L'aluminium en Valais de 1905 à nos jours

1 mars 2010
Grégoire Favre
Grégoire Favre

L'histoire du Valais moderne se confond avec le développement de son industrie. Ainsi, au début du siècle passé, la région de Sierre, rendue particulièrement attractive par les forces hydroélectriques dont elle dispose, voit son paysage profondément modifié. En effet, en octobre 1905, d'importants travaux sont lancés par la Société anonyme pour l'industrie de l'aluminium (AIAG) : construction d'une voie ferrée avec un pont sur le Rhône reliant le site de Chippis à la ligne ferroviaire du Simplon, édification des premières halles d'électrolyse, amenée des eaux de la Navizence à la centrale de Chippis au moyen d'un tunnel de 8,5 km creusé dans la montagne et débouchant sur une impressionnante conduite forcée de 565 mètres de dénivellation. Dès 1908, pendant deux ans, deux mille ouvriers creusent et équipent un canal qui traverse le bois de Finges pour alimenter la puissante centrale électrique de Chippis. En 1912, l'AIAG est la plus grande entreprise du Valais et fournit le tiers des exportations totales du canton.

Ce démarrage économique spectaculaire, qui s'opère notamment grâce à une main d'œuvre locale abondante et bon marché, implique l'insertion d'une population rurale dans l'industrie et les services. Et bien que la plupart des ouvriers d'alors ne perdent pas tout contact avec la terre, la région de Sierre assiste à une importante mutation de son tissu social. La plus remarquable expression de cette transition est, en 1917, la grève des mille sept cents ouvriers de l'usine de Chippis dont les répercussions vont dépasser les frontières cantonales et susciter les préoccupations du gouvernement fédéral et de l'armée. En effet, alors qu'ils doivent faire face à une augmentation du coût de la vie, à l'adaptation lente et incomplète de leurs salaires, ainsi qu'à la dégradation de leurs conditions de travail, le fait que l'Aluminium de Chippis profite de la conjoncture de guerre, favorable aux exportations, provoque la colère de ses ouvriers. Cette crise qui marque un tournant dans l'histoire sociale du Valais, débouche sur la création de la Commission ouvrière de l'entreprise AIAG. Suite à ces évènements troubles, la classe ouvrière semble finalement être « reconnue en tant que telle » lorsque, en 1918, le député Camille Desfayes dépose une motion au Grand Conseil valaisan dans laquelle il demande à la future législation cantonale de garantir un travail régulier et suivi à l'ouvrier, de réduire le temps de travail tout en élevant les salaires, d'introduire un impôt dégressif pour les petits revenus et d'assurer la sécurité de l'avenir contre les risques sociaux en créant des institutions d'assurance et en développant la responsabilité individuelle en matière de santé et d'hygiène.

De 1923 à 1930, l'usine de Chippis connaît une période de forte croissance. Elle emploie deux mille ouvriers et produit 20 000 tonnes d'aluminium par an. Fort de ce succès, l'AIAG décide de construire, sur le territoire de la commune de Sierre, une nouvelle usine de laminage et de filage, inaugurée le 28 mai 1929, à quelques mois du fameux krach boursier.

Si les difficultés économiques liées à la crise de 1929 se font moins ressentir dans le domaine de la métallurgie que dans d'autres secteurs de l'activité industrielle, la situation des ouvriers, elle, se dégrade. La dépendance du marché du travail à l'égard de la politique d'emploi des grandes entreprises conduit à une diminution des salaires, à laquelle s'ajoute une augmentation du temps de travail. Ainsi, en 1932, Charles Dellberg développe une « motion de crise » dont les revendications principales sont l'intervention de l'Etat afin d'empêcher la baisse des salaires, et la protection du travail national. Ce sombre contexte voit, avec la volonté de stabiliser et de nationaliser la classe ouvrière, une montée des réactions antiétrangères sur le marché de l'emploi.

Dans un Valais divisé entre la vision patriotique de Maurice Troillet et l'obsession de la lutte anticommuniste d'Alexandre Ghika, durant la Seconde Guerre mondiale, l'AIAG, qui croule sous les commandes, peine à répondre - conséquence directe de l'économie de guerre - à une forte demande. Et bien qu'en 1943, un Office social cantonal voie le jour dans le but d'harmoniser le développement économique et l'évolution sociale, il faudra encore attendre une dizaine d'années et un nouveau cycle de tensions sociales (1954) pour que l'entreprise mette en place une série de mesures pour améliorer les conditions de travail de ses employés.

Bénéficiant d'une conjoncture économique favorable, l'AIAG procède, à l'aube des années 60, à l'extension et à la modernisation de ses installations de Chippis et de Sierre. Et, c'est désormais sous la bannière d'Alusuisse que l'entreprise, portée par la forte croissance des décennies 1960 et 1970, se lance à la conquête de nouveaux marchés à l'autre bout du monde.

