Cilette Ofaire, encore une écrivaine neuchâteloise méconnue Repérage

Val-de-Travers_Couvet
Claire Bärtschi-Flohr

Elle est née en 1891 à Couvet, dans le Val de Travers. Son père fut directeur de l’Ecole d’horlogerie et de mécanique de ce village. Sa mère mourut quand elle avait trois ans et son père se remaria avec la sœur de sa femme. Commence alors pour Cécile une enfance malheureuse car elle est détestée par sa marâtre qui la maltraite, psychologiquement et physiquement. Son père, qui semble aimer sa fille et pour qui Cilette éprouve une véritable adoration, ferme les yeux, sans doute pour avoir la paix.

Dès qu’elle le peut, elle fuit ce village. Elle n’y reviendra que deux fois. La première, à bout de forces, elle est recueillie plusieurs mois par sa tante et marraine, dont elle porte le prénom, sœur de son père, la seule à éprouver pour elle une véritable affection. Quelques années plus tard, c’est elle qui viendra s’occuper de cette tante, en fin de vie, durant deux mois. Ces événements sont narrés dans un émouvant roman : « Chemins ».

Cécile Houriet se forme à l’Ecole de Commerce de Neuchâtel, apprend l’allemand lors d’un séjour à Bâle où elle suit les cours de l’Ecole d’Art de la ville rhénane, car elle adore dessiner et peindre. Puis elle travaille et se forme chez le maître-verrier Clément Heaton, à Corcelles, Neuchâtel. Elle y retrouve un élève de l’école d’art de Bâle qui deviendra son mari : Charles Hofer. Elle en prendra le nom en le francisant : Ofaire. Cilette est le petit nom de son enfance.

En 1914, elle se marie. Le couple vit à Paris, dans le quartier des peintres, à Montparnasse, et après six mois de bonheur, son mari s’engage comme volontaire dans l’armée française, considérant que chacun doit faire son devoir pour repousser l’ennemi. Ce fut une attitude assez fréquente à l’époque.

Sans emploi, rongée par l’angoisse, Cilette Ofaire survit à Paris, sans argent, dans des conditions dramatiques et quand son mari quitte l’armée en 1916, c’est un homme détruit qu’elle retrouve. Il ne retourne pas au combat et le couple se réfugie à Genève.

Après la guerre, Cilette et Charles retournent à Paris. Pendant que lui passe ses journées et ses nuits à refaire le monde en causant avec des amis, c’est elle qui assure la subsistance du ménage. Charles déprime, rêve à de grands projets, mais ne travaille pas vraiment à leur exécution.

En 1920, Cilette doit passer plusieurs mois en sanatorium. Charles, lui, parcourt le nord de l’Europe. Quand sa femme le rejoint, à peine guérie, il décide d’acheter une vieille péniche et le couple commence à voyager par canaux et rivières. Quand Cilette et son mari sont à l’arrêt dans un port, ils organisent des expositions de dessins et de peinture. Ils remportent un succès certain. Cilette surtout, dessine et fabrique des objets à vendre. Ils vivent ainsi tant bien que mal. Les péripéties de la vie des bateliers sera écrite et dessinée par Cilette et son livre s’intitulera « Le San Luca ». Elle raconte très bien leur vie quotidienne et celle de tous ceux qui travaillent et naviguent sur ces canaux.

La vieille péniche vendue, Charles Hofer achètera un voilier, qui deviendra « Le San Luca numéro 2 ». Pourquoi San Luca ? Mais c’est le patron des peintres !!!

