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Jules-Henri (dit Henri) Lambert (1849-1922). Pêcheur, gendarme, boulanger, conseiller communal, vigneron, chasseur, pintier, syndic. Une vie sur les rives du Lac Léman, entre Saint-Sulpice (VD), Lausanne et Aigle.VD), Repérage

Ariane Gualtierotti
Ariane Gualtierotti-Gafner

Il y a eu des Lambert originaires de Arnex-sur-Nyon dès 1488. Dans les archives familiales, on note que de nombreux Lambert sont baptisés à l'église de Saint-François à Lausanne. Certains sont bateliers et pêcheurs à Ouchy-Lausanne. En 1837, un Jacques-François Lambert quitte Ouchy pour s'installer comme pêcheur à Saint-Sulpice. Il y loue une petite maison près de l'église dès le 5 mai 1837 et y habitera en tout cas jusq'uen 1852. Le 13 mai 1852 il loue pour ses filets de pêcheur des hangars au lieu dit "dans les Perreyres".

Un des nombreux fils de Jacques-François Lambert est Jean-Louis (1814-1874), époux de Jeanne-Françoise Foretay; le couple aura 4 enfants, dont Jules-Henri (dit Henri) Lambert.

Jeunesse à Saint-Sulpice.

Henri, fils de Jean-Louis Lambert, pêcheur, est né à Saint-Sulpice le 10 mai 1849, cadet de 4 enfants.

Henri Lambert suit ses classes obligatoires à Saint-Sulpice et s'initie aux travaux de pêcheur et de la campagne. A 20 ans, sur un coup de tête à la suite d'un chagrin d'amour, il s'engage dans la gendarmerie vaudoise.

Gendarme vaudois.

Dans les archives de la Gendarmerie vaudoise la recrue Henri Lambert porte le matricule 1837. Il mesure 5 pieds, 6 pouces, 8 lignes. Il entre à l'Ecole de Gendarmerie le 1er juillet 1869 et quitte le corps des Gendarmes vaudois le 31 août 1877. Au cours de ces huit années, Henri Lambert est successivement attribué aux postes de Rolle, Saint-Cergue, Crassier, Lausanne, Vevey, Chillon, Aigle, Montreux et Orbe. Il est fort possible qu'Henri Lambert eût à s'occuper du contingent des Bourbakis (soldats de l'armée française défaite par les Allemands qui demandèrent l'asile en Suisse). On raconte dans la famille qu'Henri Lambert avait reçu d'un de ces soldats ou officiers un très beau pistolet à la crosse niellée qu'il gardait en précieux souvenir. Mais sa femme, très craintive, s'en empara un jour subrepticement et, afin de détruire cette dangereuse arme à feu... la jeta dans le fourneau à bois de sa cuisine, provoquant une violente explosion...

En poste à Aigle dès juillet 1874, Henri Lambert fait la connaissance de Rosine (dite Rosalie) Kalbfuss (1853-1921) qui aide sa mère à tenir une épicerie à Aigle. La famille Kalbfuss originaire de Coinsins (malgré son nom germanique) se compose d'une mère veuve, native de Berne (dans la famille Hürni), d'un fils Armand qui tient une boulangerie, probablement attenante à l'épicerie de sa mère, et de 2 filles.

Sur les instances de sa fiancée, Henri Lambert démissionne du Corps de Gendarmerie en août 1877. Il commence un apprentissage de boulanger. Dès septembre 1877 il se trouve chez le boulanger Kauert à Montreux. Il le quitte en mars 1878. Il cherche du travail à Soleure, Berne et Bienne. Il trouve une place à Suchy près de Genève jusqu'en octobre 1878.

Dans les archives familiales, on trouve des lettres échangées entre Henri Lambert (23 lettres) et sa fiancée Rosalie Kalbfuss (6 lettres) du 14 janvier au 9 novembre 1878.

Boulanger à Lausanne et mariage.

