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On ferme ! Raconte-moi ton usine

Récemment, le Musée d’Yverdon et région (MYR) a rejoint la communauté de notreHistoire.ch. L'institution lance l’exploration du passé industriel yverdonnois. Vincent Fontana qui dirige le musée, débute un projet ambitieux auquel il vous invite à prendre part.

Yverdon a vécu l’essor de l’industrie des machines au 20e siècle. Quelles ont été les entreprises emblématiques de la région et leurs produits phares ?

La plus connue est évidemment Hermès-Paillard, dont la maison-mère était à Sainte-Croix et qui a produit dès 1920 dans son usine d’Yverdon les fameuses machines à écrire Hermès, dont le modèle iconique Baby a fait le tour du monde. Les ateliers industriels CFF et la fabrique de pile Leclanché ont également constitué deux grands fleurons de l’industrie du Nord vaudois.

Parmi les industries yverdonnoises qui ont contribué au développement de la ville que nous connaissons aujourd’hui, il faut aussi citer la fabrique de cigarettes Vautier, l’entreprise Céramique d’Yverdon SA, la fabrique de pâtes alimentaires Besson ou l’usine d’eau minérale Arkina, fondée en 1920 par l’industriel arménien Puzant Masraff.

Il ne faut pas oublier les petites entreprises de construction mécanique comme les Ateliers mécaniques d’Yverdon SA, ou les nombreuses imprimeries mécanisées comme l’Imprimerie des murailles ou Sprint. Bref, à l’aube des années 1970, plus de la moitié de la population active d’Yverdon - qui compte près de 20'000 habitants - travaille en usine, dont plus de 3’000 ouvriers rien qu’aux ateliers CFF et à Hermès-Paillard !

Beaucoup de ces fleurons ont aujourd’hui disparus. La crise des années 1970 a marqué le déclin du tissu industriel du nord vaudois. Pourtant, ces entreprises ont laissé un patrimoine que vous voulez explorer, de quoi se compose-t-il et que voulez-vous en faire ?

Il en reste d’abord un patrimoine bâti tout à fait conséquent, en partie seulement réhabilité ou réaffecté, et dont la valorisation patrimoniale, mais aussi foncière, constitue aujourd’hui un enjeu majeur. De cet âge d’or, il reste également tous les objets produits par ces usines, dont nous essayons de conserver des échantillons représentatifs au musée, à l’exception évidemment des pâtes alimentaires et des locomotives CFF !

Le MYR conserve également les machines, outils, enseignes et documents (plans d’usine, manuels de travail, affiches internes, publicités commerciales, etc.) ou distinctions (médailles, diplômes, etc.) liés à cette activité industrielle yverdonnoise, mais force est de constater qu’une majorité de ce patrimoine matériel a été liquidé avec la fermeture des usines. Enfin, nous nous efforçons de conserver le patrimoine photographique et immatériel lié la culture industrielle nord-vaudoise.

Et à quoi ressemble ce patriomoine photographique ?

Si nous disposons d’immenses fonds photographiques anciens et réalisés par des grands photographes professionnels comme Jean Perusset, ainsi que l’important fonds du Journal d’Yverdon et Yverdon Revue (1930-2000), nous avons peu d’images d’amateurs et récentes qui puissent documenter les temps marquant de la vie ouvrière à la fin des années 1960 : repas en cantine, sorties d’usine, grève, fêtes, sport ouvrier, réunion syndicale, assemblées patronales, etc. De la même manière, nous n’avons finalement que très peu de témoignages écrits ou oraux des derniers temps industriels, et les témoins commencent à se faire vieux…

Avec le projet « On ferme ! Raconte-moi ton usine », le MYR veut d’abord inciter ces témoins et acteurs à ressortir leurs vieilles photos ou à remettre au musée les objets à priori sans valeur qui documentent l’histoire ouvrière de la ville : la blouse de travail de l’ouvrier, le casque du soudeur ou le pied à coulisse du tourneur possède une vraie valeur patrimoniale dans ce contexte. Ce projet s’appuie enfin sur un appel à témoignages sur ce monde des usines aujourd’hui disparu, pour documenter de manière vivante ce patrimoine immatériel qui disparait lentement.

Recueillir la mémoire industrielle par l’image constitue le cœur du projet. Votre présence sur notreHistoire.ch cherche à engager un dialogue avec le public. En quoi les membres de la plateforme peuvent participer à cette recherche ? Quel type d’actions peuvent-ils entreprendre pour soutenir la démarche ?

