Le seigneur des bardeaux
A la découverte des artisans du val d’Anniviers.
Grimentz
René Antonier, le seigneur des bardeaux
Dans l'arc alpin, les populations ont développé des techniques de construction ingénieuses en utilisant les matériaux locaux. Cela s'applique à la couverture des chalets, des bâtiments ruraux, des églises et des chapelles de montagne.
Le splendide village de Grimentz où toutes les toitures sont en bardeaux, à l’exception des caves blanches (à droite).
En 1979, alors que je visitais le pittoresque village en bois de Grimentz, mon attention fut attirée par un homme d'un certain âge, perché sur un toit, posant des bardeaux avec un grand calme. Je pensais que ce mode de couverture était obsolète. À tort ! Ce funambule se prénommait René Antonier (1915-2002). Il me donna une petite leçon de technologie.
La bonne lune et l’eau bénite
En saison morte, les habitants de la vallée confectionnent des bardeaux, sortes de planchettes taillées dans du mélèze rouge scié à la bonne lune, préalablement débitées à la hache et enfoncées à coups de maillet. Selon son utilisation, le bardeau mesure 50 cm de long sur 15 à 20 cm de large. Il a un petit frère plus mince appelé « tavillon », mesurant 25 cm de long sur 10 cm de large, utilisé pour couvrir les toitures artistiques, les toitures mouvementées, les clochetons et campaniles de chapelles, ainsi que les façades et les chalets privés.
« Le bardeau de mélèze plus épais a une durée de vie de 80 à 100 ans. Nous, les Anniviards, avons une astuce pour prolonger cette durée. Après quelques décennies et selon l’exposition au soleil, nous les retournons afin qu’ils résistent plus longtemps. De plus, nous ne les clouons pas mais les chevillons. Et pour éviter qu’ils se fendent, nous les trempons préalablement dans de l’eau. La pose des tavillons n’est pas très compliquée. Comme pour les tuiles ou les ardoises, il faut les juxtaposer en décalant correctement les rangs afin que la pluie ne puisse y pénétrer. Aux extrémités, le couvreur doit s’encorder pour éviter la chute. Les anciens nous disaient qu’à la fin des travaux, ils lançaient un peu d’eau bénite sur les toitures pour les protéger des incendies ».
A la une des journaux...
En 1967, René Antonier avait fait la une des médias. Il avait débité 8500 tavillons dans des mélèzes rouges offerts par la bourgeoisie de Chamoson pour recouvrir le clocher octogonal de l’église romane Saint-Florentin de St-Pierre-de-Clages datant du 12e siècle.
Eglise romane, 12 s. de Saint-Pierre-de-Clages au clocher-lanterne style clunysien, rénové par René Antonier.
... et à la télé
(Merci Michel Savioz pour le lien)
En 2024, des artisans d’Anniviers se sont installés en plaine et fabriquent des bardeaux de façon industrielle avec des fendeuses mécaniques, mais toujours avec des mélèzes rouges valaisans réputés pour leur imputrescibilité. Ces bardeaux sont distribués un peu partout en Suisse et participent aux rénovations du patrimoine helvétique.
Pas que couvreur...
René Antonier n’était pas seulement couvreur. Il était aussi le clavandier de la cave bourgeoisiale et s’occupait de la santé des tonneaux dont le plus ancien date de 1886.
Quelques exemples de toitures réalisées par les artisans d’Anniviers.
Chapelle Sainte-Marie-Madeleine du village de Mission, recouverte de tavillons.
Chapelle Saint-Jean-Baptiste du village de St-Jean. Admirez le campanile !
Pierre-Marie tes vidéos, telles que "Le seigneur des bardeau" , apportent un éclairage précieux sur la vie et l'histoire de la région. Ta passion pour le patrimoine et ton dévouement à la transmission de la mémoire collective sont inestimables.
Merci pour ces contributions enrichissantes. que nous attendons avec impatience
Cher Yannick Plomb, Merci pour vos commentaires élogieux ! Les journalistes, tout comme les photographes, ne sont que des voleurs d’images, des passeurs de l’actualité. Sur le moment, un sujet nous attire par son originalité. Mais 50 ans plus tard, alors que les artisans et leurs outils rudimentaires ne sont plus là, le sujet devient poétique, presque une merveille. Je songe souvent aux historiens qui mettent à jour des faits du passé. Ils deviennent des archéologues qui retrouvent le temps perdu et parfois profondément enfouis. Je suis aussi surpris de rencontrer dans les montages des géologues et leur pouvoir de faire parler les cailloux. Tous sympa ces métiers !
Monsieur Charly Votre message est une véritable ode à la mémoire et au temps qui passe. Quelle belle manière de décrire le travail des journalistes et des photographes, non pas comme de simples témoins, mais comme des passeurs d’histoire, saisissant l’instant avant qu’il ne devienne patrimoine. Vous avez cette justesse de regard qui transforme l’éphémère en éternel, et votre réflexion sur les historiens et les géologues est fascinante. Oui, tous ces métiers ont en commun la quête du sens, la redécouverte de ce qui semblait perdu. Merci pour ces mots inspirants, qui donnent encore plus de profondeur à notre passion pour l’actualité et la transmission. Avec toute mon admiration.