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Ernest Ansermet sur sa vie - Enfance et débuts (1/6)

15 mai 1965
Ernest Ansermet
René Gagnaux

Le portrait d'Ernest Ansermet en couverture est cité du bas de la photo publiée en page 9 de l'ouvrage «Les grands Interprètes - Ernest Ansermet», Portraits de Jean Mohr*, Texte de* Bernard Gavoty*, critique musical du «Figaro»,* Éditions René Kister - Genève, © 1961 Kister Genève*. Ce superbe petit livre est épuisé depuis bien longtemps, mais on le trouve encore assez facilement dans les bibliothèques publiques, ainsi que vendus sur certaines plateformes d'antiquaires livres bien connues, par exemple ZVAB, AbeBooks.*

Ce portrait n'a pas été pris lors de la causerie présentée ci-dessous, mais illustre certainement tout-à-fait l'humeur que devais avoir Ernest Ansermet lors de cette causerie!

Ernest Ansermet dans une longue causerie, savoureuse, pleine de souvenirs et d'anecdotes: c'était le 15 mai 1965, il était invité à Chambésy par son médecin et ami le professeur René S. Mach (*), pour raconter ses souvenirs devant une assemblée de médecins de la Clinique médicale thérapeutique de Genève. Cette causerie est très inhabituelle car Ernest Ansermet n'aimait pas beaucoup parler de lui. L'entretien fut ensuite diffusé à la radio.

L'enregistrement présente quelques défauts car j'ai récupéré cette causerie d'une de mes plus anciennes cassettes, enregistrée dans mes jeunes années. Mais c'est un document très précieux, car il contient beaucoup de détails de sa vie qui sont autrement difficiles à trouver. J'ai réparti le tout sur plusieurs fichiers, afin d'en faciliter l'écoute, resp. la lecture.

La transcription du texte cité ci-dessous a été un peu arrangée, et j'ai inséré quelques sous-titres caractérisant les divers points-forts de la causerie.

Je n'ai jamais pensé qu'à la musique...

"[...] Le professeur Mach m'a demandé de vous raconter quelques souvenirs. On me l'a souvent demandé, on m'a souvent suggéré d'écrire mes mémoires et on s'est étonné que je ne les écrive pas. Je dois vous dire qu'en effet, je n'ai jamais fait de conférence comme celle-ci, et je n'ai jamais songé à écrire des mémoires. Parce que, autant il m'est aisé de parler de musique, de méditer sur la musique philosophiquement, techniquement ou esthétiquement, autant je me sens peu apte au récit, notamment à l'anecdote.[...]"

Peu apte aux anecdotes...

"[...] Une fois qu'à New York, un journaliste venait m'interroger et me disait: M. Ansermet, racontez-moi une anecdote sur votre carrière, je lui ai répondu: Ecrivez dans votre article: cet artiste n'a pas d'anecdote, et c'est ce qui le caractérise. Cependant, je désire répondre à votre invitation... Alors, en pensant précisément à ma vie, ce qui me frappe d'abord, et ce qui me frappe le plus, c'est le rôle qu'y a joué le hasard. [...]"

J'aurais raté ma carrière...

"[...] Si, par exemple, entre ma 16e et ma 18e année, je n'avais pas eu, deux graves pleurésies, qu'on appelait à ce moment-là pleurésies sèches et dont il me reste des traces, je n'aurais pas été dispensé du service militaire pour cause de «faiblesse générale» (comme dit mon livret de service). Et si je n'avais pas été dispensé du service militaire, j'aurais dû faire la mobilisation de 14-18, qui a été exactement le moment où ma carrière a pu se nouer. C'est-à-dire que j'aurais raté ma carrière. [...]"

Depuis ma tendre enfance...

"[...] Si, d'autre part, je n'avais pas été, d'abord, professeur de mathématiques, beaucoup de choses ne se seraient pas passées. On a souvent dit que j'avais été un mathématicien qui, à un moment donné dans sa vie, s'était tourné vers la musique. C'est complètement faux! J'étais musicien bien avant d'être mathématicien, j'étais musicien depuis ma tendre enfance. Je n'ai jamais pensé à autre chose, je peux le dire, dans mon enfance et mon adolescence, qu'à la musique. J'ai vécu dans les nuages, à ce moment-là, parce que précisément, je ne rêvais qu'à la musique. Lorsque, au Collège de Vevey, nous avions des leçons d'histoire, il y avait là un professeur qui avait l'habitude de dire aux élèves: Retenez bien ceci... et il ajoutait: Je ne dis pas ça pour Ansermet, car je sais que c'est inutile. [...]"

Une famille de paysans musiciens...

