’élevage depuis 2012), sans compter de nombreux sites internet, pages Facebook ou comptes Instagram.

Une héroïne: Souris

La race d’Hérens a même son héroïne. Il s’agit de Souris de Marie-José Jacquod. Son statut spécial est né en 1998 lorsqu’elle devient reine cantonale pour la troisième fois consécutive. Un exploit unique dans l’histoire de la race.

Après le décès de sa propriétaire en 2002, Souris passe une retraite paisible dans l'exploitation de Daniel-André Pont à Vaulruz dans le canton de Fribourg. Elle est euthanasiée en septembre 2006 après un accident. Le Musée cantonal valaisan d'histoire naturelle l’a fait naturalisée et l’expose dans ses locaux.

Importance économique

L’importance économique de la race d’Hérens a été calculée en 2014 par Christoph Rotzer, responsable zootechnique au Service de l’agriculture de l’Etat du Valais.

Pour le Valais, le rendement brut annuel de l’élevage de la race d’Hérens se monte à 14,75 millions de francs. Ce qui rapporte le plus, c’est la viande (9 millions), puis le lait (5,5 millions).

Au niveau des combats, pour la finale nationale 2013, le budget annoncé se monte à 1,2 million. En 2013 toujours, 30 000 entrées payantes ont été comptabilisées lors des différents combats qui ont jalonnés l’année en Valais.

Un avenir incertain

L’avenir de la race d’Hérens n’est pas forcément rose pour autant. En 2019, le conseiller d’Etat valaisan Christophe Darbellay constate que l’effectif des Hérens inscrits au herd-book a baissé de 10% entre 2013 et 2018, passant de 6707 à 6078 sujets. Il met sur pieds une task force pour tenter d’enrayer ce phénomène inquiétant.

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