De l'arène à l'assiette

27 septembre 2018
Fêtes des Vignerons, Vevey
Guillaume Favrod

Nocturne, Nilon, Nobi, Nez, Nandoux et Oc­togone en 1977 ; Obélix, César, Apollon, Picasso, Goliath et Mozart en 1999 ; Ils suscitent l’admiration des figurants et des spectateurs, symbolisent le labeur agricole mais ravissent aussi le palais des gourmets une fois les Fêtes passées. Qui sont-ils ? Ce sont les boeufs des Fêtes des Vignerons.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Les boeufs tractant le char de Cérès lors de la Fête des Vignerons 1955. Henri Kramer © Confrérie des Vignerons

Pourquoi des boeufs ?

Mais pourquoi faire apparaître des boeufs pendant les Fêtes des Vignerons ? Leur présence est toute symbolique. Véritables tracteurs avant l’heure, ces animaux sont peut-être les plus représentatifs de l’agriculture telle qu’elle se pratiquait jusqu’au milieu du 20e siècle : une intime collaboration entre l’homme et l’animal. Une époque qui n’est pas révolue mais bien dépassée par les révolutions techniques de ce dernier demi-siècle. Domestiqués pour leur force dès le néolithique (Ve siècle avant J.-C.), castrés jusqu’au milieu du 20e siècle pour calmer leur tempérament agressif, les boeufs sont utilisés pour tracter et porter de lourdes charges.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Le char de Cérès. Chromolithographie d'Ernest Biéler. Fête des Vignerons de 1905 © Confrérie des Vignerons

Malgré leur lenteur (3-4km/h) et leur poids (pouvant atteindre une tonne), les agriculteurs n’ont pas trouvé de meilleurs collaborateurs avant l’invention des tracteurs, mise à part peut-être le cheval ou le buffle (ou encore l’éléphant suivant les contrées). Ils ne sont pas seuls à les utiliser : vignerons, artisans et marchands aussi ! Sans oublier que leur viande était appréciée et qu’elle garnit encore aujourd’hui une bonnepartie des étals de boucheries.

D’où viennent-ils ?

Avant les années 1950, les boeufs de la Fête des Vignerons proviennent des exploitations locales. Les agriculteurs utilisent encore régulièrement la force de ces derniers pour le labour des champs et la production de viande bovine met sans nul doute du beurre dans les épinards du foyer. Malgré leur air calme et docile de prime abord, il n’est pas si simple de dresser des boeufs. Encore moins quand il s’agit de les faire parader avec des milliers de figurants, de spectateurs, des fanfares et un bruit environnant quasi continu.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Les boeufs tirent la charrue des vignerons de 1791. Fête des Vignerons 1999. Groupement des photographes veveysans © Confrérie des Vignerons

Depuis la Fête de 1955, les boeufs sont commandés par la Confrérie des Vignerons aux Etablissements pénitentiaires de la plaine de l’Orbe qui élèvent les veaux. Une fois à maturité, les jeunes bestiaux sont transférés dans les pâturages de la famille Genton, établie sur les flancs du Mont-Pèlerin, au-dessus de Vevey. Leur préparation demande plusieurs mois d’acclimatation. Il s’agit non seulement de les habituer aux foules mais aussi de trouver les duos compatibles pour tirer les chars des divinités. Il faut donc identifier les bestiaux de même taille et procéder à la mise au joug - le joug est la pièce de bois posée sur les épaules des animaux et qui les relie au véhicule qu’ils tractent. Il reste ensuite à les habituer au bruit que génère la foule et les corps musicaux de la Fête des Vignerons. Il n’est ainsi par rare de voir débarquer dans les pâtures, avec leurs instruments, les membres des fanfares et des harmonies.

De l’arène à l’assiette

S’il est encore commun de voir un paysan labourer son champ avec une paire de boeufs en 1955, l’apparition des machines agricoles lors du spectacle mis en scène par Charles Apothéloz en 1977 montre bien la scission et l’évolution significative qu’à connu l’agriculture entre la première et la seconde moitié du 20e siècle. La mécanisation des processus agricoles remplace la force brute des bestiaux.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Les boeufs de la Fête des Vignerons 1955. Campiche-Gygax © Confrérie des Vignerons

Mais si les boeufs sont des animaux de traits, ils sont aussi élevés pour leur viande. Ainsi en 1955 et en 1977, les boeufs de la Fête des Vignerons sont passés des arènes aux assiettes pour le plaisir des gourmets, non sans susciter l’indignation de certains. Alors que la pratique n’est pas anodine pour l’époque, une génération plus tard, le sort des bestiaux émeut les foules et un comité de soutien appelé « Retraite des boeufs » se donne pour objectif de récolter les fonds nécessaires à leur offrir une belle retraite après la Fête de 1999. Un pari réussi puisque les boeufs terminent paisiblement leurs jours dans les pâturages de la famille Genton au Mont-Pèlerin, non sans jouer les stars de temps à autre dans les foires locales et retrouver quelques heures de gloire en tractant des personnalités locales lors de mariages ou d’événements festifs.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Les boeufs de la Fête des Vignerons 1977. Campiche-Gygax © Confrérie des Vignerons

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Guillaume Favrod
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28 novembre 2019
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