En effet, le cœur du projet « On ferme ! Raconte-moi ton usine » bat avec la participation du public, de tous les publics d’ailleurs, et pas seulement d’anciens ouvriers et ouvrières. A Yverdon dans les années 1970, toute la ville tourne à l’heure du travail en usine et chaque habitant est impacté par leur fermeture, souvent vécue comme un naufrage collectif.

Ici la désindustrialisation n’est pas seulement une notion d’économistes ou d’historiens, c’est aussi et d’abord la perte très concrète et douloureuse d’emplois, de lieux, de pratiques sociales et de savoir-faire professionnels. Si pendant longtemps, le patrimoine industriel suisse n’a été défendu que par les cercles militants et ouvriers, la valorisation de cette riche histoire urbaine est aujourd’hui est largement plébiscitée.

Avec le projet « On ferme ! Raconte-moi ton usine », nous recherchons d’abord des images récentes de ce patrimoine industriel, soit après 1960 car les périodes antérieures sont bien documentées. Des images de tous types d’ailleurs, que ce soit des photos d’amateurs, de journalistes, de publicitaires ou d’artistes, pour autant que le sujet soit localisé dans la région yverdonnoise. Nous recherchons également des tracts, affiches, catalogues, enseignes, cartes postales ou programmes culturels liés à la crise du monde industriel. En fait, presque tout ce qui peut nous permettre de documenter le « sentiment de déclin » est utile, car c’est ce qui a laissé le moins de traces alors même que la ville est encore remplie de vestiges matériels de ce déclin.

Et puis, évidemment, la participation des membres de notrehistoire.ch est précieuse pour identifier les visages, lieux ou même les gestes que représentent tous ces clichés, dont une grande partie nous est encore méconnue.

A partir de quand et à quel rythme publierez-vous des documents sur notreHistoire.ch ?

Notre intention est de publier une image ou plutôt un ensemble d’images chaque mois, à priori le premier jeudi du mois. Comme nous conservons une immense collection de photographies ouvrière d’avant-guerre, c’est cette période qui sera publiée durant les premiers mois, en mettant l’accent sur l’âge d’or de l’industrie yverdonnoise grâce à des galeries spécialisées.

Au fur et à mesure de la collecte d’images, nous espérons publier par la suite des photos plus récentes, donnant peut-être à voir des sites ou des fabriques méconnues voire oubliées, qui sait ? Ce qui nous intéresse également ce sont les lieux abandonnés photographiés après la liquidation, dont nous avons très peu d’images sauf pour Hermès-Paillard.

Notre objectif est à la fois de documenter ce passé industriel et le moment traumatique de son déclin, mais évidemment de valoriser la formidable renaissance de la ville depuis les années 2000, notamment au sein de ces friches industrielles.

Quelles sont les grandes étapes du projet ? Quand s’ouvrira l’exposition ?

Le projet « On ferme ! Raconte-moi ton usine » s’articule en trois ou quatre grandes étapes dont la première s’amorce en ce moment même. Cette première étape, qui durera jusqu’à la fin du projet en 2025, est celle de la collecte d’images, d’objets et de témoignages, qui forme à la fois la raison même du projet et son matériau créateur, si j’ose dire.

La seconde étape, qui commence aussi en ce moment grâce notamment à la plateforme notreHistoire.ch, est la publication et la diffusion des images collectées par le biais de différents supports, numériques ou matériels, de manière à créer une émulation pour ce passé industriel et à valoriser nos donateurs. A part notreHistoire.ch, nous travaillons par exemple à l’accrochage en rotation de tirages photographiques dans différents espaces de la ville.

La troisième étape est l’étape conclusive du projet, qui s’articule sur une grande exposition temporaire présentée au MYR, prévue à la fin de l’année 2024. Le fruit de cette collecte d’images et de films y sera restitué au public sous divers forme, dont des bornes multimédia, des cabines de projection ou tout autre dispositif, en fonction du volume d’images collectées.

Dans l’exposition, il s’agira également de faire l’expérience sensible du sentiment déclin, l’expérience de la perte de cet immense espace social que représente l’usine, grâce à des dispositifs muséographiques donnant la part belle à l’interventions d’artistes plasticiennes. Enfin, une étape épilogue est prévue sous la forme d’une grande publication, à l’issue de l’exposition, mais dont nous n’avons aujourd’hui pas la moindre idée de l’envergure ni de la forme.

Vincent Fontana, Directeur du Musée d'Yverdon et région (MYR)
Vincent Fontana, Directeur du Musée d'Yverdon et région (MYR)

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