La Fresque de Daniel Rod et La Frat' (CSP)              1992-2004

2004
Placa Arlaud CSP Lausanne
Daniel Rod

Petit historique de la Frat’ accompagné par l’aventure de la fresque de Daniel Rod .

Au début une cafétéria a vu le jour avec vue sur la place Arlaud, une salle toute simple, sobre, avec au fond une scène, un bar et une terrasse ombragée c’est tout. Ainsi La Frat’ est née en juin 1970, Le CSP travaillait déjà dans un contexte politique tendu car le peuple venait de voter sur l’initiative Schwarzenbach qui visait à limiter le nombre d’étrangers en Suisse. Comme pour conjurer le sort, la Frat’ est devenue l’un des plus hauts lieux de Lausanne, fréquenté par un public cosmopolite, jeune, et par de nombreux artistes et politicards locaux.

Le mercredi 25 novembre 1992 Le Centre Sociale Protestant CSP célébrait les 20 ans du plus cosmopolite des bistrots Lausannois.

Un de ces lieux à part comme un petit îlot d’ailleurs où toutes les générations comme les étrangers qui ont débarqués en Suisse y viennent comme chez soi.

On y venait pour manger, boire, passer des soirées exotiques participer à des soirées débats, et surtout partager et faire des rencontres.

Ce jour-là je me souviens il y avait un spectacle consacré au problème de l’immigration « Les oiseaux de passage » présenté en première par l’Association du théâtre musical sur la scène de la cafétéria.

Petite rétrospective

Habitué de ces lieux je venais les samedi jour du marché sur La Place de le Riponne pour finir ma journée dans cette ambiance si particulière où comme moi je retrouvais des copains et copines un peu cassé par l’existence ou pas …La Frat’ me faisait oublier un peu mes années de placement en pensionnats depuis l’âge de six ans jusqu’à mes vingt-ans. Je venais pour apprendre des autres et découvrir les décors de la vie et développer ainsi mon imaginaire de tout ce qui pourrait nourrir les possibles. Cette source d’inspiration pour avancer dans la vie m’a tendu les bras un beau jour quand je vis que certains artistes exposaient sur ces murs jaunis par la cigarette, je me suis dit que je pourrais me faire plaisir également. Et c’est à la suite d’une petite exposition de mes huiles, que le tenancier du Bistrot me proposa, ce que jamais j’avais imaginé pouvoir entreprendre un jour, de créé une peinture murale sur le mur du fond de la scène. Il m’a proposé différentes photos d’un calendrier qui montrait différentes cours de l’Alhambra de Grenade en Espagne. J’en choisi une en donnant mon accord. Je ne savais absolument pas où j’allais. Mais quelque chose à l’intérieur de moi me disait « fait-le ! »

Avec mes connaissances de menuisier et du dessin technique, j’ai tracé l’esquisse d’une image verticale en l’étirant à l’horizontale en mode paysage. Ce qui ouvrait beaucoup plus de passage pour le regard grâce à cette nouvelle perspective.

La couleur un peu terne de l’image, j’ai opté pour une couleur plus vivante des couleurs dans cet endroit qui m’est particulièrement cher. J’avais là une occasion lumineuse pour libérer ce qui restait enfoui en moi, car je ne savais pas si la chance de peindre à cette dimension allait se représenter un jour. Ce sera sous le soleil de l’Andalousie avec un clin d’œil aux immigrés qui ont travaillé dur que la cafétéria va continuer à représenter un lieu de rencontre privilégié entre les différents courants sociaux de ce que l’humain a de meilleur.

En 1992 année du 20ème anniversaire du bistrot de la Frat’, et de mes 35 ans d’existence et après 105 heures pour la bonne cause et avec plein de moments de partages et d’enrichissement incroyable, …d’où je venais j’étais fier de ma réussite. Une peinture était née.

Puis en 1994 soit deux ans après la ville, propriétaire de la Bâtisse décide de lancer un projet de démolition pour rebâtir l’immeuble plus haut afin de combler le vide au-dessus afin de créer une quinzaine de logements. De l’autre côté du bâtiment la rue Haldimand avec sa rue devenue piétonne, il n’en fallait pas plus pour que la ville mandate un architecte pour étudier la question… au lieu de préserver ce patrimoine. Les réactions ne se sont pas fait attendre, si l’état de vétusté du bâtiment qui datait de 1860 Cela n’a pas empêché mon âme d’artiste, alors que je venais de terminer la fresque, de réagir dans un journal.

