Repérage
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Robert SCHUMANN, Concerto pour violoncelle op. 129, Maurice GENDRON, OSR, Ernest ANSERMET, 1953

novembre, 1953
DECCA
René Gagnaux

Robert Schumann composa ce concerto en octobre 1850, immédiatement avant sa Symphonie «Rhénane». C'était un période certes féconde, mais aussi cruelle, car ses hallucinations auditives se multipliaient, premiers symptômes du déclin qui conduira à son hospitalisation en 1854 et à son décès deux ans plus tard. Son épouse, Clara, écrit dans son journal: "[...] Ces voix lui disaient qu’il était un pécheur, et voulaient l’entraîner en enfer; son état aboutit à une véritable crise de nerfs, il criait de douleur, et les deux médecins qui, par bonheur, étaient venus tout de suite, pouvaient à peine le tenir.

Je n’oublierai jamais son regard, je souffrais avec lui les plus cruels tourments. Après une demi-heure environ, il se calma et dit que les voix amicales se faisaient de nouveau entendre, et lui rendaient courage. Les médecins le mirent au lit, et quelques heures passèrent ainsi, puis il se leva de nouveau et corrigea son Concerto pour violoncelle; il espérait, par là, être délivré de l’incessant bruit des voix [...]".

Robert Schumann vers 1840, donc une dizaine d'années avant la composition de son concerto pour violoncelle, lithographie de Josef Kriehuber, extrait

Cité d'un texte de Christian Wasselin publié sur cette page du site de l'Orchestre de Chambre de Lausanne:

"[...] Ce Concerto pour violoncelle (qui fit l’objet d’une transcription, par Schumann lui-même, pour violon et orchestre (*), et sera suivi en 1853 d’un Concerto pour violon) n’a rien à voir avec l’ardeur frémissante du concerto pour piano. Les trois mouvements s’enchaînent, dans l’urgence de retrouver une impossible unité. L’oeuvre, d’une conception étrange,ne fait aucune concession à la virtuosité. Page poignante où tout est beau mais où rien ne brille: le soliste y chante avec un chagrin obstiné devant un orchestre aux couleurs sombres.

Le premier mouvement est porté par une véhémence contenue qui en fait une espèce de fantaisie pour violoncelle, avec un accompagnement discret de l’orchestre. Le bref mouvement lent est une romance à laquelle participe un autre violoncelle soliste sorti de l’orchestre (le double ? Clara ?), et s’enchaîne directement par une brusque accélération au finale, rondo à la fois robuste et inquiet, qui laisse étonnamment la place, à la fin, à une longue cadence, comme un adieu. [...]"

(*) Une copie manuscrite de la partie de violon a été retrouvée en 1987 dans les archives Joachim conservées à la Bibliothèque de la Ville et de l’Université de Hambourg. La partie soliste y est transposée d’une ou deux octaves et la partie orchestrale reste inchangée.

extrait de la page 563 de la partition autographe conservée à Berlin, datée et signée par le compositeur

Le Concerto pour violoncelle - que Schumann nomma d'abord «Concertstück» (Pièce de concert pour violoncelle avec accompagnement d’orchestre) - fut composé très rapidement, en quatorze jours, et achevé le 24 octobre 1850. Il ne fut publié que quatre années plus tard: Schumann attendit deux ans pour l’offrir à une maison d’édition qui refusa l’oeuvre puis, en vain, à un autre éditeur un an plus tard. Ce n’est que le troisième éditeur à qui Schumann proposa l’oeuvre à la fin 1853, Breitkopf & Härtel, qui l’acceptera finalement.