Un livre vient d’être réédité par les Editions de l’Aire, avec des dessins de l’auteure,des photos et la reproduction d’une partie du journal de bord qui est une œuvre tout à fait originale. En effet, les événements quotidiens sont représentés par des dessins suggestifs, sortes de hiéroglyphes. L’édition comporte aussi une passionnante biographie de Cilette Ofaire, fruit de l’excellent travail de Charles Linsmayer. Le titre de l’ouvrage : « L’Ismé », est une magnifique relation de voyage d’un troisième bateau, à vapeur celui-là, acquis par le couple. Mais entretemps, Charles a quitté sa femme et « L’Ismé », sera gouverné par Cilette Ofaire. Parti de La Rochelle, « L’Ismé », conduit par la capitaine, qui a mis à profit quelques mois à quai pour apprendre le métier, secondée par un excellent marin et homme de confiance, Ettore, entreprend de faire le tour des côtes espagnoles. L’idée de départ était de rejoindre la Méditerranée et d’y accueillir des hôtes désirant faire une croisière. Au gré des ports, l’écrivaine va nous montrer la vie des petites gens de manière inoubliable et nous présenter des personnages hauts en couleur. Mais sans le savoir, le bateau et sa Capitaine sont pris dans le piège de la guerre civile qui déchire l’Espagne. Ils sont confrontés à l’absurdité, la malveillance et les soupçons de l’administration des ports. Arrivés à Ibiza après bien des péripéties, le bateau et son équipage sont bombardés par l’armée franquiste. Par miracle, les humains en réchappent mais le bateau est irrécupérable.

Cilette Ofaire va retrouver la terre ferme et vivre les dernières vingt années de sa vie dans une petite maison située à Sanarysur-mer, joli port du Var. Elle y est entourée d’amis. Elle y vit une dernière aventure sentimentale riche de passion, de rebondissements et de déceptions. Elle meurt à Sanary d’une longue maladie en 1964.

Elle a gardé des liens avec le pasteur Eugène Porret, personnalité neuchâteloise, qui l’a soutenue à diverses reprises et avec qui elle a échangé une intéressante correspondance.

Toutes les œuvres de Cilette Ofaire ont eu beaucoup de succès et ont passionné de nombreux lecteurs français, suisses et francophones. Certaines de ses œuvres ont été des best sellers en Amérique. Tout cela dans les années 1940 et 1950. Puis l’écrivaine fut oubliée. Ses oeuvres n’ont pas été rééditées récemment, à part celle que j’ai citée. Mais vous les trouverez toutes dans les bibliothèques.

Cilette Ofaire est sans doute davantage une conteuse qu’une romancière. En effet, elle raconte dans plusieurs œuvres autobiographiques sa vie riche et aventureuse, pas toujours drôle, et elle évoque avec profondeur et empathie les personnes rencontrées.

Ses seules œuvres vraiment romanesques, « La Place ou les rigueurs d’Adèle » ou les nouvelles contenues dans « L’Etoile et le poisson » sont elles aussi inspirées par sa propre existence, on y retrouve une foule de réminiscences, de personnages rencontrés, d’émotions, de réflexions philosophiques. Comme dit son biographe, Charles Linsmayer, elle puisait davantage dans le souvenir que dans l’imaginaire.

Pour moi, ses meilleurs livres sont ceux issus du jaillissement spontané de sa riche personnalité : « Le San Luca », « Sylvie Vesley », « L’Ismé », « Chemins ».

Ouverture, empathie, émotion, mais aussi réflexion, sens aigu de ce qui est juste et foi en l’être humain, amour des êtres, voilà les qualités de cette écrivaine. Le monde qui l’entoure est décrit et mis en mots avec la subtile palette de couleurs et le vocabulaire offerts par sa vision de peintre.

A la lecture de ses livres, Cilette Ofaire est devenue une amie. Cela m’émeut de l’imaginer vivant à Sanary-sur-mer, alors que, durant les années 1951 à 1955, je passais les vacances d’été dans une villa louée et située entre la mer et les Baux.…Cet endroit de la Côte dÂzur était encore préservé. Je l’ai peut-être côtoyée, qui sait, au marché, sur les quais, au bal du 14 juillet…

Une époque et un microcosme qu’elle évoque dans son livre « Un jour quelconque ».

J’ai lu aussi une excellente biographie de Dorette Berthoud. Grâce à elle, on a quelques extraits du Journal de Cilette Ofaire quia disparu depuis. Seul reproche, Dorette Berthoud n’est plus du tout impartiale quand Cilette évoque sa famille du Val-de-Travers. Disons à sa décharge qu’elle était d’une génération qui était encore bien respectueuse des convenances.

Le fonds « Cilette Ofaire » se trouve à la Bibliothèque universitaire de Neuchâtel.

Un dessin du San Luca par Cilette Ofaire

Claire Bärtschi-Flohr
Cilette Ofaire 2
Cilette Ofaire 2

Sur la photo de couverture, Cilette Ofaire est à gauche.

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