Un accident au Grand-Saint-Bernard

1 novembre 1874
G. De la Soie
Sylvie Bazzanella

A la suite des abondantes chutes de neige qui ont eu lieu dans les Alpes du 16 au 20 Novembre, les journaux suisses ont eu à enregistrer un trop grand nombre d'accidents, parmi lesquels celui survenu au Grand-St-Bernard se fait remarquer par sa gravité exceptionnelle. Nous avons reçu à ce sujet les lignes suivantes qui rapportent la catastrophe d'une manière un peu différente que la version qui a eu généralement cours.

Bovernier, le 30 Novembre 1874.

Monsieur,

Bien que tous les journaux aient déjà publié le triste accident qui est arrivé au St-Bernard le 19 Novembre dernier, je crois, cependant, que quelques détails plus précis pourraient intéresser les lecteurs de l'Echo des Alpes et surtout les clubistes.

Quatre religieux du St-Bernard : MM. Emery, Contard, Glassey, Luisier Joseph, avec le frère J. Rotg et le maronnier Marguerettaz, partirent du St-Bernard le 19 Novembre pour conduire des voyageurs qui descendaient, et en même temps placer dans la neige les jalons qui servent à indiquer la direction pendant l'hiver. Arrivés à Maringoz, ils rencontrèrent une caravane de 23 ouvriers piémontais qui étaient sur le point de rebrousser chemin, vu la difficulté du passage. En voyant les religieux, ces derniers poussèrent un cri de joie et battirent des mains, se croyant sauvés. Tous remontèrent ensemble, au nombre de 29.

Parvenus aux Places, ils suivirent le chemin, dit de l'été - durant l'hiver, à cause du danger des avalanches, on suit une direction différente - que le vent avait un peu découvert. Au même instant, l'avalanche du Comba-Marchandaz (qui est à deux portées de carabine au dessus du premier refuge) se détacha et enveloppa treize personnes, dont huit périrent et cinq furent sauvées. M. Emery fut au nombre de ces derniers. Grâce au fait que ses deux mains sortaient de la neige, il fut promptement découvert et dégagé par M. Luisier et le frère J. Roth. A peine délivré, M. Emery, secondé de ses deux compagnons, se mit à la recherche des autres victimes ; ils en sauvèrent quatre, n'ayant pour tous instruments que leurs bâtons et leurs mains. La nuit tombant, et harassés de fatigue, ils durent chercher un refuge au chalet de la Pierraz, avec les voyageurs qui n'avaient pas été pris par l'avalanche et ceux qui avaient été sauvés.

Les religieux demeurés au St-Bernard furent surpris de ne pas voir rentrer leurs confrères pour midi ; aussi à une heure partirent-ils pour aller à leur rencontre. Ils employèrent trois heures pour faire un trajet d'une demi-lieue, à cause de la tourmente et de la grande quantité de neige tombée ; aussi, voyant la difficulté et le danger où ils se trouvaient eux-mêmes, rentrèrent-ils à l'hospice, jugeant que leurs amis seraient descendus s'abriter où à la Pierraz, où à la Cantine.

Le lendemain matin, vendredi, malgré un temps horrible, six religieux partirent de nouveau à la découverte. Arrivés sur le lieu du sinistre, ils trouvèrent M. Contard avec un voyageur, lesquels, pendant la nuit, avaient réussi à se dégager de l'avalanche ; ils étaient encore en vie, mais une partie de leurs membres étaient complètement gelés, en sorte qu'ils moururent tous deux quelques instants après.

Ce n'est que le lundi 23 qu'on a pu découvrir les autres victimes. L'avalanche était tombée le jeudi vers 1 ½ h. de l'après-midi.

Le maronnier Marguerettaz, ayant deux chiens avec lui, fut, avec un chien, du nombre des victimes.

Veuillez, Monsieur, etc.

G. De la Soie, Rd.

Membre honoraire de la Section Monte-Rosa

L'Echo des Alpes - Publication des Sections Romandes Du Club Alpin Suisse, 1874 - No 1

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Sylvie Bazzanella
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8 août 2011
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