Vos documents au coeur de l'histoire - N°4
Comment représenter le travail ? Au Moyen-Âge, les corporations d’artisans s’identifiaient par un blason sur lequel étaient représentés les instruments de leur métier. A l’époque moderne, le portrait peint, réservés aux personnes de haut rang, immortalisait le prestige de leur fonction. Au 19e siècle, l’invention de la photographie va renouveler la représentation du travail et surtout la démocratiser.
La photographie renouvelle la vision du travail
La conquête du travail par l’image constitue un eldorado dans lequel vont s’engouffrer les photographes. Parmi eux, l’Allemand August Sander (1876-1964) occupe une place particulière. Dans les années 1920, il développe un projet qu'il nomme « Hommes du XXe siècle » (Menschen des 20. Jahrhunderts) dans lequel il réalise une série de portraits de travailleurs. En les faisant poser en pied dans des situations réelles, Sander poursuit le but d’embrasser d’un seul regard la société allemande de son temps, sans distinction de classe.
Documents n°4 : Bureau de comptabilité de l'État de Neuchâtel
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La photo représentant les employés du Bureau de comptabilité de l'État de Neuchâtel date aussi des années 1920. Contrairement aux images réalisées par August Sander, elle trahit une prise de vue amateur au cadrage hésitant. La place accordée au plafond se fait au détriment de l’épaule d’un collaborateur. Malgré cette maladresse, l’image nous plonge dans le quotidien de trois collègues. Tous sont des hommes d’âge moyen, les cheveux coupés courts, portant une fine moustache et une blouse blanche sur leurs vêtements. Ce look corporate est synonyme d’une certaine réussite. Leur habillement reflète leur appartenance à une profession et à son système de valeurs.
La blouse blanche
La blouse de travail reste jusque dans les années 1960 indissociable des professions techniques. Plusieurs images publiées sur notreHistoire.ch en témoignent. Après les vacances d’été ou de fin d’année, à la veille de la reprise du travail, il n’est pas rare de voir la publicité chanter les louanges de nouveaux modèles élégants ou au tissu particulièrement résistant. Après les bouleversements sociaux de mai 1968, le port de la blouse au travail se fait plus rare et se maintient surtout dans les professions médicales.
Au mur: l'imaginaire d'une profession
La photographie du Bureau de comptabilité de l'État de Neuchâtel présente aussi un arrière-plan intéressant. Derrière les employés, une paroi accueille plusieurs représentations: une grande carte géographique du canton situe l'envergure de l'action des comptables de l'État. Une affiche d'exposition, vraissemblablement éditée par la Société des artistes neuchâtelois, invite à la contemplation. Enfin, la reproduction discrète d'une oeuvre du peintre Albert Anker (1831–1910) termine ce musée improvisé.
Natif d'Anet BE, Albert Anker est aujourd'hui considéré comme le peintre national suisse. De son vivant, ses toiles sont régulièrement présentées aux expositions de la Société des Amis des Arts de Neuchâtel, ville dans laquelle il possède de solides attaches. La présence d'une de ses oeuvres dans ce bureau de l'administration dit d'une part son importante notoriété, mais elle renseigne aussi indirectement sur les valeurs que partagent les employés de l'État atour de 1920.
En effet, avant de devenir artiste, Albert Anker suit une formation de théologien. Un nombre important de ses oeuvres contiennent un arrière-plan moral, largement compris et apprécié de ses contemporains. La reproduction de la La lecture au grand-père que l'on identifie facillement au mur appartient à cette catégorie d'oeuvres. Un jeune garçon y lit à voix haute un livre à son grand-père, privé du plaisir de la lecture à cause d'une vue déclinante. Les valeurs d'entraide et de charité sont au coeur de cette représentation. La trouver dans le bureau de comptables travaillant pour l'État, dont les tâches de contrôle sont garantes d'une démocratie intègre et humaine possède quelque chose de rassurant.
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