Le chat comédien_13
Photo Maryvonne Freitag_1972
En 1972, je travaillais au Théâtre Populaire Romand (TPR). Cette année-là, j'ai adapté une pièce d'Armand Gatti racontant la trajectoire d'une infirmière, pour en faire un spectacle appelé « Véronique, la vie commence à 5 heures 30 ». L'histoire d'une infirmière, à laquelle j'ai donné une vie de femme et des revendications féministes. Une pièce à un seul personnage. J'ai joué la pièce à La Chaux-de-Fonds puis je suis partie en tournée. A Genève, à Strasbourg, à Berne, à Lausanne et dans d'autres lieux.. J'ai dû jouer ce spectacle une bonne quarantaine de fois.
Pour accompagner son infirmière et donner du relief à son monologue, Armand Gatti avait imaginé qu'elle possédait un chat qu'il avait appelé Zampano, en souvenir du film La Strada.
Comme je tenais à jouer ce rôle avec un animal vivant, je me suis mise à sa recherche*.
Avec le regretté Guy Touraille et Francis, mon mari, nous nous sommes rendus au refuge de la SPA, aux Convers, lieu qui se trouve dans un trou peu ensoleillé. Nous étions en novembre. Là, nous avons examiné attentivement les chats proposés. Comme nous craignions qu'on nous refuse la bête si nous disions à quoi elle était destinée, le gérant du refuge ne comprit pas bien notre choix. En effet, après avoir vu et admiré plusieurs adorables petits chats noirs et très vifs, nous jetâmes notre dévolu sur un très vieux chat, couché, langue pendante, dans un coin. Le gérant nous dit alors : « vous ne cherchez tout de même pas un rôti pour Noël ? » Nous nous récriâmes. Mais nous emmenâmes ce très vieux chat. Nous nous aperçûmes bien vite qu'il n'avait plus de dents. Et comme il détestait les boîtes de nourriture du commerce, je devais lui hacher le foie ou le cœur de porc que j'achetais à la boucherie. Il ne mangeait rien d'autre !
J'ai fait une tournée magnifique avec ce chat intelligent et de bonne composition. Nous partions en mini bus, le technicien et régisseur Claude Rossel, le chat et moi. Dès que nous étions arrivés sur le lieu de la représentation, je laissais le chat se promener dans la salle. Il ne s'agissait pas d'un théâtre traditionnel mais d'une salle dans laquelle nous installions une aire de jeu centrale, ronde, autour de laquelle les rangées de sièges s'alignaient, entourant la « scène » et formant un grand cercle. C'était la mode alors. Jouer dans des lieux inédits.
Consigne impérative : ne rien donner à manger au chat avant le spectacle. Son repas avait lieu pendant et après la représentation. Zampano restait près de moi sans problème lorsque je jouais et grimpait sur les genoux d'un spectateur ou d'une spectatrice. Or, si Zampano n'avait pas de dents, il avait de magnifiques griffes qu'il utilisait pour se hisser jusqu'aux genoux de la personne choisie. Durant chaque représentation, Zampano est toujours resté sagement dans le cercle lumineux dessiné par les projecteurs. Pourquoi ? Peut-être parce qu'il en appréciait la chaleur dégagée.
Après la tournée, nous gardâmes Zampano à la maison et nous l'emmenâmes en vacances sur l'île de Bréhat où nous avions loué un gîte. Là, à notre grande surprise et amusement, Zampano conquit très vite son domaine. Il se pavanait dans le grand jardin et les chats du voisinage faisaient un long détour pour l'éviter. Le même fait se reproduisit à La Jonchère, dans le Val-de-Ruz, où nous passions les weekends. Les chats de la ferme n'étaient plus maîtres chez eux quand Zampano y trônait.
Photo CBF_1973_Zampano en Bretagne
A la Chaux-de-Fonds, notre Zampano montait et descendait notre rue en miaulant misérablement. Le quartier était alors habité principalement par de vieilles personnes. Des femmes se mettaient aux fenêtres et lançaient des morceaux de viande à ce chat qu'elles imaginaient être affamé. Zampano manquait s'étouffer !
Pendant la tournée, une mycose, certainement ancienne, reparut dans son pelage. Mycose que je finis par attraper. J'avais une grande plaque rouge sur la joue. Le fait de beaucoup porter le chat m'avait sans doute contaminée. Après un certain nombre de mois de traitement chez le vétérinaire, la mycose se développant de plus en plus, nous dûmes nous séparer de notre chat, en le faisant endormir. Je venais d'accoucher et je craignais pour ma petite fille toute neuve.
Mais notre Zampano resta à jamais dans notre souvenir. Ce fut un animal très attachant et un excellent comédien.
*la pièce a été reprise plus tard par Anne-Marie Jan alors que j'étais enceinte et elle a utilisé un chat en porcelaine.
Voir aussi : http://www.notrehistoire.ch/photo/view/69384/?msg=photoUpdateSuccess
C'est Robert Favarger, http://www.notrehistoire.ch/article/view/1024/ peintre et ami de mes parents qui nous ont permis de rencontre Armand Gatti en 1959 à l'époque où il avait abandonné son métier de journaliste pour se consacrer au théâtre. C'est un homme que j'admire beaucoup. Je me souviens des longues discussions sur la politique, la résistance, la guerre, les actions à mener, la poésie, le théâtre, il vient de fêter ses 90 ans. Et quel bel homme ! Avec un caractère fort et rebelle, homme d'origine très modeste,il passe son enfance dans le bidonville de Tonkin avec son père, Augusto Reiner Gatti, balayeur, et sa mère, Laetitia Luzano, femme de ménage. Engagé et militant pour défendre avec talent les causes des plus démunis, isolés, les exclus etc...http://fr.wikipedia.org/wiki/Armand_GattiComme je vous admire chère Claire d'avoir adapté cette pièce et donné ce spectacle que j'aurai eu du plaise a voir. Et puis Zampano, compagnon fidèle...quelle belle histoire ! Merci.
En effet, Armand Gatti est un être exceptionnel. Merci à Martine d'avoir indiqué le lien du site Gatti sur internet.