Ah, le très attractif podoscope pour les enfants...

Ah, le très attractif podoscope pour les enfants...

Iris Ritzmann
Bulletin des Médecins suisses 2021;102(26):899

Je me souviens fort bien de cet engin mystérieux de mon enfance, dans les années 1950, quand ma mère nous emmenait chez Cattaneo Chaussures ou chez Fessler, à la Grand Rue de Morges, nous nous précipitions vers ce tube magique dont la lucarne nous permettait de voir gigoter nos orteils...

Ce souvenir a été réactivé par l'article paru dans le Bulletin des médecins suisses, Risiko in Kinderschuhen, écrit par Iris Ritzman avec cette photographie de l'auteur datant de 2015, prise au Musée Electrum de Hamburg (Pedoskop der Firma Wilhelm Altenkirch & Sohn, Uelzen. Sammlung des Museums Electrum, Hamburg).

Cet article m'a semblé intéressant et digne d'être partagé, c'est vraiment à mes yeux une page significative de l'histoire de la médecine et de ses fourvoiements.

En voilà la traduction:

"Le mieux pour nous, les enfants, était un podoscope au fond du magasin" écrit le photographe Michael Deschamps en janvier 2019 sur son site augenschmaus.athost.de. Le podoscope permet de visualiser le squelette du pied à l'intérieur des chaussures grâce à un appareil de radiographie. L'objectif premier de cet appareil était de faciliter l'achat de chaussures pour enfants par les parents. Le hublot découpé dans le haut de l'appareil permettait aux parents, au personnel du magasin et l'enfant lui-même de juger si les nouvelles chaussures laissaient suffisamment de place pour les orteils. Deschamps se souvient de la façon dont les enfants plus âgés s'amusaient à voir leur propre squelette de pied danser sur l'image.
Dans les années 1950, on trouvait un podoscope dans tous les grands magasins de chaussures./.../ Comme les mesures effectuées à la fin des années 1940 l'avaient montré, l'exposition aux rayonnements de ces appareils était extrêmement élevé./.../ Comme l'explique l'historienne suisse Monika Dommann dans son histoire des rayons X de 2003, avec cet appareil, l'achat de chaussures est devenu un examen médical, le pied de l'enfant un objet scientifique. L'image des os du pied promettait une objectivité qui semblait bien supérieure à la propre perception d'une chaussure inconfortable.
Les techniques radiologiques ont renforcé l'idée d'une technologie de santé indispensable, sûre et ultramoderne, ce que l'on peut observer parallèlement dans la médecine préventive, par exemple dans les examens radiologiques des enfants d'âge scolaire ou dans les examens radiologiques de routine de l'utérus des femmes enceintes.
Pourquoi n'y avait-il guère de réserves à l'égard de l'irradiation du podoscope, pourtant appliquée principalement à des enfants ? En effet, dès les années 1920, non seulement les revues spécialisées, mais aussi de nombreux médias, ont largement évoqué les risques des rayons X. Le danger potentiel ne semblait pas correspondre à l'image d'une médecine ultramoderne. Ce n'est que dix ans après le largage des premières bombes atomiques - le Conseil fédéral discutait alors d'un armement atomique de la Suisse - que l'Office fédéral de la Santé publique a dicté les premières directives en matière de radioprotection, et à l'automne 1963, également pour les appareils de radioscopie pour chaussures. Mais il fallut encore attendre des années avant que le podoscope ne disparaisse et que l'ennui ne revienne dans le monde de la chaussure...

Vous devez être connecté/-e pour ajouter un commentaire
  • Renata Roveretto

    Cher monsieur Philippe Chappuis, merci, très intéressant, mais tout aussi inquiétant d'offrir ce genre de jouet extraordinaire aux enfants, ainsi qu'aux adultes !