"[...] Ma mère était musicienne, mon père avait une très belle voix; mais surtout ma famille maternelle, qui était faite de paysans de Mont-la-Ville, était une famille de paysans musiciens. Mon arrière-grand-père était chef de la musique militaire de Morges, et il descendait régulièrement de Mont-la-Ville à Morges, à pied, pour faire les répétitions de sa musique, armé seulement de deux morceaux de sucre, dans sa poche, et d'un carnet avec un pentagramme sur lequel il notait des motifs qu'il utilisait pour écrire des marches, des polkas, des scottish. Il avait sept fils qu'il avait formés à une éducation instrumentale. C'est-à-dire que chacun de ses fils jouait de deux instruments, un pour le bal et l'autre pour la parade. Dans mes années d'enfance, je passais tous mes étés à Mont la-Ville, souvent des étés très longs; c'est là que j'ai appris la clarinette avec un de mes oncles, et je jouais dans leurs bals, leurs musettes. [...]"

Seulement j'étais paresseux...

"[...] D'autre part, j'avais appris à Vevey le piano et le violon, et je faisais partie de la Fanfare des cadets de Vevey où j'ai appris à jouer de tous les instruments de cuivre. C'est vous dire que j'étais dans la musique d'emblée! Seulement j'étais paresseux. Ce qui m'arrivait lorsque je devais travailler mon violon, c'est que j'accordais mon violon au piano, et à ce moment-là, je posais le violon de côté, et je me mettais à improviser au piano. Et quand je faisais des exercices, j'en faisais autant: j'aimais mieux improviser au piano que travailler la technique. Manifestement, il m'était impossible de gagner ma vie avec la musique, puis que j'étais dans un état pareil. Alors je me suis dit que le meilleur moyen, c'était de gagner ma vie dans l'enseignement des mathématiques puisque cela m'était très facile - j'avais une grande facilité de ce côté-là - et alors tu feras de la musique autre chose! [...]"

Ne pas devenir un musicien professionnel...

"[...] D'ailleurs un de mes professeurs à Vevey, M. Plumhoff, qui était un musicien allemand très, très fort, avait consenti à me donner des leçons d'harmonie gratuitement en me disant: Je te donne ces leçons gratuitement, parce que je sens que tu es doué, mais à une condition: tu vas me promettre de ne pas devenir un musicien professionnel, sinon j'arrête les leçons. C'est ainsi que je suis arrivé, assez jeune, dans l'enseignement des mathématiques. À ce moment-là, c'était assez facile de faire une licence. J'ai pu faire ma licence en mathématiques et sciences physiques en deux ans. À 20 ans, licencié, j'ai immédiatement obtenu un remplacement à l'Ecole normale de Lausanne, un remplacement assez dangereux puisque j'avais 20 ans, et que mes élèves étaient des jeunes filles qui avaient aussi 20 ans...

Enfin j'ai été appelé au Collège, où je n'avais plus affaire qu'à des garçons. Et alors, au bout de trois ans, à peu près, j'avais économisé assez d'argent pour pouvoir me payer une année à Paris. À Paris (je vous raconte cela parce que ça peut intéresser les jeunes), j'ai fréquenté la Sorbonne, où je suivis des cours d'Appel, de Gourçat pour le calcul intégral et différentiel, de Poincaré, de Picard et d'Emile Borel. Et puis le Conservatoire, où je fréquentais des cours de contrepoint et d'histoire de la musique. Durant mon séjour à Paris, je me suis rendu compte que ma préparation en mathématiques était très en dessous de celle qu'exigeait la Sorbonne, et que je n'avais guère d'avenir dans ce sens-là. Et puis que ma passion pour la musique était beaucoup plus forte que celle des mathématiques. De sorte que je suis rentré à Lausanne, dans l'enseignement. [...]"

La suite: L'aventure des Cahiers vaudois.

(*) Dr. René S. Mach

"[...] René Mach entreprend des études de médecine à Berne d'abord, puis à Genève où il passera sa vie. Pour lui, le médecin doit surtout être à l'écoute du malade et privilégier la médecine clinique, car sur elle s'établit le diagnostic qui ne saurait être remplacé par la technologie. Parallèlement à son activité de médecin soignant, il entreprend avec son épouse, Evelyne Mach-Perrot, des recherches dans un domaine qui les passionne: le métabolisme du sel. Préoccupé aussi de questions éthiques, il affirme que le prolongement de la vie n'est pas une fin en soi et qu'il faut éviter l'acharnement thérapeutique. Enfin il évoque la figure d'Ernest Ansermet, dont il fut le médecin et l'ami. [...]"

Cité de la page Plans Fixes présentant leur vidéo réalisée avec René Mach (Interlocuteur: Prof. Charles Durand, Numéro de film: 1067, Film 16 mm noir & blanc. Durée env. 50 mn., Tourné le 11/07/1989 à Genève)

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René Gagnaux
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1 décembre 2017
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