Maurice RAVEL, Daphnis et Chloë, Suite No 2, OSR, Charles MÜNCH, mercredi 4 novembre 1964
Maurice RAVEL, Daphnis et Chloë, Suite No 2, OSR, Charles MÜNCH, mercredi 4 novembre 1964
Illustrant ce fichier audio: Charles Münch en pleine action, Concerts Lamoureux, Paris, salle Pleyel, décembre 1965, ParisEnImages © Boris Lipnitzki/Roger-Viollet
Le ballet «Daphnis et Chloé» - une symphonie chorégraphique en trois parties, pour orchestre et choeurs - est l'oeuvre la plus longue de Maurice Ravel, durant un peu plus d'une heure. Elle est conçue d'une seule pièce, avec trois parties enchainées. Son intrigue s'inspire du roman grec «Daphnis et Chloé» de Longus - contant l'histoire du berger «Daphnis», son amour pour «Chloé», l'enlèvement de cette dernière par des pirates, et pour terminer l'intervention du dieu «Pan», conduisant à une fin heureuse.
Composé pour les Ballets russes, Daphnis et Chloé fut chorégraphié par Michel Fokine, dans des décors et des costumes de Léon Bakst. La première eut lieu le 8 juin 1912 au Théâtre du Châtelet sous la direction de Pierre Monteux. Les rôles titre étaient tenu par Vaslav Nijinski et Tamara Karsavina.
Le ballet n'est aujourd'hui pas souvent donné dans son intégralité: deux fragments sont par contre souvent joués en concert, les suites orchestrales No 1 et No 2, que Ravel a lui-même extrait de son oeuvre. La seconde suite est la plus célèbre, elle correspond à la dernière scène du ballet. En concert elle est le plus souvent interprétée sans choeur, comme dans l'interprétation qui est proposée sur cette page.
Les principaux interprètes et les costumes de "Daphnis et Chloé", un extrait de Comœdia illustré, numéro exceptionnel sur L'après-midi d'un faune, pages 749-ff, L'adieu aux ballets russes, Éditeur: Comœdia illustré (Paris), 1912, Format: 1 vol. (P. 740-779): ill. ; 32 cm, Droits: domaine public, Identifiant: ark:/12148/btv1b8415038b, Source: Bibliothèque nationale de France, département Bibliothèque-musée de l'opéra, AID-931 (2, 179-205), Relation: Daphnis et Chloé: symphonie chorégraphique en 3 tableaux / chorégraphie de Michel Fokine. - Paris: Théâtre du Châtelet, 08-06-1912, lien catalogue, lien photo
Ce fut bien entendu Ernest ANSERMET qui donna la première audition de la 2e suite à Genève:
Cliquer sur la photo pour voir le programme complet sur le site onstage
Voici comment cette suite fut présentée dans la brochure-programme de ce concert:
"[...] Ce ballet symphonique, écrit en 1910-1911 pour les ballets russes de Serge de Diaghilew et mis en scène par Michel Fokine, tient une place à part dans la production de Maurice Ravel par l'ampleur de son style, les larges proportions de sa composition.
Le ciseleur de pierres précieuses, le miniaturiste, le poète lyrique intime et délicat de la «Rhapsodie espagnole», de «Ma Mère l'Oye», des «Valses nobles et sentimentales», y fait place à un décorateur de grand style.
«L'art de Ravel s'est singulièrement affermi dans cette partition systématiquement plastique, dit M. E. Vuillermoz (*). Tout en conservant ses dons si personnels de pastelliste familiarisé avec toutes les irisations musicales d'un orchestre où les poussières sonores dansent et châtoient comme des atomes dorés dans un rais de soleil, le compositeur a consenti à cerner d'un trait net le contour de ses dessins.»**
Toutefois, le caractère de son art, ce caractère objectif et réfléchi, où dominent le goût et la mesure, et sa sensibilité particulière, n'ont pas changé. La mélodie garde son élégance un peu hautaine et l'harmonie son goût des larges consonances et des subtiles affinités tonales. Dans la mise en oeuvre, on verra que la mélodie s'épanouit pour dépeindre l'ampleur d'une magnifique aurore, sans recourir à l'éloquence ou à la grandiloquence; et sa danse générale multiplie ses élans et ses formes sans cesser d'être ordonnée: c'est une bacchanale, par la diversité des rythmes et l'élan dynamique, mais une bacchanale classique, comme l'aurait conçue un Poussin.
