Günter Grass, le bourru magnifique Repérage

28 avril 2015
Alès, France
Marc Schindler
Marc Schindler

Il y a des rencontres qu'un journaliste n'oublie pas, parmi les milliers de personnalités qu'il rencontre dans sa carrière. Günter Grass, qui est mort en 2015 à 87 ans, était de ceux-là. J'ai interviewé deux fois le célèbre écrivain moustachu. Ou plutôt le militant socialiste, ami de Willy Brandt. En 1969, je suis en Allemagne avec une équipe de la télévision suisse pour couvrir la campagne de Willy Brandt, le candidat du parti socialiste SPD à la chancellerie, contre Kurt-Georg Kiesinger, son allié dans une grande coalition CDU-SPD-FPD. Grass soutient la candidature de son ami Willy Brandt. Il le fait à sa façon, pas avec l'appareil du parti socialiste. Il a acheté un vieux bus VW avec un haut-parleur sur le toit, il y a collé le slogan de campagne : « Um den Kanzler geht es » - « C'est du chancelier qu'il s'agit ». Il s'arrête sur les places, dans la rue, il enclenche le haut-parleur et il encourage les électeurs à voter Brandt, de sa voix profonde et rocailleuse de fumeur de pipe. En 1969, Internet n'existait pas et la politique se faisait dans la rue et dans les meetings électoraux. J'essaie de l'accrocher, à Bonn, pour une interview. Pas le temps pour une TV étrangère, la campagne électorale l'occupe à plein temps. Il promet de me retrouver dans quelques jours, à Würzburg, en Bavière, une ville historique au cour de la Franconie noire, pas vraiment un fief socialiste. Je le retrouve au restaurant qu'il m'avait recommandé. Ce fin gastronome commande un poisson pêché dans la rivière Main et une bonne bouteille de vin blanc. Il parle assez bien le français, mais seulement pour parler de cuisine, pas de politique. Je le retrouve quelques jours plus tard, dans une réunion électorale où Willy Brandt, le bâtard né Frahm, le militant qui s'est réfugié en Norvège pour échapper aux nazis, celui qui va devenir le premier chef de gouvernement socialiste de l'après-guerre, enflamme ses partisans avec sa voix éraillée de tribun. J'avais lu son célèbre roman « Le Tambour », mais Grass n'avait pas encore reçu le Prix Nobel. Et surtout, il n'avait pas encore publié « Toute une histoire », qui allait provoquer un tollé en Allemagne. On l'accusera de ne pas aimer l'Allemagne, parce qu'il écrit que la réunification a annexé l'Allemagne de l'Est. Ce polémiste redoutable, fierté des lettres allemandes, allait être rattrapé par son passé en 2006. Lui qui donnait des leçons de morale aux Allemands qui avaient soutenu Hitler, il a dû reconnaître qu'il avait servi dans la Waffen SS, en octobre 1944. Mais le vieux lutteur ne baissait jamais les bras : en 2012, il publiait un poème accusant Israël de « menacer la paix mondiale », sous le titre provoquant : « Ce qui doit être dit ». La seconde rencontre avec Günter Grass, c'était en 1984. Je réalisais, avec Michel Heiniger, un portrait de Willy Brandt pour l'émission « Destins » de la télévision suisse. Je voulais avoir son témoignage sur l'homme politique qu'il avait soutenu. Grass habitait tout au nord de l'Allemagne, dans le Schleswig- Holstein. Vraiment le bout du monde, des paysages nordiques, la mer du Nord, la Baltique, ses vents et ses marées. Le vieil écrivain avait choisi de retrouver ses racines, il était né à Lübeck. Dans sa vieille maison de pierres battue par le vent, sous un ciel gris, il m'avait reçu dans son salon, la pipe au bec. Il avait pris ses distances avec le militantisme politique, mais il gardait son amitié avec Willy Brandt. Pendant plus de trente ans, l'écrivain et l'homme politique se sont écrits des milliers de lettres. Ils partageaient le même rêve d'une société civile démocratique, d'une détente entre l'Est et l'Ouest et d'une politique de développement. Mais la politique du chancelier l'avait déçu et il avait pris du recul, après la démission forcée de Brandt, en 1974, après l'affaire de l'espion est- allemand Guillaume. Un accueil poli, mais sans chaleur, une conversation à voix basse, sans anecdotes sur son amitié avec Brandt. Mais aussi, un sens de sa valeur : en me raccompagnant, Günter Grass m'a demandé 1000 marks, à verser à son éditeur. Ce n'était pas la pratique de la télévision suisse et le budget de l'émission ne le permettait pas.

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7 février 2016
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