Tel un condamné qui compte ses jours. Même si je m’étais voué gratuitement pour la bonne cause, je demandais à Madame Yvette Jaggi, dans un journal alors syndic de Lausanne de donner le premier coup de pioche dans ma peinture pour lui rappeler en tout temps sa politique culturelle.

Je ne savais pas qu’un long combat allait se dessiner par la suite avec l’aide des habitués. Hormis mon chagrin que pourrait me causer la destruction de mon œuvre, il y avait une inquiétude de voir disparaître ou modifier un lieu, où il s’est passé des miracles : J’ai vu des gens désespérés faire un petit détour par la Frat’ avant de craquer. Par notre « Fraternité » on les a retenus, alors que dans un bistrot normal on les aurait jetés dehors. D’ailleurs je n’étais pas le seul à manifester mon mécontentement nous avions déposer sur les tables du bistrot de la Frat’ une pétition qui très vite c’est rempli avec plus de 150 signatures adressées au CSP et à la Ville.

Le nouveau directeur des finances de l’époque, Francis Thévoz, se disait être bien conscient de la valeur sentimentale de la Frat’. « Pour moi, il n’est pas question de violenter la Fraternité de Saint-Martin. Il me tient à cœur de ne pas commettre de dégâts. On est obligé de refaire cette maison, mais on doit faire tout ça avec beaucoup de douceur ». Pour cela un contact régulier est maintenu avec le CSP, locataire de la ville et de souligner : « Nous sommes en communication permanente avec eux », insiste Patrice Iseli, chef du Service des gérance d’alors. « Nous leur avons donné l’assurance qu’ils pourront réintégrer les lieux rénovés avec l’aide des subventions communales si le loyer prend l’ascenseur !».

Il est prévu un réaménagement de grande envergure sur la place Arlaud, son théâtre Boulimie et l’agrandissement du parking de la Riponne tel que l’on connaît maintenant. Pour l’heure, les appartements au-dessus de la Frat’ en était au stade du dessin sous la plume de l’architecte Patrick Giorgis. A la fin 1994 l’objet a été mis à l’enquête. Ensuite un crédit d’ouvrage a été soumis à l’approbation du Conseil communal.

Entre temps Le chef du Service des gérances de la ville de Lausanne, Monsieur Patrice Iseli s’était exprimé par ces mots dans un journal.( Il faudra tenir compte de cette article pour l’anécdote que l’on retrouvera tout à la fin de l’article)

« L’état d’entretien de ces bâtisses et fort précaire et nécessitant d’importants travaux de rénovation : la cuisine de la Fraternité notamment, n’est pas conforme aux réglementations en vigueur, l’installation de chauffage non plus, les gaines de ventilation de la hotte de la cuisine traversent les étages sans aucune mesure coupe-feu et présentent un réel danger, etc. Une saine gestion des deniers publics alliée à la volonté municipale en matière de logements au centre-ville ne nous permettent pas d’envisager de tels travaux, forcément coûteux, sans espoir de rendement et, surtout, sans utiliser toutes les possibilités de densification souhaitées par le plan d’extension.

Enfin, Permettez-moi de m’étonner de la démarche de M. Daniel Rod, peintre amateur, et de la façon dont elle a été rapportée dans vos colonnes : que penser en effet de l’attitude qui consiste à peindre une « fresque » (dont la valeur artistique reste à démontrer) dans des locaux loués, sans en référer au propriétaire, puis se faire prévaloir de celle-ci en décrétant, par voie de presse, qu’elle rend impossible toute modification des locaux ?

Anecdote : Plus tard Monsieur Iseli changea de dicastère pour prendre celui des sports de la Ville de Lausanne.

C’est lors de la cérémonie annuelle de remise des médailles pour fêter les sportifs méritants de la ville de Lausanne à la salle pederewski du Casino de Montbenon sur une convocation officiel afin de recevoir les honneurs de la Ville à l’occasion de mon titre de champion suisse. Lors de la présentation des notables de la ville, j’entendis le nom de Patrice Iseli. La surprise était si improbable que quand mon nom fut cité au micro, je monte sur la scène et en lui serrant la main je lui dis, et c’était une occasion en or…

« J’espère que vous ne mettrez pas en doute ma valeur sportive et mon titre de champion suisse comme vous avez mis en doute ma valeur artistique de ma peinture de la Frat. »

Il comprit le message en me resserrant la main avec un petit sourire amusé, complice malgré lui d’une situation plutôt amusante et rare…, avant de me passer la médaille autour du cou.

Voilà pour la petite histoire. !