L'oeuvre ne sera pas jouée en public de son vivant (en privé, elle fut jouée le 23 mars 1851 avec le violoncelliste Christian Reimers: voir cette page en allemand du site schumann-portal.de pour plus de précisions sur la genèse de l'oeuvre. Voir aussi la préface de l'édition Eulenburg, 2014), certainement parce qu'elle était de conception trop inhabituelle pour l'époque: elle fut donnée en première audition à titre posthume le 23 avril 1860 à Oldenburg avec la «Großherzogliche Hofkapelle» - "[...] La direction avait été confiée au premier violon Karl Franzen car le chef d’orchestre, August Pott, trouvait l’oeuvre «repoussante, abominable et ennuyante» [...]" (cité d'un texte de Ulf Wallin publié en 2011) -, puis le 9 juin suivant à Leizig, également avec Ludwig Ebert en soliste. Elle ne devint toutefois vraiment populaire que vers la fin du XIXe siècle.

Sur les raisons de la première audition tardive, posthume, Ulf Wallin écrit: "[...] il est possible que la création tardive ait également pu être causée par des événements extramusicaux. Le recours au violoncelle en tant qu’instrument soliste, en particulier pour un concerto, était à cette époque inhabituel. Le violoncelliste Robert Emil Bockmühl en qui le compositeur avait placé sa confiance en 1851 s’était d’abord montré enthousiaste mais il trouva constamment par la suite et jusqu’en 1853 des raisons pour ne pas exécuter l’oeuvre en public. [...]

On retrouve déjà dans l’histoire de la réception de cette oeuvre toute de poésie, de vivacité et de joie véritable des allusions à la maladie de Schumann. La conception même ne fut pas toujours respectée ou même comprise: Pierre Fournier développa la cadence pour la rendre plus intéressante et plus virtuose à son goût mais il y renoncera plus tard au cours de sa carrière; Mstislav Rostropovitch trouvait l’écriture pour orchestre insatisfaisante et commanda à Dimitri Chostakovitch une nouvelle orchestration. Le grand violoncelliste était convaincu que celle-ci s’avérerait supérieure à l’original. [...]"

Mais malgré toutes ces critiques, le Concerto pour violoncelle est probablement l’aboutissement le plus accompli de la phase tardive de l’oeuvre de Robert Schumann et, en même temps, l’un des sommets du répertoire consacré à cet instrument. Le compositeur "[...] semble presque renoncer à la dimension d’échange – de «dialogue» entre soliste et orchestre – qui avait caractérisé tout concerto d’un certain niveau depuis l’époque de Mozart. On pourrait le définir comme une sorte de monologue-rêverie du soliste, au caractère essentiellement lyrique avec de rares éclats d’énergie et de virtuosité: même les traits chevaleresques du final sont assez discontinus et laissent souvent la place à des détours imprévisibles. Ce parcours rapsodique et errant à travers l’espace sonore et le paysage des thèmes (nombreux et centrifuges, quoique liés par des parentés) se déroule sur fond d’un orchestre discret, presque effacé. De temps en temps, le violoncelle, comme dans un état de veille intermittente, semble saisir de cet arrière-plan une cellule, une idée, une suggestion fugitive, qu’il fera sienne et emmènera à nouveau dans ses errements. Dans le premier mouvement, notamment, les ‘tutti’ pour l’orchestre seul sont réduits, par rapport à la grammaire formelle acceptée, au strict minimum et sont rapidement liquidés, sans même leur laisser le temps de boucler les thèmes de manière accomplie: à son tour, l’orchestre se ‘perd’ pour laisser à nouveau la place au soliste....

Dans la démarche du Concerto en la mineur, on trouve donc une sorte de solipsisme (écouter pour s’en convaincre le duo «d’amour» que le violoncelle chante avec soi-même en doubles cordes dans le deuxième mouvement...); on ressent un état de fermeture à l’intérieur d’un moi richissime et poétique, mais coupé du monde. Certains ont évoqué, à cet égard, les difficultés de communication, le repli, les troubles mentaux que Schumann développait depuis longtemps et qui le mèneront à la folie dans les années suivantes. Toutefois, l’op. 129, différemment de ce qui se passera dans le Concerto pour violon de 1853 – sa dernière composition orchestrale, tourmentée et problématique – parvient à maîtriser sa logique «autre», erratique, à la fixer et à la transmettre sous la forme d’un discours accompli, ayant sa cohérence et son efficacité. Au-delà, ce sera le gouffre: pour l’instant, Schumann nous offre le fruit tardif et parfait d’une liberté romantique de l’esprit, avant que la nouvelle génération – celle de Brahms – ne s’attèle à la tâche de réconcilier le rêve et la structure [...]" cité d'un texte de Luca Zoppelli, Université de Fribourg, publié dans ce «livret de salle» sur le site de l'Orchestre de Chambre Fribourgeois.