Henri Lambert et Rosalie Kalbfuss se marient en novembre 1878. Ce même mois, le jeune couple loue la "Boulangerie Jordan", à la Rue du Pré 45 à Lausanne. La maison (un immeuble de 4 étages) appartient à la Commune de Lausanne. A cette époque la ville compte un peu moins de 30'000 habitants. La petite rivière du Flon creuse un profond vallon. Seul le Grand-Pont (appelé le Pont Pichard) existait. En amont du Pont Pichard, dans le quartier où les Lambert reprennent la boulangerie, le Flon est déjà partiellement maîtrisé par un canal, et même vouté par place. Cependant sa sauvagerie demeure: en 1889, la maison Jordan sera si gravement endommagée par une crue des eaux qu'il faudra la démolir (mais les Lambert n'y seront plus). Plus haut, au pied de la colline de Sauvabelin, la force de la rivière est utilisée par diverses industries: une fonderie, un moulin, la grande tannerie Mercier qui exporte des cuirs jusqu'en Amérique, une chocolaterie (qui appartient à une famille très inventive, les Kohler...). Depuis 1862, un tunnel au nord de la Cité relie la vallée du Flon à celle de la Louve, rivière qui, elle aussi, avait fait bien des "misères" à la population lausannoise. Mais en 1878, il y a déjà 12 ans qu'elle est matée et qu'elle glisse dans l'anonymat d'une canalisation souterraine.

En aval du Pont Pichard, le Flon, lui coule encore en liberté et dessine des méandres dans une campagne soigneusement cultivée et reliée à la colline de Montbenon (où ni le Tribunal cantonal ni le Casino n'ont encore surgi) par un chemin dit le Pas des Anes.

Voici donc Henri et Rosalie Lambert-Kalbfuss, jeunes mariés, installés à Lausanne. La maison Jordan se dressait à la pointe d'un ensemble de bâtiments au carrefour de la rue du Pré et de la rue du Flon. Elle était primitivement composée elle-même de deux maisons distinctes qui furent réunies en une seule par Jacob-Emmanuel Lacombre, libraire, qui les avait rachetées en 1787.Elle devint en 1823 la propriété de Jacques Buffat, maître-boulanger. En 1860, elle fut acquise par Jean-Samuel Jordan, également boulanger, lequel la revendit à la ville en 1877, c'est-à-dire peu de temps avant l'arrivée des Lambert.

A l'époque d'Henri et Rosalie Lambert, quinze couples et une quarantaine d'enfants vivaient sur les 4 étages de la maison Jordan. Chaque appartement devait donc être fort étroit. Néanmoins les recensements annuels de la ville font état de 5 ouvriers logeant successivement chez les Lambert. Il semble donc qu'Henri Lambert engageait des jeunes gens comme apprentis.

Le 10 juin1880 un enfant naît dans le foyer Lambert, c'est un garçon nommé Albert. La boulangerie d'Henri et Rosalie Lambert avait sans doute un gros débit car le quartier était très peuplé et fréquenté. Mais peu de clients payaient comptant et les "carnets" étaient la ruine du petit commerce.

Henri Lambert est élu dans les rangs radicaux aux élections communales lausannoises et prend part à la première séance du nouveau Conseil communal le 21 avril 1882. Il en démissionne le 7 décembre 1883 pour aller s'établir à Saint-Sulpice (Vaud) suite à un héritage. Il trouve un successeur pour la boulangerie de la Rue du Pré en la personne d'un certain René Dumuid, jeune homme de 22 ans, qui lui aussi n'y restera que peu de temps (1 année) et remettra son commerce à Jean-Joseph Equey qui le maintiendra jusqu'en 1891.

Pintier à Saint-Sulpice.

