Genève, le RIC et moi

15 janvier 2019
Marc Schindler

Je suis citoyen de Genève, comme Jean-Jacques Rousseau, et, depuis treize ans, j’habite en France, où je paie mes impôts, mais où je n’ai pas le droit de vote. Grâce à Internet, je vote à Genève, plusieurs fois par an. Pas seulement pour élire les députés, mais surtout pour donner mon avis sur des projets de loi, parfois très compliqués. Alors, le débat français sur le Référendum d’initiative citoyenne, ça me fait bien marrer. Le référendum et l’initiative populaire, je les pratique depuis ma majorité civique. Mais ça n’a rien à voir avec le RIC français, le référendum d’initiative citoyenne.

Petit cours « la démocratie suisse pour les nuls » à l’intention de Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, qui avait affirmé, à propos du referendum suisse :“Les thèmes soumis sont très souvent le fait de cliques affairistes et de quelques lobbystes démasqués.” En Suisse, on ne mélange pas les choses. L’initiative, c’est un projet de modification de la Constitution fédérale ou cantonale. Le référendum, c’est une demande d’abrogation d’une loi votée par le Parlement. Sur le plan fédéral, il faut réunir 100000 signatures (1% des électeurs) pour lancer une initiative, 50000 pour un référendum. A Genève, il faut réunir les signatures de 3% des électeurs pour proposer une initiative, 2% pour lancer un referendum.

Les Suisses ont la culture de la consultation populaire: depuis 1891, mes compatriotes ont été appelés 215 fois aux urnes pour voter sur une initiative populaire et 187 fois pour un referendum. Mais 92% des initiatives soumises aux électeurs ont été rejetées. Et les référendums ont modifié les lois une fois sur deux, souvent en adoptant le contre-projet proposé par le Parlement. Les « votations » du 10 février sont un cas d’école pour comprendre le fonctionnement de la démocratie suisse. Je devrai donner mon avis sur une initiative populaire lancée en 2016 par les Verts intitulée « Stopper le mitage - pour un développement durable du milieu bâti » pour introduire dans la Constitution fédérale le principe du gel de la surface totale des zones à bâtir. Ce ne sont pas une « clique affairiste » ni des « lobbystes démasqués » qui ont lancé cette initiative, mais les jeunes écolos, un mouvement structuré et reconnu. Ça va, M. Ferrand, vous suivez ?

Sur le plan cantonal, je dois donner mon avis sur une initiative « pour le remboursement des frais dentaires », sur une autre « pour une caisse d’assurance maladie et accidents genevoise publique à but social » et enfin sur un référendum contre la loi sur la laïcité de l’Etat. Voici comment fonctionne le système suisse. J’ai reçu par la poste, il y a trois semaines, ma carte de vote avec les codes pour le vote électronique, mon bulletin de vote avec des cases à cocher. On me précise : « uniquement à l’intérieur de la case au moyen d’un crayon ou d’un stylo à bille (pas rouge )». En Suisse, on ne rigole pas avec la précision ! J’ai aussi reçu une abondante documentation pour m’aider à me faire mon opinion : une brochure de 79 pages pour la « votation cantonale ». Pour chaque objet : « une synthèse brève et neutre » (interdit de rire !), le texte de l’initiative et les commentaires du comité d’initiative et des autorités. Du sérieux, du concret !

Pour mieux vous faire comprendre, il faut savoir qu’en Suisse, la Sécu n’existe pas. L’assurance maladie est gérée par une soixantaine de caisses privées, qui fixent les cotisations et les remboursements, sous la surveillance de l’Office fédéral de la santé publique. En Suisse, la santé est hors de prix : à Genève, la cotisation mensuelle peut atteindre 700 € et elle augmente chaque année. C’est pourquoi le Parti du Travail (communiste) a lancé une initiative pour créer à Genève une caisse maladie publique. Il a eu 4 mois pour réunir les 10 000 signatures nécessaires. Les listes de citoyens suisses avec nom, prénom, adresse et signature ont été vérifiées par l’administration. Le texte a ensuite été soumis au gouvernement et au Parlement cantonal. Le gouvernement a rejeté l’initiative en affirmant qu’elle « générera des coûts supplémentaires pour la collectivité sans pouvoir offrir des primes plus basses aux assurés ». Le Parlement a refusé l’initiative à une large majorité. C’est maintenant aux électeurs genevois de décider s’ils veulent une assurance maladie publique.

Le système suisse est une mécanique de précision, qui fonctionne depuis 130 ans. Il permet aux citoyens de proposer des modifications de la Constitution ou de s’opposer à des lois, mais pas de virer des ministres, comme le réclame le RIC. Il fonctionne parce que les Suisses ont développé une culture du compromis. Le RIC réclamé par les Gilets jaunes veut à la fois proposer ou annuler une loi, modifier la Constitution et révoquer un ministre. Il prévoit qu'une proposition de loi obtenant 700.000 signatures - sur un site internet sous le contrôle d'un organisme indépendant - entraîne un référendum national dans un délai d'un an, après un passage pour un éventuel amendement à l'Assemblée nationale, le Parlement n'étant donc pas sollicité en amont. On souhaite bon courage aux partisans du Référendum d’initiative citoyenne pour faire fonctionner une consultation des citoyens en France. Un pays dans lequel Paul Claudel affirmait cyniquement : « La tolérance ? Il y des maisons pour ça ».

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