Danser sur les cimes: les atouts climatiques de Leysin Repérage

1 juin 2016
Leysin
Daniela Vaj
Partenariat Passé Simple - notreHistoire

L'affiche Leysin, air et soleil, réalisée à la fin des années 1920, a marqué l'histoire de la station vaudoise. Le succès international de l'œuvre accompagne le fort attrait des cures d'altitude à cette époque.

Une jeune femme nue enjambant les cimes enneigées inondées par les rayons d'un soleil resplendissant, un corps plein de santé et de vitalité s'envolant vers la lumière… Telle est la représentation de l'affiche médico-touristique Leysin, air et soleil réalisée par l'artiste bâlois Jacomo à la fin des années 1920. Cette œuvre a marqué son temps en devenant, après sa première diffusion en 1928, un véritable symbole de Leysin. La commune vaudoise est à cette époque l'une des plus importantes stations climatiques d'altitude en Europe. Avec l'arrivée du docteur Auguste Rollier en 1903, elle s'est spécialisée dans l'héliothérapie pour la cure et la prévention de différentes maladies, parmi lesquelles la tuberculose osseuse.

L'affiche Leysin. Air et soleil réalisée par l'artiste bâlois Jacomo. Bibliothèque nationale suisse, Cabinet des estampes, Collection d'affiches. Droits: J. Destraz.

L'histoire de l'affiche commence en février 1928. Cette année-là, elle remporte le premier prix d'un concours organisé en 1927 par la Société de développement de Leysin (SDL), dont le but est de promouvoir les principaux atouts du site naturel. Celui-ci se situe entre 1250 et 1450 mètres et on y trouve à cette époque plus de 60 établissements médicaux.Le succès de l'affiche est immédiat. Elle est à nouveau choisie, en 1933, pour la couverture d'un guide consacré à Leysin et illustre, dans les années suivantes, plusieurs brochures touristiques. On l'emploie même pour des timbres destinés aux valises des curistes qui quittent la station. La célébrité de cette silhouette féminine se répand aussi rapidement à l'étranger. Lorsque la SDL - qui doit imprimer de nouveaux prospectus - propose de changer l'affiche, les agences publicitaires étrangères s'y opposent, estimant qu'elle est devenue l'image de marque de Leysin.

Son succès est d'ailleurs confirmé lors d'un concours lancé à Paris en janvier 1935 pour primer la plus belle affiche suisse des stations d'hiver. Le public parisien lui attribue par référendum 40% de suffrages, et l'affiche de Leysin sort ainsi largement gagnante. Jacomo fait pourtant face à des collègues prestigieux, tel qu'Herbert Matter - graphiste suisse destiné à une grande renommée internationale - qui présente à ce concours l'affiche officielle de l'Office de tourisme suisse.

Les raisons d'un engouement

Les subtiles allusions aux bienfaits médicaux associés à la montagne expliquent en partie ces succès. La chaude luminosité du ciel transmet une idée forte du pouvoir curatif de ce climat caractérisé par l'intensité du rayonnement solaire. Le «bon air» des Alpes est associé, dans ces années, à l'idée de propriétés préservatives et curatives dépendantes d'un ensemble de facteurs liés à l'altitude: un air frais et sec, l'absence de brouillard et l'intense rayonnement solaire auquel on attribue un fort pouvoir bactéricide. L'atmosphère de ces régions est en outre remplie par les effluves balsamiques des résineux qui facilitent la respiration. Les propriétés du manteau neigeux - permettant de retenir au sol les microbes - sont également mises en valeur par les médecins. L'étendue du panorama aurait aussi, selon les promoteurs des stations d'altitude, un effet psychologique positif, contribuant à améliorer le moral des patients. L'affiche de Jacomo exploite de façon remarquable l'ensemble de ces éléments: le fort rayonnement solaire, la neige qui recouvre les sommets, la guirlande de résineux qui l'encadre, le magnifique panorama qui, sur des plans successifs, s'étend jusqu'aux Dents du Midi. De plus, les études scientifiques de l'époque sur l'acclimatation à l'altitude mettent au premier plan l'effet stimulant et tonique de ce type de climat.

