L'évangélisation helvétique du Mozambique

22 septembre 2020

Le Mozambique a été une colonie portugaise. Des missionnaires suisses étaient cependant sur place vers depuis la fin du XIXe siècle pour porter le message de Dieu et de la Bible sur place, dans les villages. La BD "Capitão" de Yann Carlen et Stefano Boroni raconte de manière originale ce pan de notre histoire suisse si peu relaté aujourd'hui. La BD est parue chez Antipodes et démarre sur le récit du parcours fictif d'un missionnaire suisse intégré dans la société mozambicaine. Tellement bien implanté qu'il fâchera le pouvoir colonial portugais. Le Portugal étant à l'époque cette puissance active pendant près de cinq siècles dans la région avant d'en prendre le contrôle en 1895. Le pays deviendra indépendant il y a 45 ans, le 25 juin 1975, au prix d'un combat qui durera plus de 10 ans. En 1964, la guerre d'indépendance du Mozambique est lancée par le FRELIMO qui développera sa propre administration dans les régions « libérées » des Portugais.

Une exposition - en photos, objets et dessins - à l'Espace Arlaud place de la Riponne à Lausanne et reconduite au Musée d’Ethnographie à Neuchâtel jusqu’en février 2021, a le mérite de raconter les séjours de ces missionnaires protestants venus au Mozambique ou en Afrique du Sud prêcher la bonne parole divine. La BD est disponible en librairie avec une histoire qui s'inspire de la vie d'un ancien missionnaire nommé Georges-Louis Liengme. En plus d'être missionnaire et médecin, il va faire un petit miracle en sauvant un jeune mozambicain d'une mort certaine, par sa foi et par ses techniques de soins. Ce livre est un moyen très agréable de (re)découvrir le travail utile des missionnaires suisses en Afrique entre le XIXe et le XXe siècle, de leurs pratiques médicales modernes pour l'époque, de leur savoir-faire agronomique, de leur lien à la spiritualité et leur érudition via l'enseignement de la Bible.

La BD possède une dimension dramatique en ce sens que le "Capitão", héros fictionnalisé est un anti-héros, un naufragé de la vie, qui a échoué à préserver celle de sa bien-aimée, une Mozambicaine du village où il avait été accepté comme médecin et prédicateur. Son funeste destin est lié aux ambitions des colons portugais venus "nettoyer" les villages récalcitrants, furieux de ne pas avoir pu étendre leur pouvoir commercial auprès des autochtones du Royaume de Gaza (Gungunhane deviendra le dernier "Empereur" et résistera jusqu'à 1895 avant d'être exilé aux Açores). On prend en plein visage le drame qui se tisse au fur et à mesure de l'histoire, cette dichotomye entre les valeurs spirituelles et humanistes des missionnaires, tentant de faire tampon avec celles beaucoup moins désintéressées matériellement des colons portugais.

Une description dévastatrice anticolonialiste remet en lumière cette profession de missionnaires venus faire le bien. Des individus de foi, qui passaient parfois souvent plus de dix ans sur place, avant de faire un retour au sein de la mère-patrie. La bande dessinée raconte aussi cette capacité qu'ils avaient à s'intégrer, à ne pas forcer le passage avec leurs croyances, de laisser faire Dieu et l'enseignement de la Bible. D'aucuns pourraient penser que les missionnaires eurent un comportement tout aussi colonial que leurs voisins occidentaux venus commercer. Mais en réalité, la Mission suisse était bien vue des populations locales. Ces missionnaires recevaient des fonds des paroissiens des Eglises romandes. Une vision du "gentil blanc" qui allait éduquer le "noir ignorant" s'est quand même propagée en Suisse, comme le Stefano Boroni et Yann Karlen dans le texte post-face de la BD, rappelant au passage que la nouvelle "Etranger au Village" du Noir américain James Baldwin rapporte le témoignage d'une habitante de Loèche-les-Bains révélant que les tire-lires de l'église locale avaient contribué à sauver six âmes d'indigènes. Amen!

Pour tous renseignements sur cette BD, allez sur ce lien.

David Glaser

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