Henri Lambert a hérité d'un oncle de Saint-Sulpice (Rodolphe Foretay?) "d'une demi-grange, une écurie et une place". Il avait déjà hérité en 1877 de son père "d'une partie orientale d'une maison, une demi-grange, une écurie". En 1883 Henri Lambert agrandit sa propriété en achetant un bâtiment et un "font". Il figure dès lors sur la liste des citoyens de Saint-Sulpice taxés sur la fortune (au nombre de 15 en 1884). Le terrain qu'il possède s'étend sur 89 ares.

Les archives indiquent qu'Henri Lambert s'apprête à exploiter une boulangerie, mais finalement le projet ne se réalise pas. Henri Lambert devient "pintier", non pas par vocation, mais parce qu'une occasion s'est présentée. A Saint-Sulpice il y a déjà deux autres pintes: la pinte Bourgoz et la pinte de Sainte-Barbe. Le Café de la Terrasse, rouvert par Henri Lambert, doit son nom à une jolie terrasse ombragée de platanes qui domine la pente, toute en vignes, descendant du village ramassé sur un replat jusqu'au lac. Il renommera son établissement "Bacchus".

Henri Lambert devient membre du Conseil général et, dès 1886, membre de la Commission de gestion, de la Commission scolaire, de l'Equipe du Sauvetage et Assesseur de la Justice de Paix d'Ecublens.

A cette époque Saint-Sulpice est un petit village de vignerons et de pêcheurs. Le territoire communal descend jusqu'au lac, mais les habitations sont groupées dans le haut, à l'abri des crues des eaux. L'église (le choeur d'une abbatiale romane), elle, n'est pas au centre du village mais au bas de la côte, près de lac.

Pintier, vigneron, Municipal à Aigle.

En janvier 1888 Henri Lambert et sa famille quittent Saint-Sulpice pour Aigle (Vaud), village dont est originaire Rosalie Lambert-Kalbfuss. On ne trouve pas dans les archives familiales les raisons précises de ce déménagement mais il est possible que Rosalie souhaitait y retrouver les siens: sa mère Maria Kalbfuss-Hürni, sa soeur Marie qui avait épousé Henri Dupertuis et qui avait 4 enfants et son frère Armand marié à une Bernoise qui avait 11 enfants.

Le 6 janvier 1888, Henri et Rosalie Lambert achètent le Café de la Comète. La maison de la Comète est bien placée, au centre de la localité, rue du Midi 6.

Henri Lambert devient un Aiglon apprécié dans sa ville. Il entretient de bonnes relations avec ses collègues cafetiers et préside bientôt la Société des cafetiers d'Aigle. Son établissement est le centre de ralliement du parti radical-démocratique d'Aigle et environs. Il se présente aux élections du Conseil communal d'Aigle et est élu. Il y siège comme Municipal Chef des travaux de 1894 à 1901. Il fonde la Société de gymnastique hommes d'Aigle. Il achète un chalet "Les Combres" à Corbeyrier, village voisin, qu'il a gardé jusqu'à sa mort en 1922.

En 1896 Henri Lambert entreprend la construction d'un nouvel immeuble non loin de la première "Comète". Il acquiert une vigne de 2'100 m2, le "Clos des Murailles", promis à une large notoriété. Racheté par Henri Badoux en 1918, son vin "Les Murailles" est encore maintenant l'un des fleurons du vignoble d'Aigle.

Chasseur, Henri Lambert parcourt monts et vallées de sa région, souvent avec un ami très cher, bien que de 14 ans son cadet, le peinte Frédéric Rouge. Frédéric Rouge crée l'étiquette au joli lézard vert qui distingue les bouteilles des "Murailles". On y voit le nom du propriétaire: H. Lambert.

Syndic de Saint-Sulpice.

En 1907, une pénible maladie oblige Henri Lambert à renoncer à ses activités de pintier. Après 20 ans passés à Aigle, les Lambert reviennent à Saint-Sulpice et construisent sur le terrain qu'Henri Lambert avait hérité de sa famille, une jolie villa appelée "Beau Réveil".