Pour une analyse de l'oeuvre avec citations musicales, voir cette page du site musiquesenpistes.eu, réalisée par Bernadette Beyne (interprétation de Jean-Guihen Queyras avec le Freiburger Barockorchester dirigé par Pablo Heras Casado (Harmonia Mundi HMC902197).

Cet enregistrement avec Maurice GENDRON et l'Orchestre de la Suisse Romande sous la direction d'Ernest ANSERMET fut fait par l'équipe DECCA - Pr: Victor Olof Eng: Gil Went - en novembre 1953 au Victoria Hall de Genève. Il paraît en février 1954 sur le DECCA LXT 2895 - photo du recto de la pochette ci-dessus - et en avril 1954 sur le LONDON LL 947, couplé avec les Variations Roccoco de Tschaikowski et les mêmes interprètes.

Le commentaire paru dans la revue «The GRAMOPHONE» de mars 1954 en page 388 lors de la sortie du disque:

"[...] It is very hard to choose between two fine recordings of Schumann’s ’Cello Concerto, the one [...]" with Maurice Gendron ('cello), L’Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet, "[...]and the recording by Joseph Schuster with the Los Angeles Orchestral Society under Franz Waxman (Capitol CTL7041) which I reviewed last month. Gendron is the more thoughtful and refined ’cellist. His performance is instinct with poetry, and, with Ansermet, he achieves a lucidity of expression which is very taking. But Schuster floods this work with so warm an emotion, and so embracing and emotional a tone, that it makes, for a while, the Frenchman’s performance seem thin-blooded. Then we return to that one, and find an artistic integrity and understanding which is utterly remarkable. So I have gone on, inconclusively.

The Decca recording is the more "natural", with the sort of balance between soloist and orchestra that we hear in the concert hall. The Capitol favours the glowing tones of the ’cello; and there may be people who find the American orchestral o und rather too glossy and sleek. Schuster coupled the Concerto with Bruch's beautiful Kol Nidrei variations, and a J.C. Bach ’Cello Concerto. Gendron uses Tchaikovsky's Variations on a Rococo Theme, and gives a wonderful display of consummate ’cello playing. For this, which is more frankly a show-piece, the engineers have "brought up" the soloist’s microphone, so that his tone sounds fuller and warmer — almost as warm as Schuster’s. The record ing is faultless. A.P. [...]"

Mon disque - DECCA ND 605, ARL 1924-II - ne peut nier son âge... Grace à ClickRepair j'ai pu éliminer la grande majorité des clicks, reste le souffle, surtout au début. Si vous voulez mieux, acheter l'une des rééditions sur CD...

L' enregistrement que vous écoutez...

Robert Schumann, Concerto pour violoncelle et orchestre en la mineur, op. 129, Maurice Gendron, Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet, novembre 1953, Victoria-Hall, Genève

  1. Nicht zu schnell...............10:32:000 (-> 10:32:000)
  2. Langsam..........................04:01:770 (-> 14:33:770)
  3. Sehr lebhaft.....................07:17:230 (-> 21:51)

Provenance: DECCA ND 605, ARL 1924-II

Les trois mouvements sont joués enchaînés: les minutages donnés ci-dessus permettent de mieux vous situer dans l'oeuvre pendant l'écoute

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René Gagnaux
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7 juin 2019
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