Des airs d'autrefois et d'aujourd'hui

7 février 2019
Guillaume Favrod

Le 25 août 1889, Le Ménestrel, un journal parisien, fit paraître dans ses colonnes la réception suivante de la musique d’Hugo de Senger :

On avait demandé au compositeur d'intercaler certains vieux airs dans sa musique nouvelle; grâce à un archaïsme élégant, que lui a suggéré sa connaissance des styles, cette partie de l'oeuvre à revêtu une unité parfaite. De sorte que l'époque et la couleur locale ne sont pas moins exactes pour les oreilles qu'elles le sont pour les yeux. La partition de la Fête des Vignerons survivra aux éblouissements éphémères de représentations qu'on ne reverra plus avant vingt-cinq ans. En la plaçant devant leur piano, les assistants y retrouveront leurs plus délicieux souvenirs.

(A lire en entier ici)

Cette citation résume assez bien le caractère à la fois traditionnel et contemporain de la musique composée pour les Fêtes des Vignerons. Les compositeurs (et compositrices en 2019) doivent jongler entre une tradition musicale ancestrale, incluant un répertoire à actualiser (La chanson de la mi-été, le Ranz des vaches, la valse du Lauterbach, la Montferrine, etc.) et une création originale au sein de laquelle ils peuvent, en quelque sorte, laisser libre court à leur style. Toutes ces partitions, destinées à être jouées par des harmonies, des orchestres professionnels et amateurs mais aussi à être chantées par des choeurs et des solistes, sont aujourd’hui des oeuvres incontournables du répertoire musical romand, folklorique et classique.

Des arrangements à l’opéra

Lors des premières Fêtes de 1819 et 1833, la musique est essentiellement celles des airs traditionnels, liés à la Confrérie des Vignerons ou aux traditions agricoles et culturelles régionales. Les chants et les airs sont arrangés par les musiciens David et Samuel Glady (père et fils), mais aucune « création originale » n’est réellement produite, à l’exception de quelques airs spécifiques.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... François Gabriel Grast entre 1851 et 1865 © Confrérie des Vignerons

Il faut attendre l’arrivée du genevois François Gabriel Grast en 1851 pour que la première partition originale soit composée. En choisissant de confier l’interprétation de son oeuvre à 800 choristes, le professeur de théorie musicale et de chant hisse la musique de la Fête au rang de quasi opéra et réitère son exploit en 1865.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Henri Plumhof en 1889. Boissonnas © Confrérie des Vignerons

Sous la baguette d’Henri Plumhof (qui avait déjà collaboré avec Grast lors de la Fête de 1865), la musique de Hugo de Senger, le maître de Gustave Doret séduit, ceci même si c'est surtout l'interprétation du Ranz des vaches par le notaire bullois Placide Currat qui aura marqué les esprits

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Hugo de Senger en 1889. Boissonnas © Confrérie des Vignerons

Entre traditions chorales et symphonies

Il est déjà célèbre lorsqu’il accepte de composer la partition de la Fête des Vignerons de 1905. Gustave Doret, qui a été l’élève de Hugo de Senger, le compositeur de 1889, est un fervent défenseur de la musique chorale et de la musique romande. La partition de 1905, comme celle de 1927 qu’il signe à nouveau, en sont de flagrants exemples. Les paroles du livret rédigé par René Morax (1905) et celles de Pierre Girard (1927) se marient parfaitement avec les notes (ou est-ce l’inverse ?). Si certains airs comme « Le petit chevrier » de 1927 sont restés dans les annales, d’autres musiques, plus méconnues, marquent encore aujourd’hui le répertoire musical romand.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Gustave Doret dirige l’orchestre et les choeurs de la Fêtes des Vignerons de 1927 © Confrérie des Vignerons

(A lire et écouter au sujet de Gustave Doret : Hommage au compositeur vaudois Gustave Doret, né il y a 150 ans).

Dans les traces de Gustave Doret et des compositeurs du 19e siècle, le compositeur et directeur de choeur veveysan, Carlo Hemmerling, livre lui aussi une oeuvre teintée de reprises et de nouvelles compositions au caractère presque autant choral que symphonique. La tâche n’est pas mince puisqu’il s’agit en 1955 de redonner une nouvelle vigueur à la Fête des Vignerons qui a des prétentions internationales. Carlo Hemmerling et Roger Volet (qui s’est chargé de l’arrangement orchestral des partitions) en témoignent ici.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Carlo Hemmerling © Confrérie des Vignerons

En 1977, Jean Balissat conserve la ligne directrice des précédents compositeurs en donnant un caractère quasi symphonique à la partition. Presque exclusivement interprétée par un orchestre professionnel, l’ensemble de son oeuvre développe autant de solennité que de tendresse, en grande partie dictée par le texte d’Henri Debluë.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Anecdote : Jean Balissat avait pris l'habitude, depuis les répétitions de diriger le Ranz des Vaches depuis la scène et malgré les demandes répétées de Charles Apothéloz pour qu'il le fasse depuis le public. Cela a provoqué quelques crissements entre eux. Heureusement crissements vite oubliés après la 1ère © Roger Monnard

Une partition à trois baguettes

En 1999, trois compositeurs sont engagés pour créer la partition de la Fête des Vignerons. Jusqu’en 1977, un unique compositeur, assisté par d’autres musiciens et des directeurs musicaux se chargeaient de la partition. Il en résulte en 1999 une partition au caractère novateur, oscillant entre musique classique, jazz avec une forte imprégnation contemporaine, jugée parfois difficile à interpréter ou à chanter. Face à l’harmonie et au caractère résolument romand des précédentes partitions de Carlo Hemmerling ou de Jean Balissat, les différents créations de Jean-François Bovard, Michel Hostettler et Jost Meier surprennent. La musique du couronnement, signée de Bovard, avec son Banda des Tâcherons avait d’ailleurs étonné le directeur musical Fabio Luisi (à écouter ici).

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... L’armailli et le musicien © Robert Cottet

Que ce soit Grast, de Senger, Doret, Hemmerling, Balissat, Bovard, Hostetler ou encore Meier, ils ont tous à leur manière apporté un vent de nouveauté sur les Fêtes des Vignerons, en inscrivant leur musique au répertoire romand et en s'appropriant les chansons et airs traditionnels de ce dernier, qu'il fallait parfois remettre au goût du jour.

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Guillaume Favrod
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28 novembre 2019
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