Mais revenons à la Frat'

Il aura fallu attendre jusqu’au mardi 2 décembre 1997 pour que l’adoption d’un plan partiel d’affectation autorisant la démolition de ce lieu mythique, non sans provoquer un débat passionné, au Conseil Communal de Lausanne soit accepté. On peut dire que la classe politique lausannoise n’en finissait pas de débattre sur le (PPA) .Concernant le secteur du centre -ville compris entre les places de la Riponne, de la Palud et de Saint-Laurent et entre les rues Haldimand et Madelaine. Le plan autorisait la reconstruction de deux nouveaux bâtiments, dont la Frat’. Cette situation n’avait pas échappé à l’écologiste Alain Faucherre, et de déclarer : « Si nous adoptons ce plan tel quel, la démolition de la Frat’ deviendra possible. Nous remplacerons ce lieu qui a une histoire, un vécu, par un bâtiment ripoliné », Et de proposer un amendement interdisant la démolition. Cette proposition a suscité un débat nourri. « Il y a des lieux qui ont la vocation de durer », a dit le socialiste Michel Cornut, précisant que son groupe soutiendrait Alain Faucherre, mais voterait les conclusions du préavis si l’amendement venait à être refusé.

Le directeur des Travaux a relevé la « totale incohérence du bâtiment avec le reste de l’ilôt ». Parlant de « rupture d’échelle le long de la rue Haldimand » et d’ « accident volumétrique », il a précisé que la votation de cet amendement empêcherait « l’utilisation raisonnable d’un volume aujourd’hui mal utilisé ».L’amendement a été refusé par 44 non, 27oui et 10 abstentions. Et le Conseil a approuvé le préavis à une large majorité.

Fermeture attristante Article d'une lectrice.

Je tiens à vous dire combien j’ai trouvé difficile et regrettable d’apprendre la fermeture de la Fraternité, et surtout la crainte de voir disparaître aux yeux du public une peinture aussi belle que celle qui se trouve au fond vers la scène. Je reste persuadée que les personnes aimant l’art sauront ce qu’il faut faire. Ayant moi-même pu assister au travail de l’artiste, je trouve dommage qu’une œuvre aussi réussie, avec tant de générosité puisse trouver une fin aussi triste. Cet endroit pourrait très bien être un prolongement des deux musées, d’autant plus qu’il y a le théâtre Boulimie à côté, et que le cadre s’y prête très bien. Je renouvelle mon souhait et mon soutien pour que cet endroit puisse continuer à être l’expression et l’inspiration de la sympathie et d’enrichissement, ce qui apporte à la culture du canton de Vaud, un plus indispensable par les rencontres que l’on peut y faire. Voici mon témoignage à la triste nouvelle, apprise par votre journal, de la fermeture de la Fraternité. A Rio, le mot fraternité prend un sens, à vous d’en faire autant…

Jerusa Machado Rocha, Rio de Janeiro

Les dernières heures de la Frat’

Le café de la Frat’ a fait salle comble ce dernier samedi du mois de février 1999

Nombreux sont ceux qui avaient choisi de venir assister aux dernières heures de l’établissement lausannois avant sa fermeture définitive. Malgré les circonstances, l’ambiance était plutôt à la fête. Cuisine et musique irlandaise ont tenu la vedette jusqu’à 2h du matin. Doucement bercé par les chansons de Sam Seale et délicieusement enivrés par la bière, les gens semblaient avoir oublié que tout a une fin…

C’est autour d’un verre que l’on retrouve le directeur du Centre Social Protestant, Daniel Pache, presque comme un prêche, nous raconter l’histoire de la Fraternité, « La Frat » pour les intimes. Un passé où les paumés y trouvaient refuge déjà au début du siècle, à la rue Saint-Martin. Avant de s’installé dans cette nouvelle maison depuis 1971,

Faut se rappeler qu’avant la venue du C.S.P. cette bâtisse avait déjà une vocation sociale ; puisqu’elle avait abrité le premier centre de réadaptation pour prostituées.

Depuis ces anciens murs n’ont cessé d’accueillir des tranches de vies qui ont fait évoluer tant et tant de rencontres et provoqué de belles histoires.

Si les fidèles étaient présents ce jour-là d’autres, plus anciens, habitués, artistes ou anciens universitaires, étaient revenu pour l’occasion. Beaucoup de générations ont été marqué par ce lieu mytique de la vie Lausannoise.

Restent les souvenirs et les regrets.