Henri Lambert s'intègre rapidement à la vie de la commune de son enfance. Il participe à la création d'une "Société des Auto-transports des Rives du Léman" (1920-1929) reliant Saint-Sulpice et Lausanne, d'un débarcadère pour la Compagnie Générale de Navigation (CGN) et d'une Abbaye du Tir.

Elu Syndic de Saint-Sulpice en 1920, Henri Lambert décède brusquement en 1922. Son épouse Rosalie était décédée quelques mois avant lui.

Son fils Albert Lambert (1880-1950).

Après sa scolarité obligatoire à Aigle et à Lausanne, Albert Lambert est envoyé par son père à Zürich y accomplir un apprentissage de commerce. Après son école de recrues à Bière en 1900, il fait un stage de 3 ans dans une banque à Londres.

Le 15 juillet 1903, Albert Lambert est engagé par la "Banca commerciale italiana" à Gênes. En janvier 1909, Albert Lambert est envoyé par cette même banque pour travailler dans ses agences de Bari et Catagna (Italie). Il est présent quelques jours avant dans la région. Le 28 décembre 1908, jour d'un tremblement de terre qui fait plus de 100'000 morts, la plupart à Messine, il se trouve dans cette ville. Heureusement, il ne fait pas partie des victimes et survit également à l'épidémie de choléra qui sévit (en ne buvant et ne se lavant qu'avec du vin, dit la légende familiale...)

Albert Lambert rentre en Suisse en 1910 et travaille pour la Société de Banque Suisse à Bâle.

Le 1er juillet 1912 il est engagé par la Banque de Mulhouse. Entre 1912 et1914 il est délégué à Strasbourg, Colmar, Belfort, Besançon, Francfort et Berlin. Au moment de la déclaration de guerre, Albert Lambert (qui n'est pas mobilisable en Suisse en raison de son âge) déménage la succursale de la banque à Montbéliard. Le 2 janvier 1915, Albert Lambert épouse en Suisse Hélène Perrin, originaire du Locle, dont la famille est établie à Maisprach, Bâle Campagne. Le couple vit à Montbéliard, puis à Epinal, où naît leur premier enfant au bruit des canons.

En mars 1917, Albert Lambert est nommé directeur général adjoint de la Banque de Mulhouse à Paris. La famille y vivra jusqu'en 1924. Deux enfants du couple naîtront dans cette ville.

Dès juillet 1924, Albert Lambert travaille pour une banque italienne. La famille quitte Paris et va habiter à Gênes.

En 1930, redoutant la montée du fascisme, Albert Lambert rentre en Suisse à Vevey où il travaille pour la Compagnie Nestlé. A la retraite d'Albert Lambert, la famille déménage à Lausanne.

Sources.

Archives familiales de Ariane Gualtierotti-Gafner.

"Chronique de la famille Lambert (1488-1950)" par Marcelle Gafner-Lambert (1916-2016).

"Mémoires" de Hélène Lambert-Perrin (1895-1970).

Correspondance entre Henri Lambert (23 lettres) et sa fiancée Rosalie Kalbfuss (6 lettres) entre le 14 juillet 1876 et le 9 novembre 1878.

Correspondance entre Henri et Rosalie Lambert-Kalbfuss et leur fils Albert.

Pour plus de renseignements, se référer aux ouvrages suivants:

"Saint-Sulpice. Cartes postales et anciennes photos". de Michel Pahud et Roger Pête. (2004)

"Places de Lausanne" de Louis Polla. Editions 24 Heures (1987), où l'on trouve à la page 125 une allusion à la "Maison Jordan, rue du Pré 45, dont le rez-de-chaussée abrite une boulangerie", celle de Henry Lambert, ainsi que de nombreux renseignements sur Lausanne cités dans cet article.

Ariane Gualtierotti-Gafner

Février 2017.

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7 février 2017
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