La deuxième série des fragments symphoniques extraits de cette oeuvre pour le concert correspond aux épisodes suivants du livret:
Lever du jour: Aucun bruit que le murmure des ruisselets amassés par la rosée qui coule des roches. Daphnis est toujours étendu devant la grotte des Nymphes. Peu à peu le jour se lève. On perçoit des chants d'oiseaux. Au loin un berger passe avec son troupeau. Entre un groupe de pâtres à la recherche de Daphnis et de Chloé. Ils découvrent Daphnis et le réveillent. Angoissé, il cherche Chloé du regard. Elle apparaît, entourée de bergères. Ils se jettent dans les bras l'un de l'autre. En retrouvant Chloé, Daphnis reconnaît l'intervention de Pan: Le vieux berger Lammon explique que si Pan a sauvé Chloé, c'est en souvenir de la nymphe Syrinx, dont le dieu fut épris autrefois. Daphnis et Chloé miment l'aventure de Pan et de Syrinx:
Pantomime: Chloé figure la jeune nymphe errant dans la prairie. Daphnis-Pan apparaît et lui déclare son amour. La nymphe le repousse. Le dieu devient plus pressant. Elle disparaît dans les roseaux. Désespéré, il arrache quelques tiges, en forme une flûte et joue un air mélancolique. Chloé réapparaît et figure par sa danse les accents de la flûte. La danse s'anime de plus en plus et dans un tournoiement éperdu, Chloé tombe dans les bras de Daphnis.
Devant l'autel des Nymphes, Daphnis jure sa foi, sur deux brebis. Entre un groupe de jeunes filles costumées en bacchantes, agitant des tambourins. Daphnis et Chloé s'enlacent tendrement. Un groupe de jeunes hommes envahit la scène. Joyeux tumulte. Danse générale. [...]" L'auteur de ce texte n'est pas mentionné, mais il est fort probable que ce soit Ernest Ansermet lui-même.
(*) Émile Vuillermoz (23 mai 1878 - 2 mars 1960, Paris) est un compositeur, musicographe et critique musical français. Voir au bas de cette page pour le texte d'Émile Vuillermoz dont provient la citation ci-dessus.
Pour l'enregistrement intégral du ballet qu'Ernest ANSERMET a fait en 1952...
... CLIQUER sur la pochette du LXT 2775 reproduite ci-dessus (ouvre une nouvelle fenêtre sur la page correspondante de Notre Histoire).
Fin octobre - début novembre 1964, Charles MÜNCH était en Suisse Romande pour diriger l'Orchestre de la Suisse Romande dans le troisième concert de l'abonnement de la saison 1964-1965, donné le lundi 2 novembre à Lausanne et le mercredi suivant à Genève. Au programme:
- Ludwig van Beethoven, Symphonie No 4
- Antonio Vivaldi, Concerto grosso No 11 en ré mineur
- Arthur Honegger, Symphonie No 2 pour cordes
- Maurice Ravel, Suite No 2 de Daphnis et Chloë
Le concert donné à Genève fut à l'époque retransmis en direct sur les ondes de Sottens (REF).
Le lendemain du concert, Jean DERBÈS - très critique... - écrivait dans le Journal de Genève du 5 novembre 1964, en page 11:
"[...] C'est le privilège de quelques interprètes d'accorder à la musique un sens incantatoire, de lui confier un sens exaltant qui touche finalement à l'acte de foi.
Charles Münch est un de ceux-là et pour le comprendre il faut tenir compte que, pour lui, le monde sonore est une aventure sans fin, un grand voyage au royaume du soleil, même si celui-ci s'accorde parfois un rôle quelque peu débordant.
C'est un fait que nous pouvons discuter pendant des heures sur ces interprétations volcaniques. À mon sens, il faut se garder de prendre une opinion extrême à l'égard de ce véritable phénomène expressif. D'ailleurs Münch - par sa forte individualité - appelle chez l'auditeur une attitude extrême et il est peut-être plus utile d'analyser objectivement le but qu'il se propose.
Ce but est-il totalement musical ? Nous nous permettons de ne pas le croire. En fait, il s'agit d'un dynamisme fiévreux qui anime dans un sens toujours unique les inflexions du monde sonore. La pensée du compositeur, doit se plier sous ces puissantes ondes de force, cela tombe bien ou mal, voilà tout le problème. Cet art, ou plutôt ce flux de grande intensité, anime la musique au gré d'un seul désir, une sorte de soif de mouvement dont le déroulement furieux entraîne les événements dans une course infinie.
C'est dans ce sens que nous pouvons considérer l'attitude de Münch comme partiellement musicale car l'architecture est souvent heurtée, l'esthétique du compositeur devient une image incertaine si ce n'est inexistante.
À cet égard, je pense à la symphonie No 4 de Beethoven, qui eut du mal à respirer dans le cadre haletant dont la rapidité détruisait tout sens poétique.
Par contre, le Concerto grosso No 11 en ré mineur de Vivaldi, bénéficia d'une heureuse vitalité, ce qui fait plaisir à une époque où la tradition enferme certaines interprétations de musique ancienne dans un esprit quelque peu monotone. Münch nous rappelle que la véritable tradition doit s'adjoindre la vie et l'élan, sinon il vaut mieux faire de la musicologie en écrivant des livres!