Le Bistrot fermera définitivement le 28 février 1999. Ce lieu mytique aura vécu sa dernière soirée après près de trente ans d’activités. Depuis sa création par le CSP en 1970, La Frat’ était fréquentée par les populations immigrées de la ville, ainsi que par les Lausannois qui désiraient se plonger dans une ambiance qu’aucun autre établissement n’offrait. Avec cette fermeture décidée c’est une page importante de la vie associative lausannoise qui se tourne. La Frat’ c’était comme une famille où l’on trouvait une certaine chaleur, une convivialité.

Dans le livre d’or de Tony Prats, responsable des lieux de 1970 à 1986, les artistes comme Pascal Auberson et Jean Tinguely ont laissé des souvenirs émus.

Du côté, de la direction du CSP, s’avoue consciente que ce changement d’orientation attristera les nombreux fidèles, tout en assumant pleinement ce choix.

Et puis il y a eu ce coup de téléphone d’un journaliste au travail à l’Unil qui m’informe que la première pierre de la nouvel Frat’ va être posée avec les officiels et que personne n’arrivait à joindre l’artiste et c’est le journaliste qui m’a téléphoné le matin même. Alors que j’avais déjà commencé à faire le deuil de ma fresque, là, soudainement, ce fût un revirement émotionnel brutale. Arrivé en hâte sur le lieu de la cérémonie de la première pierre, la cérémonie pouvait commencer…Je me suis trouvé dans un trou et je me souviens qu’en relevant la tête j’aperçus ma peinture perdue contre la paroi protégée par un plastique comme en l’air. Cela en devenait surréaliste. Dernier vestige de la célèbre « cafet » la fresque ne va pas être détruite lors de la nouvelle construction du nouveau bâtiment. J’ai immédiatement proposé à la Ville mes services gratuitement pour la rénover. Elle représente tellement de souvenirs, l’idée de la voir détruite me prenait la tête et m’empêchait de trouver l’inspiration pour continuer à peindre.

La préservation de la fresque doit beaucoup à une prouesse de dernière minute des architectes. Où tout dépendrait des relevés des géomètres. Pour finir « Les ouvriers vont construire un décrochement dans une dalle, explique le nouveau chef du Service des gérances de la ville, André Bellon. Cela permettra à la fresque d’être visible complètement de l’étage supérieur, depuis une sorte de balcon »

Mardi 25 février 2003 Jean-Jacques Schilt, Conseiller municipal, à la bétonnière coulant la première dalle du nouveau bâtiment, le béton recouvre peu à peu une malette en acier. A l’intérieur des archives raconte entre autres, les nombreuses oppositions qui ont retardé la naissance de ce bâtiment. De quoi alimenter les futurs promoteurs qui découvriront avec sourire une histoire pas si banale.

Dans son discoure, Le Municipal Jean-Jacques Schilt, municipal en charge du Patrimoine raconte « qu’il désirait conserver un témoignage du passé. Cette œuvre d’art symbolisera désormais l’esprit de l’ancienne maison de la Frat’ ». Une belle surprise pour les représentants de la Frat présent et surtout un soulagement pour moi. C’était un immense honneur et une belle reconnaissance mêlée d’une sorte de fierté.

Ce vaste immeuble ouvrira ses portes au printemps 2004. II accueillera en plus des locaux de la nouvelle Frat’, treize logements et deux commerces. La fresque se retrouvera dans les locaux administratifs du CSP suite à un abaissement du sol pour libérer un volume trois fois plus grand que précédemment. La création d’un espace supplémentaire en hauteur, la fresque s’est enrichie d’une frise arabesque venant également de l’Alhambra de Grenade. Un nouveau défi pour moi et pour l’architecte qui a accepté mon projet.

Dans la reconnaissance des valeurs du patrimoine.

Le Municipal Jean-Jacques Schilt, municipal en charge du Patrimoine raconte « qu’il désirait conserver un témoignage du passé. Cette œuvre d’art symbolisera désormais l’esprit de l’ancienne maison de la Frat’ »

Mes remerciements vont au Municipal Lausannois Jean-Jacques Schilt , au chef du Service des gérances de la ville, André Bellon, à l’architecte Patrick Giorgis, aux Géomètres, aux ouvriers, et à tous ceux qui m’ont soutenu.

L’inauguration des locaux a eu lieu le 30 août 2004

Ainsi la boucle est bouclée.

Vous devez être connecté/-e pour ajouter un commentaire
  • Renata Roveretto

    Cher monsieur Daniel Rod, merci infiniment pour ce partage très sensible d'une grande histoire dans une petite ville aimée par beaucoup de gens Amicalement Renata

  • Le commentaire a été supprimé.