Inauguration du Monument du Générarl Guisan à Ouchy

Inauguration du Monument du Générarl Guisan à Ouchy

23 juin 2013
Patrimoine audio des archives de la Ville de Lausanne
Martine Desarzens

Durée : 09: 10
Réalisateur : Ernest Ansorge

Le 27 mai 1967 est inauguré, sur le quai d'Ouchy à Lausanne, le monument équestre du général Guisan, le commandant en chef de l'armée suisse pendant la période de la Seconde Guerre mondiale.

Cette cérémonie, qui bénéficie d'une couverture médiatique impressionnante, témoigne du caractère quasi mythique de la figure de Guisan dans la culture politique helvétique de l'après‑guerre.

Elle ne saurait occulter toutefois l'immense polémique dont le monument a fait l'objet depuis la souscription publique lancée pour son édification quelques mois seulement après la mort du général en automne 1960. Deux premiers concours débouchent sur autant d'échecs ; puis, le choix du projet du sculpteur zurichois Otto Bänninger provoque la création en 1966 d'un comité « Mouvement national monument général Guisan » qui s'oppose aussi bien à l'emplacement qu'à l'esthétique du monument. Les défenseurs des mânes du héros militaire s'indignent de ce que le monument, initialement prévu au centre ville, soit relégué « hors les murs », dans un endroit présenté comme désert à la morte saison. Par ailleurs, on raille aussi bien le cheval de Bänninger, qualifié de « gazelle dansante », que la posture rigide et martiale du général : « Ce monument est inacceptable. […] Le cheval ressemble à tout sauf à un cheval. Les allures et les proportions sont celles d'un sujet apocalyptique inconnu chez nous. Le général y est placé d'une façon rigide et martiale qui est absolument contraire à la manière naturelle qui le caractérisait lorsqu'il approchait les soldats et les gens qui l'entouraient. Le général est en manteau. Or tous ceux qui l'ont connu savent pertinemment que jamais le général ne montait en manteau, sauf à quelques rares exceptions ». Le monument du maréchal Mannerheim à Helsinki est souvent cité comme modèle dont on aurait dû s'inspirer. « Mais, conclut un membre du Comité contestataire, si le peuple finlandais a retrouvé son maréchal, le peuple suisse attend son général… ».

Quelques jours après l'inauguration officielle, un journaliste zurichois de la Neue Zürcher Zeitung, l'organe de référence des élites économiques et politiques helvétiques, prend pourtant fait et cause pour l'artiste : il précise que celui‑ci a parfaitement rempli son contrat, à savoir offrir une représentation du général qui, tout en s'inscrivant dans une tradition iconographique classique, est conforme au moment présent et à la spécificité helvétique. Le monument, contrairement aux statues équestres qui trônent sur les places des capitales étrangères, ne joue pas sur le registre de la puissance ou de la domination : le sculpteur s'est au contraire efforcé de rendre la statue plus proche de l'observateur : « Ce général ne monte pas de manière à ce que l'on s'exclame, en le voyant approcher, "un général !" mais de manière à apparaître comme un citoyen parmi d'autres. En ce sens, l'œuvre de Bänninger ne présente pas une image de cavalier dans une perspective traditionnelle, monumentale ; elle traduit l'image du "bourgeois", du "Suisse" et transmet ainsi de la manière la plus fidèle le souvenir qu'un peuple reconnaissant veut conserver des hommes et du général Henri Guisan ».

Cette polémique nous est apparue intéressante à double titre. D'abord elle permet de réfléchir au rôle du cheval en tant qu'emblème du pouvoir au sein des représentations helvétiques. Historiquement, le cheval n'appartient pas au registre symbolique et iconographique auquel est associé le militaire (ou le mercenaire) suisse ; depuis le XIIIe siècle, c'est sans conteste l'infanterie qui fait la force des troupes confédérées, une infanterie présente notamment dans les peintures d'un Holbein ou les dessins de Urs Graf. Sur un plan quantitatif, la cavalerie ne représente que 2% des troupes en 1870, les mobilisations consécutives à la guerre franco‑prussienne révélant en outre une instruction et un équipement largement déficients. Depuis lors, paradoxalement, l'importance symbolique de la cavalerie croît d'autant que son poids stratégique diminue. La Suisse sera d'ailleurs le dernier pays d'Europe à maintenir un corps de cavalerie jusqu'à la décision de sa suppression en 1973. Pourquoi cet attachement, de la part des militaires mais également de nombreux citoyens - en 1947, une pétition pour le maintien de la cavalerie recueille plus de 150 000 signatures -, à une arme de plus en plus obsolète et quelle place occupe le cheval dans l'iconographie politique et militaire en Suisse ? Sur un autre plan, les représentations du général équestre dans une démocratie comme la Suisse posent problème. Nous verrons que ces représentations, tout en s'inspirant de traditions iconographiques et d'emblèmes du pouvoir transnationaux, ont été réélaborées en fonction du contexte helvétique.

Notre étude privilégie les portraits équestres de trois généraux suisses. Précisons que le grade de général est réservé en Suisse au commandant en chef de l'armée en temps de guerre. Depuis la création de la Suisse moderne en 1848, l'Assemblée fédérale a eu l'occasion d'élire quatre généraux : Guillaume‑Henri Dufour en 1849, 1856 et 1859, Hans Herzog en 1870-1871, Ulrich Wille en 1914-1918 et Henri Guisan en 1939-1945. Trois d'entre eux se sont singularisés. Le Genevois Dufour s'est imposé dans la mémoire collective autant comme le vainqueur de la guerre civile du Sonderbund en 1847 que comme un pacificateur ayant commandé partout à ses troupes de stricts principes d'humanité. Son œuvre de cartographe - contribuant à la construction d'une unité géographique du pays -, ainsi que la part qu'il prend à la création du Comité international de la Croix‑Rouge en 1864 ont façonné son image posthume de père de la patrie. Tout autre est le destin d'Ulrich Wille. Associé à l'émergence du militarisme « prussien » à travers ses liens familiaux avec l'Allemagne et ses projets de réforme de l'armée, il est perçu comme une figure autoritaire et germanophile lors de son élection contestée au grade de général en 1914. Henri Guisan, admirateur d'un Mussolini et d'un Philippe Pétain, se révèle quant à lui un utilisateur hors pair des médias modernes qui lui permettront de se présenter en tant que chef charismatique, figure à la fois paternelle et proche du peuple.

Quant au quotidien socialiste "La Sentinelle", il note : « ce que les travailleurs et les soldats aimaient dans le général, c'était sa simplicité et son naturel. Sa justice était la même pour tous. En raison de ses qualités d'homme, le général Guisan avait su créer entre l'armée et le peuple un esprit nouveau. »

Année :1967
Style : Reportage
Droits : Ville de Lausanne

Tombe du Général :

http://www.notrehistoire.ch/photo/view/52970/Obsèques du Général :

http://www.notrehistoire.ch/photo/view/52970/

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Martine Desarzens
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22 juin 2013
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