  • Sylvie Bazzanella

    Bien des souvenirs remontent à la surface à la vue de cet appareil de malheur qui fut la cause d'un de mes gros chagrins d'enfance. Se trouvait, dans les années 1950 à Château-d'Oex, le magasin de chaussures Grassi. La belle saison arrivant, l'achat d'une nouvelle paire de chaussures du dimanche se faisant pressante, ma chère marraine m'emmena chez Grassi, quel bonheur ! sans aucune hésitation, je jette mon dévolu sur une paire de ballerines noires vernies, agrémentées d'un ravissant petit pompon. Vient le moment tant redouté de passer au podoscope, et là, stupeur, il est établi que les chaussures s'avèrent un brin trop justes à mon pied. J'insiste en déclarant que je me sens très à l'aise ainsi chaussée, mais rien n'y fit, et comble de malheur, aucun autre modèle ne me plaisait. Gronderie, tentative de persuasion n'ont fait qu'attiser mon couroux. Marraine contrariée, fillette en pleurs ont rejoint la maison.

    • Philippe Chappuis

      Ah! Pour de vrai, être privée de cette paire de ravissantes ballerines à pompons, quelle triste histoire d'enfance que vous nous racontez là et très bien, elle me permet de reprendre mon marteau et de redonner un bon coup pour insister sur les fourvoiements, vous avez été victime de la supériorité indiscutée de la preuve "scientifique" contre de bon-sens et la sagesse...Avez-vous trouvé par la suite l'occasion d'une revanche et pu vous offrir les ballerines de rêve que le vilain podoscope vous a privé ? Je le souhaite !

    • Sylvie Bazzanella

      Revanche, il y a eu, mais elle s'est présentée sous la forme inattendue non de ballerines à pompons, mais de pantoufles mocassins agrémentées de petites perles de couleur et d'une fourrure de lapin blanc. Les ballerines sont venues bien plus tard, à l'adolescence et je ne ne mange plus de lapin depuis fort longtemps.

  • Claudio Abächerli

    A Lugano, c’était chez Bally en la Via Nassa qu’on trouvait un appareil similaire - qui nous captivait, car la vue du squelette de nos pieds en noir sur fond vert était quelque chose de vraiment extraordinaire. Je pense que au moins 3 ou 4 paires de mes chaussures d’enfant avaient été achetées après une telle radioscopie. Bon, j’ai survécu jusqu’à présent, mais je pense que le risque le plus grand était pour le personnel de vente qui était exposés aux rayons X pendant des heures chaque jour. Il serait intéressant de voir s’il y avait plus de cas de cancer que la moyenne dans les vendeuses des magasins de chaussures. Je parie que oui, mais on n’a pas de données, bien sûr. D’autre coté il ne faut pas oublier que dans les années après sa découverte, la radioactivité était vue comme ayant des effets bénéfiques. P.ex. on vendait de l’eau enrichie au Thorium (radioactif) comme panacée universelle contre toute sorte de maladie Mais la radioactivité est partout. Ici dans les Alpes le granite contient de l’uranium, et donc il rayonne. Et dans la maison il y a bien-sûr le radon dans la cave, mais il ne faut aussi pas oublier que les panneaux en verre des fenêtres contiennent du Potassium 40 lui aussi radioactif…. Et plus l’on monte en altitude, plus les rayons cosmiques sont forts. Donc il faudrait vivre dans une région calcaire au niveau de la mer dans une maison en bois avec fenêtres en plastique. Bien que bois et plastique contiennent du carbone 14 -vous l’avez deviné—radioactif lui aussi. Donc au cours des âges, les êtres vivants ont appris à vivre avec un certain niveau de radioactivité, et il y a des mécanismes physiologiques de réparation du DNA, pourvu que la radiation ne dépasse pas un certain niveau. Si non, ce sont les mutations génétiques, parfois létales, mais parfois -vu dans le cadre général de l’évolution – aussi positives. En effet c’est aussi grâce à la radioactivité de fond qu’on n’est plus sur les arbres à se gratter et manger des bananes….

    • Philippe Chappuis

      Merci , cher Monsieur, pour votre excellent commentaire, il donne utilement une vue élargie des sources de radioactivité, insoupçonnée le plus souvent, présentes dans notre environnement. Le vivant, qui a évolué dans cet environnement, ou n'a pas survécu et a disparu, ou a développé des mécanismes de tolérance qui ont contribué à sa survie. Les progrès dans la connaissance de la matière ont donné à l'homme des outils très puissants qui ont vite démontré les limites des capacités adaptatives du vivant..

Philippe Chappuis
2,198 contributions
13 février 2022
314 vues
2 likes
0 favori
6 commentaires
4 galeries