Au début des années 80, Alusuisse procède une fois de plus à l'extension de son site de Sierre. Les investissements considérables concernent la construction d'une nouvelle usine de laminage et l'installation d'une nouvelle presse indirecte. Cependant, bientôt soumises à une forte concurrence de la production mondiale d'aluminium, les usines valaisannes doivent faire face aux aléas de la conjoncture. Ainsi, dès 1986, la fabrication du métal brut est abandonnée à Chippis et l'entreprise cède ses participations dans les sociétés hydroélectriques.

Suite aux difficultés rencontrées par Alusuisse au cours des années 90, c'est le groupe canadien Alcan, qui, au tournant du siècle, reprend les sites de Chippis et de Sierre et opère un recentrement de ses activités sur la fabrication de produits à haute valeur ajoutée.

En 2005, lorsqu'Alcan décide de se séparer d'une grande partie de ses activités de laminage au niveau mondial, c'est l'entreprise nouvellement créée Novelis qui intègre l'usine de Sierre. Après avoir partagé durant des décennies un destin commun, la séparation des sites de production de Chippis et de Sierre en deux entités distinctes provoque une grande inquiétude au sein de la population.

En automne 2007, la fusion du groupe Alcan avec Rio Tinto voit la création d'une énorme multinationale dont les activités sont concentrées sur l'extraction de minéral et la fabrication de métal primaire. Depuis la fin de cette même année, les usines valaisannes, qui emploient un millier de personnes entre Chippis, Sierre et Steg, sont mises en vente et cherchent toujours un repreneur.

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  • Michel Savioz

    Ouvriers-paysans, immigrés, saisonniers. Ils racontent leur histoire dans le livre "La Mémoire ouvrière". Ce livre est un peu le prolongement de l'expo aux halles Usego, vous êtes fier que l'aventure se poursuive par la publication d'un ouvrage? Bien qu'il ne s'agisse pas du livre de l'exposition mais d'un projet à part entière, dans la mesure où tout est parti de l'expo, on peut effectivement parler d'une sorte de prolongement. Si je suis heureux que cette aventure se poursuive, j'espère surtout que les anciens des usines valaisannes d'aluminium seront fiers d'être (enfin) mis à l'honneur dans un ouvrage. Expliquez le travail colossal pour présenter "Mémoire ouvrière"? Le livre "Mémoire ouvrière" est un projet atypique. Réunir historiens, artistes et témoins au sein d'une même publication et les faire dialoguer ne va pas de soi. Trouver le bon équilibre entre les différents contributeurs a demandé passablement d'efforts. Notre ambition aura été de créer un livre exigeant et accessible à la fois. Donner envie à nos lecteurs de lire aussi bien un texte historique, une réflexion sur la notion de mémoire, que le parcours de vie d'un ancien ouvrier; tel est le défi que, je crois, nous sommes parvenus à relever. Une usine, ce sont surtout des hommes qui y travaillent. Expliquez la rencontre avec ces témoins? A l'orée des années 2000, la vente d'Alusuisse au groupe Alcan a été mal vécue par un grand nombre d'ouvriers. Lorsque l'on a passé sa vie à l'usine, voir son entreprise démantelée puis bradée au plus offrant par Blocher et Ebner a été un crève-coeur! Après les sacrifices consentis, ils se sont sentis floués. Leur donner la parole répondait en quelque sorte à un besoin. De plus, l'angle choisi - rédiger le parcours de vie de chaque personne interviewée - aura permis d'effectuer un vrai travail de mémoire. évoquer l'enfance, le rapport au père, le Valais d'antan, tout cela a contribué à enrichir ces récits. CD L'histoire de ce livre est peu banale. Tout est parti d'une exposition "La Mémoire ouvrière", présentée à Sierre en automne 2010. Cette expo mettait à l'honneur ceux qui ont fait la saga d'Alusuisse pendant plus d'un siècle. Les anciens de "l'usine" ne s'étaient pas trompés et étaient venus en nombre pour se voir et voir leur vie dans ce miroir empreint de dignité et d'empathie que leur tendait l'exposition. Dans les halles Usego, il y avait pêle-mêle des portraits de travailleurs, des documents d'archives, des films montrant la destruction des bâtiments industriels, des photos sublimant la beauté du quotidien ouvrier, des livres, des peintures et des objets insolites arrachés à l'univers de l'aluminium. Et puis un colloque s'est proposé de mieux faire connaître cette réalité ouvrière et industrielle dédaignée, tout en réfléchissant aux divers enjeux de la mémoire. "Le présent livre est le prolongement de ces deux moments, l'exposition et le colloque. Il offre des éclairages historiques sur l'industrialisation du Valais, les hommes et les femmes qui l'ont rendue possible, les conditions de travail dans les usines

Grégoire Favre
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17 mai 2011
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