Climat de nouveau paradoxal avec la deuxième Symphonie pour cordes d'Arthur Honegger. Tempi bousculés, phrasés escamotés conduisirent l'oeuvre vers son non-sens.
Quant à Daphnis et Chloé de Maurice Ravel, disons que ce fut une exécution fort brillante grâce, il faut bien le dire, aux musiciens de l'Orchestre de la Suisse Romande, qui se tirèrent avec infiniment d'adresse et de virtuosité d'une situation très souvent délicate. [...]" Jean DERBÈS, Journal de Genève du 5 novembre 1964, en page 11.
L' enregistrement que vous écoutez...
Maurice Ravel, Daphnis et Chloë, Suite No 2, M 57b, Orchestre de la Suisse Romande, Charles Münch, 4 novembre 1964 (14:54)
1. Lever du jour
2. Pantomime
3. Danse générale
Provenance: Radiodiffusion, Archives RSR resp. RTSR
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Émile Vuillermoz, La saison de Paris, Revue Musicale S.I.M., 15 juin 1912, pages 67-68
"[...] La partition de Maurice Ravel est une partition de ballet et non un poème symphonique plus ou moins heureusement mis en scène et plus ou moins fidèlement traduit dans le langage silencieux des bras et des jambes. Le compositeur qui est de sa nature méticuleux et précis avait pris sa tâche particulièrement au sérieux et sa musique est toute hérissée de gestes. Nous devions donc admirer une réalisation parfaite, un spectacle définitif et non une de ces adaptations que sauve seule la virtuosité de leurs interprètes. Un mauvais destin n'a pas voulu que cette perfection fut obtenue: le chorégraphe et le décorateur n'ont pas atteint cette mise au point supérieure dont le compositeur leur donna l'exemple. Certes la composition de Fokine est d'une rare beauté et les décors de Bakst sont parmi les plus séduisants qu'il ait jamais signés, mais dans une oeuvre d'art aussi finement construite les imperfections prennent une valeur démesurée. Il est certain que la mise en scène se ressentit de la hâte désespérée avec laquelle fut monté cet important ouvrage qui méritait assurément mieux de la part de la courtoisie de nos hôtes russes que les deux seules exécutions, en "fin de saison" qui en furent données. Commercialement aussi bien qu'artistiquement ce ballet était un "clou"; il fallait le planter avec plus de conviction.
Ce n'est pas, en effet, dans une musique comme celle-ci qu'on peut indifféremment arrêter l'orchestre pendant les quelques minutes nécessaires à un enlèvement de décors et remplacer un changement à vue commenté dans la partition, par la chute brutale d'un rideau qui n'était même pas l'un de ces voiles russes richement décorés qui prolongent encore le rêve mais la banale draperie rouge à crépines d'or peinte en trompe-l'oeil qui ne peut décemment se relever ou s'abaisser que sur le Tour du monde en 80 jours et qui guillotine impitoyablement l'illusion. Derrière cet absurde écran les coeurs invisibles subtilement nuancés par Ravel, à demi couverts par le fracas d'une plantation laborieuse, n'arrivèrent à nos oreilles que comme les fredons lointains des machinistes chantant pour se donner du coeur à l'ouvrage. La pensée du musicien a été absolument trahie par des négligences de ce genre et par certaines imperfections de mise en scène rendant particulièrement obscur maint détail de l'action.
Mais, ces doléances exprimées, il faut proclamer les mérites éclatants de cette très belle oeuvre qui restera l'une des plus significatives créations de la troupe des ballets russes mise au service d'un jeune musicien français. L'art de Ravel s'est singulièrement affermi dans cette partition systématiquement plastique. Tout en conservant ses dons si personnels de pastelliste familiarisé avec toutes les irisations musicales d'un orchestre où les poussières sonores dansent et chatoient comme des atomes dorés dans un rais de soleil, le compositeur a consenti à cerner d'un trait net les contours de ses dessins. Ses danses ont un surprenant dynamisme et un irrésistible élan. Après Daphnis et Chloé il deviendra difficile de comparer la technique de Ravel à l'industrie minutieuse des matelots qui gréent patiemment un trois-mats liliputien au fond d'une bouteille; la spontanéité de ce langage harmonique, la fraîcheur de ses pensées neuves, la pâte de cet orchestre où la sonorité exceptionnelle ne donne jamais l'impression de l'effort ou du parti-pris, tout annonce un art solide et enfin abouti. La dernière partie de l'oeuvre trahit même une sorte d'heureux laisser-aller, une manière de nonchalance dans la maîtrise propres à ravir les musiciens qui souffrent de constater quelque raideur et quelque affectation dans le maintien habituel de la Muse ironique de l'Heure Espagnole. [...]"
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