Avec sa figure féminine dégageant une profonde énergie vitale, Jacomo introduit un autre élément très significatif qui lui permet de valoriser au mieux ces effets physiologiques liés à l'altitude. La silhouette élancée évoque moins une performance sportive qu'un élan kinesthésique salutaire, où se mêlent l'influence des mouvements naturistes et l'eurythmie thérapeutique de Rudolf Steiner, pratiquée à la clinique de la doctoresse Ita Wegman, ouverte dans la région bâloise en 1921. Mais c'est la méthode de la danseuse britannique Margaret Morris qui a le plus influencé l'artiste. Cette méthode était pratiquée depuis 1926 à des fins médicales dans les établissements de Rollier, à Leysin.

Le docteur Rollier décide d'appliquer la méthode de Margaret Morris dans certaines de ses cliniques, envoie ses filles se former en Angleterre et invite la danseuse à Leysin en 1926. Exemple des postures extrait de M. Morris, The notation of the movement, Londres*, 1928. Bibliothèque d'histoire de la médecine, Lausanne.*

Plusieurs versions, un succès ininterrompu

Attirant l'attention sur ce corps dynamique, l'affiche évoque donc un paysage propice, non pas à la maladie, mais à la santé retrouvée. Elle se prêtera ainsi à des usages divers au cours des années, grâce à la simple variation du slogan qui orne sa partie inférieure, dont le changement renouvelle son sens en captant l'attention de différents publics potentiels.

Quatre autres versions de la même affiche de Jacomo avec des slogans différents en fonction du public visé: A) Lithos A. Marsens, Lausanne, 90 x 127 cm, vers 1930. Collection privée; B) Lithos J.L. Goffart, Bruxelles, 100 x 62 cm, vers 1930. Wellcome Library, London.; C) Lithographie, Marci, Bruxelles, 100 x 62 cm, vers 1930. Collection privée; D) Lithographie, Marci, Bruxelles, 100 x 62 cm, probablement après 1945 (version française) existe également avec le texte anglais «Leysin Sunny holidays» et allemand «Leysin Sonnige-Ferien Erholung». Collection privée.

Cinq versions ont été retrouvées. Les deux plus anciennes sont imprimées à Lausanne chez Auguste Marsens, l'un de plus importants imprimeurs vaudois d'affiches de l'époque. Elles présentent deux slogans légèrement différents - «Air et Soleil» et «Station de cure d'air et de soleil».Les trois autres versions, et leurs variantes, sont réalisées à Bruxelles. La première est imprimée par Jean-Louis Goffart, lithographe de l'Académie Royale du Belgique, et s'adresse à des malades à l'aide du bandeau: «Traitement de la tuberculose sous toutes ses formes». Les deux autres versions sont imprimées chez Marci, un autre célèbre imprimeur belge d'affiches. Elles présentent une signature de l'artiste légèrement modifiée et une typographie également différente. La première version de Marci, reprend le message strictement médical en y ajoutant «Cures de repos et de convalescences». Le bandeau de la deuxième version, imprimé en français ou en anglais, est lui totalement différent, car le slogan «Vacances ensoleillées» vise clairement les touristes.

Cette version, sans doute la dernière, date probablement de l'après-guerre. L'introduction des antibiotiques signe à cette époque le déclin des sanatoriums de montagne. Leysin se voit alors contrainte d'entreprendre sa reconversion en station touristique, sans pour autant abandonner sa belle affiche. Celle-ci lui reste associée depuis lors*.*

Daniela Vaj,

historienne UNIL

Ces recherches biographiques ont bénéficié de l'aide de Marcel Ruegg (Archives de la Ville de Lausanne), Krishna Das Steinhauser (Staatsarchiv Basel-Stadt), Jacques Barrelet (Archives d'Etat Genève), Olivier Girardbille (Archives de la Ville de Neuchâtel)

Pour en savoir d'avantage

Daniela Vaj, «Portfolio affiches : atmosphère, atmosphère...», L'Alpe, 27, 2005, p. 28-37.

Le bon air des Alpes. Entre histoire culturelle et géographie des représentations, Numéro thématique de la Revue de Géographie Alpine, (1), 2005, publié sous la direction de Claude Reichler.

© Passé simple. Mensuel romand d'histoire et d'archéologie / www.passesimple.ch

Vous devez être connecté/-e pour ajouter un commentaire
  • Serge Fustier

    On sait très peu que Morcles au-dessus de Lavey-les-Bains avait été d'abord pressenti pour y accueillir un centre de cure et de convalescence. Mais la configuration géographique s'y prêtait bien moins qu'à Leysin.