Le Ranz des vaches

28 mai 2018
Guillaume Favrod

ndissociable des Fêtes des Vignerons, le Ranz des Vaches est interprété par un groupe d’armaillis, un ou plusieurs solistes-armaillis, depuis la seconde édition en 1819. Cette « Ôde », que l’on nomme souvent Lyoba, est généralement chantée a capella ou accompagnée de cors des alpes. Le terme lyoba est tiré du patois gruérien alyôbâ qui signifie "appeler le bétail". Cette chanson, inscrite dans la liste des Traditions Vivantes de Suisse, est des plus anciennes et revêt une histoire toute particulière.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Le Ranz des Vaches, Fête des Vignerons 1977 © Confrérie des Vignerons

Un peu d'histoire

Selon le Dictionnaire Historique de la Suisse, l’air ou la mélodie du Ranz des Vaches remonte à 1545. Elle est alors chantée sur les pâturages pour faire rentrer les vaches en file à l'étable et pour les calmer durant la traite. Dans son De Nostalgia vulgo Heimwehe oder Heimsehnsucht (1688), le médecin alsacien Joahnnes Hofer l’utilise pour illustrer ses recherches sur la nostalgie. Il évoque ainsi la désertion des mercenaires suisses qui quittent les campements lorsqu’ils entendent ce chant, envahis par le mal du pays (delirium melancholicum). Il est même précisé que le soldat qui le joue ou l’entonne risque la peine capitale. Largement adapté et repris, sa plus ancienne version publiée remonte à 1710 lorsque Théodore Zwinger, médecin bâlois et professeur de Hofer, réédite la thèse de son élève en y insérant le chant au complet. Jean-Jacques Rousseau lui-même s’y intéressera et l'évoquera dans son Dictionnaire de la Musique en 1798. Que ce soit dans le Guillaume Tell de Grétry (1791), dans celui de Schiller (1804) ou encore dans l’opéra de Rossini (1834), le Ranz des Vaches apparaît dans de nombreuses oeuvres classiques. La liste des compositeurs et librettistes européens qui le reprennent est longue : Beethoven, Berlioz, Chenier, Chopin, Gossec, Mendelssohn, Liszt, Schumann, Scribe, Wagner (etc.). De nos jours, la version la plus connue du chant est celle de l’abbé Bovet et compte 19 couplets (pour une version complète en patois et en français). Air traditionnel par excellence, il est représentatif d’une tradition et d’une identité encore bien vivante, celle de la Gruyère et de la production laitière et fromagère qui font le renom de cette région. Ce qui n’a jamais empêché de nombreux groupes de se l’approprier, tel que le groupe Rap From Age qui propose une version en rap à la fin des années 1990. Le Ranz des Vaches reste une des pièces maîtresses du répertoire traditionnel musical fribourgeois et helvétique. Aujourd'hui, il en existe des dizaines d'enregistrements et régulièrement, des chorales d'armaillis ou des solistes entonnent ce chant lors de nombreux événements ou plus simplement, sur l'alpage, au moment de rappeler les vaches à l'étable pour la traite.

(Retrouvez également le dossier de Sylvie Bazzanella sur le Ranz des Vaches)

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... Partition du Ranz des Vaches et portrait de Placide Currat, 1905 © Artist, Atelier H. Guggenheim & Co Editeurs, Zürich. Documents publiés sur notreHistoire.ch par Sylvie Bazzanella.

Le Ranz des Vaches et la Fête des Vignerons de Vevey

Au 19e siècle, la Fête des Vignerons est une célébration des traditions viticoles mais aussi agricoles et paysannes de la région veveysanne. Depuis le Moyen Age, la ville de Vevey sert de port marchand aux produits fribourgeois (bois, fromages, etc.) que les armaillis gruériens viennent vendre sur la place du Marché de Vevey ou charger sur des bateaux en direction de Lausanne, Genève, de l’Italie ou de la France. A l'orée des Fêtes, les armaillis, leurs vaches et leurs attributs rejoignent tout naturellement le cortège qui déambule dans la ville et s’arrête sur la grande place pour les représentations pour marquer les liens qui existent entre la cité viticole lémanique et les alpages laitiers fribourgeois. La troupe entonne alors en groupe le Ranz des Vaches et fait vibrer Vevey et les montagnes alentours.

8siem7iedem.s3.amazonaws.com/u... La troupe des armaillis de la Fête des Vignerons 1905 © Confrérie des Vignerons

Le chant est interprété de cette manière jusqu’en 1889, où pour la première fois un soliste, Placide Currat, prend le devant de la scène. Ce dernier réitérera sa prestation en 1905, puis ce sera Robert Colliard en 1927, Roger Cochard en 1955, Bernard Romanens en 1977 et Patrick Menoud en 1999 , ces derniers souvent accompagnés d’un ou deux autres solistes supplémentaires, notamment lorsque les représentations se multiplient. La sélection des armaillis solistes reste une étape emblématique dans la création et la préparation d’une nouvelle Fête. Au fil des éditions, le Ranz des Vaches est repris, arrangé par les compositeurs ou les librettistes qui choisissent parfois de couper plusieurs des 19 couplets du chant. En 1999, François Rochaix, Jost Meier et François Debluë proposent une version remaniée du Ranz des Vaches, comprenant l’ensemble des couplets et un rythme plus soutenu qui ne manquera pas de créer quelques remous pour être finalement saluée par le public. L'histoire du Ranz des Vaches et des Fêtes des Vignerons se poursuit encore aujourd'hui, à une année de la Fête des Vignerons 2019 alors que les onze chanteurs du Ranz des Vaches viennent d'être révélés et que les compositrices et compositeurs travaillent encore la nouvelle partition du chant.

Pour celles et ceux qui s’y intéressent, voici une bibliographie succincte, utilisée pour la rédaction de cet article :

  • Baumann, Max Peter, « Ranz des Vaches » in Dictionnaire Historique de la Suisse, 15.04.2010, En ligne.
  • Carruzzo-Frey, Sabine, Ferrari-Dupont, Patricia, Du Labeur aux Honneurs : Quatre siècle d’histoire de la Confrérie des Vignerons et de ses Fêtes, Corbaz, Montreux, 1998.
  • Gauchat, L. Etude sur le "Ranz des vaches fribourgeois", Collection : Beilage z. Kantonsschulprogramm, Zürich, 1899.
  • Mettraux, Serge, Le Ranz des Vaches, du Chant de Bergers à l'Hymne patriotique, 24 Heures, 1984.
  • « Ranz des Vaches », Wikipedia, En ligne.
  • « Le ranz des vaches », Traditions Vivantes, 18.07.2012, En ligne.

Crédits : Les armaillis, Ernest Biélier, chromolithopgrahie, 1905, tiré des Collections des Archives de la Confrérie des Vignerons.

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Guillaume Favrod
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